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Chronique Kipik - C'est en acceptant de perdre qu'on devient gagnant au poker

Chronique Kipik - C'est en acceptant de perdre qu'on devient gagnant au poker 0001

Les WSOP sont tous les ans l'occasion de voir de nouveaux joueurs s'essayer aux tournois. Et découvrir un vivier de frustration au-delà de toutes les prévisions. C'est généralement aussi la période où l'on entend le plus cette fatidique question : « mais comment vous faites pour battre x mille joueurs ??? »

La réponse est en fait toute simple : il suffit de jouer pendant les x heures nécessaires pour gagner. Ça n'est pas plus compliqué que cela. Si vous pouvez jouer votre meilleur jeu pendant les 4, 8 ou 10 heures requises pour aller au bout, vous êtes capable de gagner un tournoi. D'être gagnant en tournois.

Evidemment, là où ça se complique, c'est qu'un tournoi de poker est, certes du poker, mais aussi, et surtout, un tournoi. Un exercice délicat. Pas plus difficile que le cash game. Mais différent. Avec ses propres « règles ». Hélas pour eux (et tant mieux pour nous), beaucoup de joueurs ne comprennent pas réellement la différence. Ni ne mesurent son impact. Et s'évertuent à vouloir jouer au poker plutôt que de jouer un tournoi.

Disparition définitive

La première différence est que toute élimination est définitive. On ne rachète pas une cave quand on perd. On ne peut que ravaler sa frustration tandis que les autres joueurs continuent sans nous. Il faut s'y faire : le poker de tournoi est un jeu où l'on perd presque toujours. Et ce n'est pas une différence facile à accepter. Rien ne nous y prépare dans notre vie. Même notre cerveau s'est développé pendant des millénaires en s'appuyant sur le fait que le succès était positif (et, donc, à rechercher) ; et l'échec négatif… et à éviter. Il n'est donc pas étonnant que certains s'énervent, se frustrent, de ne pas gagner en tournoi.

Un des premiers objectifs d'un joueur de poker (en cash comme en tournoi) est de se détacher de la partie en cours, du court terme. Autrement dit : faire abstraction et ne pas s'impliquer dans le résultat d'une situation donnée. Si vous mettez votre argent en jeu sur un 67/33, vous allez perdre une fois sur trois. Et cela peut très bien vous arriver trois, quatre ou dix fois de suite. Pour un joueur de tournoi, c'est encore plus compliqué puisque sa survie, et ses chances de gagner le tournoi, vont reposer sur une série de situations de « danger ».

Imaginons un tournoi où vous êtes tellement plus fort que vos adversaires, ou chanceux, que vous n'allez vous retrouver à tapis qu'avec une paire contre une paire inférieure. Chaque confrontation est donc, en gros, à 80% en votre faveur. Mais, s'il vous faut gagner trois de ces confrontations pour remporter le tournoi, vos chances sont seulement de 50%. Et s'il faut en gagner dix, elles tombent à 10%. Dans la réalité, il vous faudra aussi jouer des situations moins favorables (voire même carrément défavorables). Et vos chances tombent en flèche.

Quoi que vous fassiez, quelles que soient les précautions que vous preniez, la réalité mathématique des tournois est que vous perdrez. Encore et encore. Toujours, presque. La victoire est en fait l'anomalie. Mais bon sang qu'elle est belle !

Hélas, comme un joueur de jeu de rôle s'identifie peu à peu à son personnage fétiche, un joueur de tournoi finit par s'attacher à ses jetons. Et plus on avance dans un tournoi, alors que les joueurs tombent comme des mouches autour de nous, et que l'argent à gagner commence à attirer notre attention, plus la tension est forte. Et plus l'adrénaline inonde notre cerveau. Chaque décision prend alors des proportions irrationnelles. Et se retrouver à tapis pour sa survie des allures de drame. De lutte contre le destin.

Certes, c'est ce qu'on recherche en jouant des tournois : ces instants où plus rien n'existe que le coinflip qu'on est en train de jouer. Avec le sentiment d'être invincible quand le destin est de notre côté. Quitte à oublier les douloureuses minutes de descente toutes les fois où le destin se joue de nous. Et, pourtant, cette jouissance ressentie lors des victoires est le pire ennemi du joueur. Oui, c'est bon. Jouissif. Mais cela va à l'encontre de la règle n°1 de tout joueur : se détacher de l'enjeu. Du moment. Pour ne penser qu'à long terme. Qu'à l'espérance mathématique de gain. Vous avez mis tous vos jetons en jeu sur un 60/40 ? Très bien ! C'est une situation positive en terme d'espérance. Et l'issue importe peu. Les 40% du temps où vous perdrez sont logiques. Les 60% de « victoire » aussi. Mais aucune de ces deux issues n'est exceptionnelle au point d'être célébrée. Ni assez décevante pour se mortifier. A moins d'être en heads-up final, cette victoire/défaite n'est qu'une étape vers la seule victoire qui compte : la dernière.

Perdre pour gagner

Tant que vous vous attacherez au résultat de ce genre de situation, vous connaîtrez plus de frustrations que de satisfactions. Il faut accepter le fait que jouer en tournoi implique de perdre quasi systématiquement pour être dans l'état d'esprit qui permet de gagner. Et, non, ça n'est pas facile…

Heureusement pour nous, la seconde particularité des tournois est là pour nous aider…

Prenons un cas simple : vous êtes en cash game et relancez. Le bouton vous paie, ainsi que la grosse blinde. Au flop, le pot fait 9 blindes. En règle générale, vous avez encore entre 100 et 200 blindes de tapis. Vous faites une mise de continuation de 7bb, payée par le bouton. Le pot monte à 23bb. Vous en avez… quasiment toujours autant en réserve qu'avant de commencer le coup. Les choses sérieuses ne vont vraiment commencer qu'au tournant. Et les tapis ne seront en « danger » qu'à la rivière.

Même situation en tournoi : vous relancez, bouton et BB paient. Pot de 9bb. En début de tournoi, vous serez le plus souvent dans la même situation, avec des tapis très confortables. Mais, au fur et à mesure que le tournoi progresse, les tapis évoluent tandis que la taille des blindes ne cesse d'augmenter. Même si votre tapis évolue dans le bon sens, votre profondeur ne cesse de diminuer. Et votre marge de manœuvre va baisser d'autant.

Si vous avez 30bb de tapis au départ du coup, en miser 7 vous met devant un pot de 23bb si le bouton vous paie… avec seulement 20bb restant dans votre stack. Moins que le pot. Si vous aviez 12bb, et votre relance toujours payée deux fois, vous vous retrouvez au flop avec 9bb face à un pot de taille identique.

La dictature du tapis

Le vrai patron, en tournoi, ce n'est pas vous. Mais votre tapis. C'est sa profondeur qui va dicter vos actes. Vous ne pouvez pas jouer de la même façon si vous êtes riche de 150bb. Ou de 5. Votre tapis, sa profondeur (en nombre de blindes), est le facteur décisif en tournoi. Et quasiment la seule information qui devrait vous intéresser. Un tournoi est en fait un jeu de gestion, où le meilleur est celui qui va le mieux comprendre ce que son tapis lui permet. Et l'adversaire, celui qu'il vous faut vaincre, n'est pas les autres joueurs à votre table. Ou même du tournoi. Mais la structure, le rythme auquel les blindes (et ante) augmentent.

Une des premières erreurs que commettent les joueurs débutants est d'avoir l'œil rivé sur le lobby de leur tournoi. Pour se mesurer en permanence au tapis moyen. Ou au chipleader. Ces deux informations n'ont absolument aucune importance. Pire : elles sont trompeuses. Et amènent à commettre des erreurs stratégiques. Le seul tapis qui vous intéresse vraiment est le vôtre. Peu importe que vous soyez en dessous de la moyenne ou que vous en ayez le double, la seule information décisive est ce que votre tapis vous permet, vous interdit et vous oblige à faire.

Il n'est pas facile pour un débutant de comprendre cette « dictature du tapis ». C'est même parfois difficile pour des joueurs aguerris mais plus habitués au cash games. C'est dans la nature de chacun de vouloir jouer. D'être aux commandes. Et beaucoup ressentent ce « passage de témoin » comme un acte dégradant.

Essayez donc de vous visualiser comme un général commandant ses troupes. Vous êtes sagement installé à l'arrière, perché sur votre colline d'observation, les fesses bien posées dans votre fauteuil, à siroter des boissons fraîches (ou chaudes en hiver, ça, ça reste votre décision) et grignotez à volonté. Vous disposez des rapports réguliers qu'on vous envoie. Et vous pouvez observer calmement la façon dont vos troupes brillent, ou se font étriper, au combat.

La seule différence avec un tournoi de poker est la colline (parce qu'avoir toujours à portée de main de quoi boire et manger est une excellente idée). Mais vos décisions vont aussi se borner à prendre de grandes décisions stratégiques en vous basant sur ce rapport dont vous disposez en permanence : l'état de votre tapis. La partie tactique, au contact de l'ennemi, avec le sang qui gicle et salit et imprègne tout jusqu'à l'air qu'on respire, cette partie là n'est pas de votre ressort (si vous êtes un adepte des wargames, et comprenez la différence entre Squad Leader et World in Flames, vous avez tout compris).

Maintenant, la ressemblance s'arrête là : un joueur de tournois, qui se satisfait de 20% de combats sans défaite honteuse et à peine un ou deux pour cent de guerres gagnées ne ferait pas long feu. C'est pourtant le quotidien des joueurs qui doivent évoluer avec des troupes (les jetons disponibles) en sous-effectif et face à un nombre d'ennemis qui semble ne jamais diminuer…

Faites la guerre...

Un tournoi est une guerre. A échelle plus ou moins grande selon le site où vous jouez. Là où le cash game tient plus du duel élégant, où personne ne meurt (reload baby !), où la différence va se faire petit à petit et le meilleur finir par prendre l'ascendant, le tournoi est une succession de batailles brèves et radicales pour sa survie. Alors qu'une seule bataille a de l'importance : le tête-à-tête final. Tout le reste, les cinq, sept ou dix heures qui ont précédé, n'a servi qu'à arriver là. Et peu importe, finalement, comment vous vous y êtes pris. Que vous ayez gagné 80% ou 10% des mains jouées n'a aucune importance. Que vous ayez monté un énorme tapis très vite pour ensuite martyriser vos adversaires ou, au contraire, que vous soyez revenu d'entres les morts quand il ne vous restait plus qu'à peine une blinde : tout le monde s'en fout. Et vous le premier.

Certes, il faudra se battre pour prendre des jetons que vos cartes ne vous vaudraient pas à elle seules. Mais il va aussi falloir abandonner des batailles délicates. Céder sous la pression. Laisser à votre adversaire une petite victoire… pour souvent mieux lui en arracher une grosse ensuite. Parce que le secret des tournois, c'est que, pour les gagner, il faut aller au bout. Il faut jouer son meilleur jeu, son meilleur poker, sa meilleure « stratégie », sa meilleure gestion de stack, pendant les 5, 7 ou 10 heures nécessaires. Tout ce qui se passe pendant ce temps, toutes ces batailles gagnées ou perdues, jouées ou pas jouées, ne sont qu'anecdotes.

Même terminer dans les places payées (In The Money) est anecdotique. Et jamais une victoire. Ni même une satisfaction. Au mieux, c'est une (maigre) compensation pour le temps passé. Mais, le plus souvent, un ITM est une défaite… Vous verrez beaucoup de joueurs se vanter de leur « scores » d'ITM. Autant le dire tout de suite : ces joueurs sont de mauvais joueurs de tournoi. Et, probablement, des joueurs perdants.

Tout est dans les trois

En tournoi, l'essentiel de l'argent en jeu (prizepool) est réparti sur les 3 premières places. Avec parfois les deux suivantes bien dotées également (sur les tournois à plusieurs milliers de joueurs). Mais terminez 6ème et ce que vous gagnerez ne représente déjà qu'une portion faible de ce que le vainqueur empoche. Si vous voulez devenir un bon joueur de tournoi (en tout cas sur Internet, on discutera plus tard de la différence en live), commencez par oublier l'ITM (en fait, un bon joueur pense beaucoup à l'ITM… mais parce que c'est un des meilleurs moments pour gagner facilement des jetons sur tous les joueurs plus faibles qui ne pensent qu'à finir « payé »). Etre ITM n'est pas une victoire. Ce n'est en rien un but. Ça n'est même pas, comme on entend souvent, « une étape de franchie » (sous-entendu : « ok, maintenant, on peut commencer à jouer au poker, je me retenais avant parce que, hein… ». Qu'on peut traduire par : « bon, j'ai perdu 40% de mon tapis en jouant comme une fiotte, maintenant, je m'en fous, let's gamble, on va bien voir ce que valent ces gars qui agressent depuis ½ heure ! »).

Et ce sera ma dernière métaphore militaire de cette semaine (et j'espère «avant longtemps) : celui qui fait le dos rond jusqu'à la bulle, qui modifie son jeu pour satisfaire cet « objectif », s'est trompé de combat. Il a sacrifié la victoire finale pour un semblant de gloire. Hélas pour lui, personne ne viendra jamais lui remettre de médaille.

Les livres d'histoire ne retiennent que les noms des vainqueurs. Il en va de même au poker : votre bankroll ne se portera pas mieux parce que vous avez « limité la casse » en étant rentré dans les places payées. Ou en ayant terminé dans les deux ou trois dernières tables. Un nouveau chapitre « glorieux » ne s'écrira qu'à chaque fois que vous terminerez premier. Ou, en tout cas, dans les trois derniers. C'est là qu'est l'argent. C'est pour ces très rares succès que nous jouons tous les jours. Encore et encore. N'ayez donc pas peur d'engager le combat quand votre tapis le permet. Ou l'exige. Et peu importe combien de batailles vous gagnerez ou perdez. Aucune ne vaut la peine de s'en souvenir. Ni de nourrir des regrets. La victoire est rare. C'est aussi ce qui la rend belle.

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