Poker Hall Of Fame : ma sélection (Nicole Gordon)
Je ne pense pas que qui que ce soit ait été choqué - ni même étonné - par la liste des nominés de cette année au Poker Hall of Fame.
Le monde du poker ressort juste de sa migraine estivale habituelle et, sur les 10 noms soumis à la sagacité du jury, sept étaient déjà présents dans la liste de l'année dernière, lorsque le processus de nomination a pour la première fois inclus un vote du public. Barry Greenstein, Dan Harrington, Phil Ivey, Tom McEvoy, Daniel Negreanu, Scotty Nguyen et Erik Seidel sont donc les revenants de cette année.
Chris Ferguson, Jennifer Harman et Linda Johnson sont les seuls additions à la nouvelle liste tandis que Men “The Master” Nguyen et Tom Dwan ne reviennent pas en deuxième semaine. Dwan est une omission naturelle ; la plupart des internautes ayant décidé qu'il était finalement prématuré d'être nominé à 23 ans par une distinction qui sanctionne une vie de poker. A contrario, le fait que Nguyen ait été snobé cette année, alors qu'il vient juste de remporter son septième bracelet, renvoie sans doute à son comportement en-dehors de la table et aux suspicions récurrentes de triche qui le poursuivent depuis des années.
Mes choix pour le Poker Hall Of Fame 2010
Autant vous le dire tout de suite, je ne fais pas partie du panel des 17 journalistes qui ont leur mot à dire dans l'élection de cette année. Chacun d'entre eux a le droit de voter pour deux personnes au plus. Si j'avais voix au chapitre, je la donnerais aux deux forces les plus sous-estimées de l'industrie du poker aujourd'hui, à savoir Erik Seidel et Linda Johnson.
Pourquoi Erik Seidel ?
Erik Seidel est un garçon assez énigmatique. Il est toujours calme à la table, il ne fait pas de vagues et ne prête le flanc à aucune controverse. Son style de jeu est à la fois illisible, créatif, en évolution constante et indéniablement efficace. En dehors des tapis verts, ce type est la classe faite homme. Et l'un des posteurs les plus drôles sur Twitter. Sérieusement, comment ne pas accorder sa voix à un type capable de poster des petits bijoux de ce genre :
J'ai l'impression d'être comme ce mec dans Memento qui n'a plus de mémoire immédiate. Il va falloir que je me tatoue des pense-bête comme "tu es dans la cuisine parce que tu as besoin d'un ouvre-boite"
J'utilise ce savon Dove depuis huit mois maintenant et jusqu'à présent je suis assez déçu du résultat
Je viens de vérifier dans le bouquin de règles des WSOP, il n'y a rien dedans qui m'empêche d'aller jouer aujourd'hui avec un calamar mentaliste en guise de protecteur de cartes
Seidel a eu l'un des débuts de carrière les plus incroyables qui soient. Amateur talentueux, il est arrivé à Vegas à l'été 1988 et en est reparti après avoir loupé d'un cheveu le titre de Champion du Monde de poker. Pour n'importe qui, arriver si près d'un bracelet entrainerait tout un flot de sentiments contradictoires. Dans le cas de Seidel, la scène a été immortalisée une décennie plus tard dans le film Les Joueurs. Il n'accordera probablement jamais d'interview qui ne comporte pas au moins une question à ce sujet mais ça n'empêche pas le bonhomme d'y répondre à chaque fois de bonne grâce. Lorsque les mini-caméras sont arrivées, Seidel a eu un peu de mal à se faire à l'idée que sa manière de jouer allait désormais être exposée au grand jour. Après tout, personne ne payait ses droits d'entrée à sa place ! Les scénaristes de Lucky You ont dû avoir vent de la manie de Seidel de continuer à cacher ses cartes privatives lorsqu'ils ont écrit la scène finale de leur film.
Seidel passe sans problème les trois premiers critères du Poker Hall of Fame. Il a joué au poker contre les adversaires les plus coriaces de son temps. il a joué aux plus hautes limites. Il a gagné le respect de ses pairs. Comment pourrait-il en aller autrement alors qu'il a quand même remporté huit bracelets WSOP en l'espace de quine ans, dans cinq variantes différentes ? Mais, malgré tous ses succès, Seidel est toujours l'un des joueurs de poker les plus sous-estimés du monde. Certains le rangent dans le camp de la 'vieille garde', ces joueurs déjà présents sur le circuit en 2004 et qui ont donc accumulé le plus d'exposition médiatique depuis le début des tournois télévisés, ceux qui étaient invités au tournoi des champions cet été. Mais Seidel continue à accumuler les titres majeurs année après année alors que la plupart de ses pairs en sont bien incapables. En 2007, il a remporté son 8ème bracelet WSOP et a terminé second du tournoi 'High Roller' à 100.000$ des Aussie Millions. L'année suivante, il est revenu à Melbourne et a fini second du Main Event. Trois mois plus tard, il gagnait le titre WPT à Foxwoods et empochait un autre million de dollars. Cette année, il est parvenu encore deux fois en table finale aux WSOP et s'est classé second du NBC National Heads-Up Championship. Seidel a toujours faim et son jeu est affuté comme jamais.
Certain estimeront qu'il est encore jeune pour être honoré pour l'ensemble de sa carrière (il n'a que 50 ans et écoute plus de musique rap que la plupart d'entre vous) mais on peut affirmer sans risque d'erreur qu'il a passé le test du temps. Seidel joue au poker depuis 25 ans, et y consacre tout son temps depuis 15 ans. Et, plus encore que sa longévité ou que son talent, la manière qu'il a de gérer sa bankroll est tout bonnement remarquable. Seidel, comme tout joueur pro, a connu des années qui étaient moins bonnes que d'autres. Mais il n'a absolument jamais été 'broke'. Méticuleux dans la gestion de son argent, son passé à Wall Street l'a en outre transformé en investisseur avisé. Sur les 23 années que Seidel a passées à jouer au poker de tournoi, il en a terminées 19 avec des gains supérieurs ou égaux à 100.000$, dont deux avant même de devenir professionnel. Les jeunes joueurs qui en sont à monter leur 58ème bankroll pourraient - et devraient - en prendre de la graine.
Pourquoi Linda Johnson ?
Mon second vote irait à Linda Johnson, moins pour ses accomplissements en tant que joueuse (bien qu'elle possède un bracelet et compte plus de 300.000$ de gains en tournoi), mais pour toutes ses activités en dehors de la table, en tant que capitaine d'industrie et inlassable avocate du poker. Mis à part le lauréat de l'année dernière, Mike Sexton, il est difficile de trouver quelqu'un d'autre qui se soit autant voué qu'elle à la promotion du poker dans le monde.
Johnson a rassemblé un groupe d'investisseurs et racheté CardPlayer en 1992. Elle a édité le magazine pendant huit ans avant de le revendre à son propriétaire actuel, Barry Shulman. Même si elle ne possède plus CardPlayer, elle y écrit toujours quelques éditoriaux de temps à autre et est toujours partenaires dans les Croisières CardPlayer. Johnson était d'ailleurs sur un bateau qui remontait l'Amazone en compagnie de Sexton et de Steve Lipscomb lorsqu'ils ont eu ensemble l'idée du World Poker Tour. C'est aussi l'une des fondatrices de la TDA (NDLR : la Tournament Directors Association, qui tente de standardiser les règles du poker à travers le monde) ainsi que de Poker Gives, dont elle a eu l'idée avec Sexton, Jan Fisher et Lisa Tenner. C'est une association à but non lucratif qui organise et promeut des tournois de charité partout aux Etats-Unis. Johnson a aussi été la première présidente du principal bras armé des joueurs de poker, la Poker Players Alliance, au Conseil d'administration de laquelle elle siège toujours aujourd'hui.
La longue liste des accomplissements de Johnson parle d'elle-même. Mais je ne saurais conclure sans rappeler qu'elle est aujourd'hui la meilleure avocate de la cause des femmes au poker, qu'elle défend inlassablement. Elle mérite donc cet honneur aujourd'hui plus que jamais. Cette année, Johnson a prononcé un petit discours lors du Ladies Event des WSOP. Celuis que tous ces garçons ont perturbé. Elle a évoqué son premier Ladies Event il y a trente ans, les changements observés dans le jeu depuis lors, le fait que 1.000 femmes étaient assises devant elle au lieu des 65 qui avaient participé en 1980. Johnson est l'un des rares personnages publics du poker qui, non seulement, comprend tous les défis que les femmes doivent encore surmonter aux tables, mais mesure le chemin parcouru depuis trois décennies.
Greenstein, Harrington, Negreanu, Ivey ? Ils y auront tous droit un jour, certains plus tôt que d'autres. Mais pour moi 2010 doit appartenir aux héros méconnus.