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Kipik Poker : Jouer un sur-relanceur très serré

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Je voudrais continuer à explorer un peu la notion de «range manipulation» ou comment nos propres actions modifient les mains avec lesquelles notre adversaire va nous donner de l’action et, par conséquent, la valeur réelle de notre main. Place aujourd’hui au fameux 3-bet, nom moderne pour la sur-relance (bet, relance, sur-relance = 3bet, ou 3b, sur-sur-relance = 4-bet etc).

Le 3-bet et l’inconnu

Si vous avez joué des milliers de mains contre un joueur particulier, vous avez sur lui certainement assez d’informations pour estimer avec quelles mains il aime sur-relancer et dans quelles conditions. Avec la connaissance du jeu de chacun, et assez de mains pour modifier sa stratégie, une dynamique finit par se créer qui va amener à 3/4/5-bet des mains inattendues ou, inversement, à payer des 3/4-bet avec plus ou moins de largesse. Face à un joueur inconnu, sans cette dynamique, sans historique sur lequel s’appuyer, c’est une toute autre histoire.

Tant que vous savez peu de choses sur votre adversaire, et que celui-ci n’a rien montré qui sorte des «standards», partez du principe que tout le monde 3-bet le top 5% des mains (mains en jaune) :

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Ca ne sera pas systématiquement vrai. Certains joueurs n’aiment pas (ou ont peur de) sur-relancer avec AQ (mais sur-relanceront peut-être plus facilement avec 99 ou 88). D’autres n’aiment pas 1010 ou JJ, alors que AJ ou KQ ont leurs faveurs). Mais, grosso modo, il s’agit là de la range de 3-bet de base. De celle sur laquelle vous devriez mettre votre adversaire par défaut. Faute de mieux. Faute d’information.

Certains joueurs ne sortiront jamais de ce top 5%. D’autres peuvent ouvrir beaucoup plus. Et quelques serrures sur-relanceront encore moins de mains. En vous fixant cette range comme point de départ contre un joueur inconnu, vous ne ferez que rarement une erreur (et presque jamais de grosse erreur). Libre à vous, ensuite, d’ajuster selon ce que vous apprendrez de vos adversaires (il s’agit ici de réfléchir à des joueurs qui semblent corrects, n’oubliez pas qu’aucune règle de conduite ne s’applique totalement aux «dindons»). Soyez toujours attentifs aux mains montrées à l’abattage mais plus encore dans les pots sur-relancés, c’est ainsi que vous serez à même de faire évoluer votre plan de jeu!

Contre l’inconnu, serrez les ranges !

Vous relancez au Bouton et un joueur inconnu, apparemment serré, vous sur-relance depuis les blindes ? Rien de plus facile, prenez votre courage à deux mains et… jetez votre poubelle !

OK, c’est facile. Vous relancez quasiment n’importe quoi au Bouton, on vous revient dessus, vous laissez tomber. Evidemment, si vous avez une bonne main comme AQ ou 99

Et bien jetez aussi. Si votre adversaire sur-relance le top 5% des mains, AQ et 99 sont des poubelles comme les autres. Contre un adversaire qui sur-relance aussi peu, peu importe.

1010 fait certes mieux, mais ça reste encore seulement 40%. Autrement dit, vous ne commettrez pas d’erreur en couchant 1010.

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Quid de JJ ? Allons, on peut pas coucher JJ simplement parce qu’un joueur nous sur-relance, non ? Le fait est que si, on peut. JJ est vraiment est à limite. Au final, que vous payiez ou jetiez vos Valets ne fera pas une grosse différence sur vos résultats à long terme (dans ce genre de scénario). Tant pis si vous lisez à peu près partout l’inverse...

JJ est un monstre. Une des plus belles mains de départ au poker. Dans l’absolu. Mais face à un adversaire dont les tendances de 3bet sont inconnues et qu’on va mettre, par défaut, sur une range de 5%, JJ est encore une main dominée (même si de peu). Et c’est surtout une main très difficile à jouer postflop. Que le flop vienne de petites cartes et on sera une proie facile pour une meilleure paire. Qu’il vienne (comme très souvent) avec une ou deux cartes supérieures et on devra généralement abandonner (quitte à se faire bluffer).

Ce qui est un coinflip théorique va en général coûter bien plus cher quand on est du mauvais côté des 50% que ce qu’il rapportera quand la situation est favorable. Pire, le scénario favorable, même s’il est supposé arriver 50% du temps, va plus probablement arriver moins souvent que le défavorable (le joueur qui a sur-relancé bénéficie de l’initiative et peut plus facilement nous bluffer).

Oui mais…

Peut-être votre adversaire sur-relance-t-il avec A2 ? Ou 78 ? Ou K6 ? Peut-être vous sentez-vous meilleur que lui ? Et, après tout, vous avez la position ! Au pire, vous pouvez payer pour trouver un brelan…

Le problème, c’est de vouloir chercher un scénario optimiste, favorable, là où les mathématiques ne le sont pas (favorables). Notre cerveau est particulièrement doué pour chercher de bonnes excuses mais le fait est que, contre une range de sur-relance de 5%, AQ ou 1010 sont des mains extrêmement dominées. Et JJ est limite… en plus de se retrouver le plus souvent devant une décision très délicate au flop. Même ce cher As-Roi qu’on aime tant jouer agressivement ne peut se flatter d’atteindre 50% d’équité contre une range de 5%.

Vous jouerez parfois un coinflip mais que vous aurez du mal à rentabiliser quand vous toucherez (surtout un As). Ou vous serez facilement bluffable. Sans comptez que vous allez plus souvent payer lourdement le fait d’être contre une des trois grosses paires (ou AK si vous avez AQ).

Cela peut sembler simpliste mais, malgré la position avantageuse, il sera difficile de compenser la faiblesse de notre main contre la range adverse. Les pots sur-relancés grossissent très rapidement, ce qui réduit l’avantage d’avoir la position. Quant au setmining (payer pour espérer flopper un brelan), ce sera rarement mieux qu’une situation marginale. A moins que votre adversaire ait sur-relancé très faiblement, vous gagnerez plus d’argent en jetant votre main qu’en investissant lourdement préflop pour un résultat très hasardeux.

Sans plus d’informations sur un joueur qui vous sur-relance, AQ, 1010 ou même JJ, sont nettement moins «jolies» qu’on le pense : main suivante svp. Et tant mieux pour votre adversaire s’il vous sur-relançait avec une main «créative». Vous n’avez juste pas (encore) les moyens de le déterminer avec assez de certitude.

Peut-être êtes-vous réellement meilleur que votre adversaire. J’ai une mauvaise nouvelle pour vous : tout le monde pense la même chose! Même si c’est le cas, contre un adversaire qui semble correct, vous aurez du mal à compenser la faiblesse en équité d’AQ ou 1010. Surtout quand votre adversaire est, selon toutes probabilités, sur une range aussi forte. Vous pensez vraiment bluffer un joueur qui aura souvent QQ ou mieux en main ? Vous faites quoi de votre AQsur un flop A107 ou Q92 quand votre adversaire poursuit son agression ?

La situation serait bien évidemment différente si votre adversaire était un extrêmement mauvais joueur. Mais, même ainsi, mettez {QQ+ AK} dans les mains du plus mauvais joueur possible et il sera très difficile de rentabiliser notre «bonne main» (lire : il faudra que notre adversaire fasse preuve de beaucoup de bonne volonté. Ce qui n’est pas impossible, on a tous vu des dindons jouer leur tapis avec KK sur un flop AJ9…)

Une des plus grosses erreurs qu’on puisse faire dans les parties à faibles enchères est de sous-estimer à quel point les joueurs jouent «serrés». Croyez-moi sur parole, j’ai encore du mal à m’y faire après des années… ;)

Mais, des fois, on fold pas, quand même ?

Au final, les seules mains avec lesquelles il sera vraiment intéressant de poursuivre quand un inconnu serré nous sur-relance sont : QQ, AK, KK et AA. Ce sont les seules qui sont au moins à 50% sur la range adverse. Les seules qui vont permettre de retourner contre notre adversaire le fait qu’il sur-relance aussi peu de mains.

Contre un adversaire que vous connaissez bien, vous pouvez envisager de combattre son 3-bet en payant avec KJ ou en 4-bettant (sur-sur-relance) A4 en bluff ou 88 pour value. Avec la bonne dynamique, des scénariis encore plus osés peuvent s’envisager. Mais contre un inconnu, qui n’a rien montré «hors normes» jusque là, vous devriez simplement abandonner la quasi-totalité de vos mains quand il vous sur-relance. Et cela inclut des mains aussi fortes (en théorie) que AQ ou JJ.

«Range manipulation» : étape 2

Nous venons de définir une range très serrée pour combattre un adversaire qui nous sur-relance avec le top 5% des mains. Reste à voir comment répondre au 3-bet.

Là aussi, je vais aller contre quelques idées reçues. Que se passe-t-il si vous décidez, par exemple de 4-bet avec QQ ou AK ?

Si votre adversaire ne 3-bet que 5% des mains, il ne va pas souvent jeter quoi que ce soit quand vous décidez de 4bet. Disons qu’il couche simplement le bas de sa range : 1010 et AQ.

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Même s’il ne couche que ces deux mains et paie ou fait tapis avec le reste (on en sera généralement là après 4 relances), notre QQ/AK vient de perdre significativement en équité. QQ est certes toujours en coinflip, mais AK n’est clairement plus à la fête. Si notre adversaire couche un peu plus de mains, comme JJ ou AQ, la situation s’empire encore.

Certes, on prendra parfois le pot préflop. Mais cela implique que notre adversaire a couché des mains qu’on dominait (QQ vs TT ou AK vs AQ).

Si AK et QQ sont le bas de notre range pour continuer dans la main, alors 4-bet ces mains revient à les tourner en bluff. Tout ce qu’on a obtenu en cliquant sur le bouton «Relance», c’est que notre adversaire couche quelques (rares) mains inférieures, dominées, pour nous retrouver nous-même dans une situation où notre main sera dominée.

Cette notion est assez cruciale dans une logique de manipulation de range. Notre main a beau être un «monstre», prendre la voie la plus agressive (4-bet) contre un adversaire qui 3-bet lui-même sur la seule valeur brute de ses mains (top 5%, range basique de 3-bet pour valorisation) va uniquement nous amener à faire se coucher les mains les plus faibles et nous retrouver avec un «monstre dominé».

Contre ce genre de joueur, qui va seulement 3-bet avec le top 5% des mains, payer simplement avec QQ et AK va tourner la situation à notre avantage en jouant contre une range plus large (top 5% au lieu de top 3% par exemple) qui nous sera plus favorable. Inversement, avec KK et AA, on va pouvoir exploiter la force de son range en poussant l’action préflop.

Pour conclure cette première partie…

Je répète au cas où : il s’agit ici d’un coup joué contre un adversaire qu’on connaît peu (ou mal) mais qui semble correct et joue «serré». Si vous connaissez assez votre adversaire pour estimer qu’il va s’envoyer en l’air avec 88 ou AJ, alors tout ce qui précède n’a pas de sens.

Mais, encore une fois, ne sous-estimez surtout pas à quel point le jeu en tables à petites enchères peut être serré ! Contre un joueur qui n’a encore fait de stupide, ou simplement de surprenant, on va plus souvent perdre de l’argent en mettant la pression avec notre AK que l’inverse.

Tmmy Angelo, dans son excellent ouvrage «Elements of Poker» a créé ce qui est probablement le concept le plus intéressant du poker moderne : le principe de «reciprocality». Le terme est impossible à traduire car créé de toutes pièces par l’auteur. Mais il est assez simple à comprendre : au poker, vous gagnez de l’argent en jouant mieux que votre adversaire si on inversait les rôles à chaque situation donnée.

Quand un joueur d’apparence correct vous 3-bet, si vous décidez de le mettre par défaut sur une range de 5% qui vous fait coucher AQ ou JJ, payer avec QQ ou AK et seulement 4-bet KK ou AA, vous allez manipuler les ranges de telle façon que vous serez toujours en situation favorable contre lui.

Essayez maintenant d’inverser les rôles. Mettez-vous à la place du joueur qui 3-bet. Si votre range est effectivement le top 5% des mains, que souhaitez-vous que fasse votre adversaire ? Est-ce que vous gagnez de l’argent quand il vous paie avec 1010 ou AQ ? Quand il vous 4-bet avec AK ?

Si vous faites la même chose que ce que ferait votre adversaire dans cette situation, personne ne gagne en fait d’argent. Sauf les propriétaires du site où vous jouez (rake) et l’Etat (ARJEL oblige). Tout ce que les deux joueurs font, en suivant le même plan, c’est générer du rake et de la variance. Aucun des deux ne gagne réellement d’argent à long terme, l’argent ne fait que circuler.

Si vous pensez que votre adversaire ne sur-relance qu’une range très serrée (top 5%), il est très facile de manipuler votre propre range pour vous mettre dans une situation où vous gagnerez beaucoup plus que votre adversaire, juste parce que celui-ci ne sera généralement pas capable de faire de tels ajustements.

Et puis, personne ne saura jamais que vous avez jeté JJ ou AQ. Tout ce que vos adversaires verront, c’est que vous avez relancé au Bouton (donc avec quasiment n’importe quoi) et couché sur une sur-relance (logique, vu que vous avez n’importe quoi)…

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