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Chronique Kipik : si le hasard n'existait pas...

Chronique Kipik : si le hasard n'existait pas... 0001

J'ai eu, il y a quelques jours, une discussion très intéressante avec un joueur. On se connaît assez bien. On discute de temps en temps de mains. De stratégie. Et je pense qu'il joue un bon poker. Mais il a nettement plus de réussite avec les paris sportifs (son dada) qu'avec les cartes. En fait, le poker est pour lui une source de frustration plus qu'autre chose.

Pour reprendre ses mots : il ne se pense pas les «reins assez solides pour supporter le hasard du poker».

Si vous n'aimez pas le hasard, ne jouez pas au poker

Évidemment, le hasard est toujours présent au poker. C'est une part du jeu, qui crée un facteur d'incertitude, du suspens. Et si vous essayez de l'enlever, ou même de diminuer la part de hasard, vous allez vite découvrir que notre jeu n'a plus grand-chose d'excitant. Il en va de même de l'argent, d'ailleurs. A de très rares exceptions prêt, enlevez l'argent du poker et, franchement, je préfère une bonne petite belotte…

La manière dont les joueurs vont appréhender, anticiper, intégrer et gérer cette part de hasard est, finalement, ce qui différencie le plus, à long terme, les bons des mauvais joueurs. On peut ainsi imaginer un joueur de génie, capable de deviner les mains adverses avec une précision exceptionnelle, et qui maîtriserait à la perfection toutes les techniques de jeu. Mais, en revanche, qui perdrait tous ses moyens au moindre badbeat. Qui deviendrait fou chaque fois que la river l'assassine. Et, à l'inverse, un joueur nettement moins «génial», mais totalement détaché du résultat. Un iceberg. Une banquise. A long terme, sur qui pariez-vous ?

Le hasard, et donc les coups de chance et de malchance, fait partie intégrante du jeu. Il en est le sel (et l'argent, le beurre). La manière dont vous allez gérer cette donnée, cette dépendance «ponctuelle» au hasard, va définir pour l'essentiel vos succès. Et vos échecs.

Personne n'aime s'avouer impuissant

J'ai longtemps été un joueur qui gérait mal le hasard. Qui partait méchamment en vrille quand le sort semblait s'acharner sur ma pauvre personne. Après tout, j'ai bien réussi à envoyer en l'air une bankroll en une nuit de Limit Hold'em… C'était mon handicap : une mauvaise gestion du hasard ; un trop grand attachement au résultat de chaque main (même si parler de «handicap» est absurde quand il s'agit, en fait, d'un défaut que partage la majorité des joueurs).

Prenez 100 joueurs et demandez-leur comment ils s'en sortent dans ce domaine. La plus grande partie vous dira que «ça va, ils gèrent bien». Au mieux, ils avoueront un petit tilt passager, par-ci par-là… Mais qui irait croire un joueur de poker ?

Le hasard et la logique

Le problème du hasard, c'est qu'il va clairement à l'encontre de la façon dont notre cerveau fonctionne. Depuis les débuts de l'évolution, le cerveau se développe sur un principe assez simple : ce qui produit un résultat satisfaisant est bon; et à répéter. Ce qui entraîne un résultat négatif est mauvais; et à éviter. Touchez une fois une flamme ou une braise et vous n'aurez aucune envie de recommencer. Mangez une fois de la viande cuite sur cette même flamme/braise et vous n'aurez qu'une envie : domestiquer le feu.

Introduisez le hasard là-dedans, et tout part en vrille. Ou, plutôt, introduisez les erreurs «statistiques» liées au hasard, ses particularités remarquables, et notre cerveau passe un sale quart d'heure.

Que se passe-t-il quand vous poussez sept fois de suite tapis avec As-Roi, êtes payé et perdez les sept ? Comment réagissez-vous quand vous recevez As-Roi une huitième fois ? Au minimum, la plupart des joueurs ressent de l'appréhension. Parfois, cela va même tourner à la certitude de l'échec : on s'attend à voir la petite paire en face tenir. Une fois de plus. On s'attend à un «hasard négatif» (pour autant que cela ait un quelconque sens). Et certains vont aller jusqu'à changer leur façon de jouer. A décider de seulement payer pour voir, parce que «eh ! y'en a marre !». Tant pis pour la fold equity. Et tant pis pour le turn et la rivière qu'on ne verra pas le plus souvent, perdant du même coup près de 40% de la valeur de notre main. La particularité statistique qu'on vient de vivre (les sept échecs) a perturbé notre analyse de la situation. Notre cerveau vient de prendre note que «push As-Roi» semble donner un résultat «perte». Il s'y est adapté. Et nous oriente vers une action qui ne soit pas synonyme d'échec, qui ait plus de chances d'engendrer un résultat meilleur... même si, en réalité, on fait encore pire.

Mon exemple est extrême. Mais on l'a tous vécu. Et que dire de joueurs de Cash Game, pourtant gagnants, qui enchaînent des dizaines de milliers de mains sans bénéfice (ou même en perte) ? Le cas n'a rien de rare (même s'il y a fort à parier que la plupart des joueurs n'attendront pas la première dizaine de milliers de mains «à vide» avant que leur jeu soit nettement modifié…).

L'Hhomme aime être maître de son destin

Le hasard nous échappe. Il échappe à notre contrôle. A tout contrôle. D'où le sentiment de frustration du joueur dont je parlais. Il est capable de passer sa journée à faire des paris sportifs, à accepter sans broncher les jours sombres, où les favoris se ramassent à répétition. Cela lui semble naturel. On parle bien de la «glorieuse incertitude du sport»…

Finalement, quelle différence avec le poker ? Un pari sportif revient à miser sur une équipe, ou un joueur, parce qu'on estime que ses chances de gagner sont meilleures que la cote offerte. Le poker consiste à parier sur nos chances parce qu'on estime que celles-ci, à l'abattage sur la valeur de la main, ou immédiatement sur la fold equity, sont supérieures à la cote. L'exercice est semblable. La logique absolument identique. Une cote. Une probabilité de gagner. Une mise raisonnée.

On peut (en tout cas, le joueur dont je parle) accepter de perdre pari sur pari parce que c'est le sport. Et sa glorieuse incertitude. Même Federer peut avoir un jour sans. Ou Bolt souffrir de problèmes musculaires. C'est comme ça. Les parieurs font avec. Il est par contre totalement frustrant de voir cinq fois de suite la couleur que cherche notre adversaire tomber à la rivière. Ou cet As qu'on maudit tous dix fois par jour. Mais, dans les deux cas, on sait, au moment de miser, quelle est notre cote. Et on a fait une estimation de nos chances. Quand on part à tapis avec une paire de Roi contre A5 assorti, on va gagner 67% du temps. Et perdre l'autre tiers. Quand on joue à fond sa paire d'As contre une paire de Dames, on perdra environ 18% du temps. Une fois sur cinq.

Il n'y a aucune injustice dans l'échec.

Ni de justice, ou de dû, dans la réussite. Seul compte d'avoir mis son argent en jeu dans une situation positive. Si vous misez chacun 30 blindes avec KK contre A5s, votre paire va en gagner 10. Chaque confrontation implique 33% de bénéfice pour la paire. Qu'elle gagne ou perde le coup, au final, n'a aucune importance. L'important, c'est que vous ayez fait 33% de bénéfice quand l'argent a été mis en jeu. Et tant pis si votre adversaire les empoche une fois sur trois à votre place. Cette fois sur trois où il va gagner est comme un investissement pour qu'il vous paie rubis sur l'ongle les deux autres fois.

Trouvez quelqu'un prêt à le faire mille fois de suite parce qu'il croit à sa bonne étoile et vous serez le plus heureux des hommes. Répétez-le un million de fois et non seulement vous serez nettement plus riche, mais vous n'aurez aucun grief à faire au hasard. Certes, votre adversaire connaîtra probablement une période faste qui le verra gagner dix ou trente fois de suite (ce qui le confortera encore plus dans son impression absurde d'être chanceux). Mais cet épisode «malchanceux» se noiera totalement sur le million de confrontations.

Le hasard agit comme un brouillard.

A court terme, il perturbe la vision que notre cerveau a d'une situation finalement maîtrisée. Notre «vision» des choses se concentre sur les détails, sur l'immédiat, le «visible». Plutôt que sur l'ensemble, sur l'immensité statistique qui s'étend au-delà de notre champ de vision. De notre compréhension.

Hélas, le fossé est immense (lui aussi) entre le savoir et l'acceptation. Et personne n'est à l'abri d'un «passage à vide» où notre cerveau reprend son petit manège en cachette : si c'est bien, c'est bon. Si c'est pas bien, c'est mal.

Un de ces épisodes m'est arrivé cette semaine : je jouais depuis neuf heures un tournoi Deepstack sur Pokerstars. Un jeu tranquille, smallball, sans réelle prise de risque vu que mon tapis oscillait entre 80 et 150 blindes depuis des heures. Et j'en ai perdu l'essentiel alors qu'il ne restait plus que 27 joueurs encore en course, lorsque, pour la première fois du tournoi, je me suis retrouvé à tapis préflop. AA en main, QQ en face, Q au flop. Vu que je run assez mal depuis un petit moment en fin de tournoi, ma réaction immédiate a été de penser «je le savais», «évidemment», «maudit» etc etc etc. Et même si ce tournoi n'avait pas réellement d'importance à mes yeux, la frustration a été si grande que j'ai gentiment vendangé les deux autres à côté. Et joué le lendemain comme le pire des donkeys…

Je me suis laissé aveuglé par ce « manque de chance ». Alors que, en réalité, vu le style que j'avais adopté, la seule situation dans laquelle je pouvais me retrouver en danger était en ayant AA et en trouvant un autre joueur avec un gros tapis prêt à gambler. Autrement dit, une situation où j'étais favori à plus de 80%. Où j'allais donc passer énorme chipleader, en position de force absolue à la table, plus de 80% du temps. Bonne chance, dans ces conditions, pour m'empêcher de terminer aux trois premières places.

Si quelqu'un venait me dire, à n'importe quel moment d'un tournoi, qu'en gagnant cette main, là, à l'instant, j'avais 80% de chances de terminer « sur le podium », je signerais dans la seconde. Sans avoir rien à faire, jamais!, des 20% restant. Mais que cela arrive en fin de tournoi, après neuf heures de jeu, et quelques «mésaventures» similaires récemment, m'a fait perdre de vue la réalité de la situation : je rêve de revivre cette passe d'armes. Je ne rêve même que de ça, me retrouver avec AA et un adversaire prêt à risquer 100bb en tournoi (en CG aussi, d'ailleurs). Encore et encore ! Et les 20% de fois où ça ne passera pas se noieront dans l'immensité des statistiques…

Le hasard nous lance un défi

Mais c'est le défi que le hasard lance à notre cerveau. Le feu brûle, on sait quoi blâmer. Federer perd, on trouve qui accuser (pas en forme, fatigué etc etc etc). Le PSG perd… on a pris un gros risque, on savait à quoi s'attendre, on ne peut que s'en vouloir . Mais qu'une de ces deux Dames soit au flop, ou que la couleur rentre à la river, et il n'y a personne à mettre au banc des accusés que la malchance. Rien de tangible. De matériel. Rien qui soit acceptable par notre cerveau qui a besoin de causes et d'effets pour fonctionner… quand la cause est de se retrouver dans une situation idéale et l'effet d'avoir envie de pleurer.

Que ce soit le hasard des cartes ou d'un match qui décide de l'issue de sa mise ne change rien. Le parieur sportif a juste l'impression de contrôler les choses. Alors que, en réalité, il ne contrôle rien d'autre que les chances de «son» équipe par rapport à la cote. Il n'est pas sur le terrain. Il ne peut aider. Il n'a aucune influence d'aucune sorte une fois le coup d'envoi donné. Rien de plus, finalement, que le joueur de poker. Et, probablement, même moins que le joueur de poker qui, malgré l'incertitude quant à certaines informations, peut se faire une idée extrêmement précise de ses «chances»…

C'est l'objectif que tout joueur de poker se doit d'atteindre s'il veut réussir : se détacher complètement de l'instant, du résultat. Pour ne penser qu'au long terme, qu'à la rentabilité «en général» de chaque décision prise. D'accepter que, si l'issue de chaque main est hors de son contrôle, chaque décision est, peut et doit être, totalement contrôlée. Analysée. Et prise en connaissance de cause.

Que le hasard vienne de temps en temps au secours du joueur qui a pris la mauvaise décision est, sinon une bonne chose, du moins un mal nécessaire : c'est grâce au hasard, à ces coups de chance, que des joueurs prennent de mauvaises décisions. Qu'ils restent jouer. Si le hasard n'existait pas, il faudrait l'inventer.

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NDLR : Kipik est un joueur de poker français, spécialiste des tournois en ligne. Retrouvez chaque mardi sa chronique sur Pokernews et rejoignez-le sur notre forum.

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