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La légende d'Eli Elezra

Marty Derbyshire
Marty Derbyshire
11 min à lire
Eli Elezra -- poker hall of fame

Si la passion pour le poker était l'unique critère pour entrer au Hall Of Fame, Eli Elezra en serait depuis des années.

"J'ai réalisé fait deux tables finales et 10 places payées aux World Series of Poker cette année mais 11 ou 12 heures de jeu dans les tournois chaque jour ce n'est pas suffisant. Quand je finis je vais directement à l'Aria ou au Bellagio et je fais du cash jusqu'à 5 heures du matin. Et le lendemain j'enchaîne avec un autre tournoi. Pourquoi ? car j'aime le poker", plaide Elezra qui, à 55 ans, est donc nominé pour la première fois de sa vie pour entrer au panthéon du poker.

"J'ai ça dans le sang et je ne suis jamais malade. J'aime ce jeu, j'aime cette guerre de l'esprit"

"Je joue à Las Vegas depuis 1987 et déjà à l'époque je pratiquais 6 ou 7 jours par semaine. Je ne sais pas pourquoi - J'adore vraiment ça. Je ne joue plus les plus grosses limites mais je vais vous dire que lorsque Chip Reese nous a quitté, je suis devenu un très bon ami de Doyle Brunson et nous parlons beaucoup au téléphone. Des fois, Doyle se pose à la maison et dit qu'il ne se sent pas trop bien, il est malade et ne veut pas venir jouer au poker. Je dis toujours la même chose, je lui dis "Doyle, c'est ton médicament, si tu es malade, bouge toi et viens jouer. Quand tu joues tu ne te sens jamais malade. Je vous jure que c'est vrai", explique Eli Elezra. "Je ne sais pas d'où cela vient mais j'ai ca dans le sang et je ne suis jamais malade. J'aime ce jeu, j'aime cette guerre de l'esprit et j'adore encore plus gagner de l'argent en jouant", précise celui dont la vie va bientôt être le sujet d'un livre écrit en hébreux (la sortie est prévue pour fin 2016, début 2017, ndlr).

Animateur de la défunte émission High Stakes Poker, Elezra est né à Jérusalem et y a passé son enfance. Officier dans l'armée, il a fait la guerre du Liban en 1982 et a été blessé à la fin de son service de quatre années. C'est ensuite qu'il a bougé vers l'Alaska où il a travillé dans une fabrique de conserves puis comme chauffeur pour joindre les deux bouts.

C'est avec ses collègues de l'entreprise qu'il a rencontré le poker. Rien de sérieux jusqu'à son déménagement vers Las vegas avec sa soeur et le mari de cette dernière. Le trio s'occupe de plusieurs magasins et Eli traverse la rue pour aller jouer au Stardust Hotel.

"Dès le départ j'ai joué en 20-40$ et en 40-80$ au Stardust et puis j'ai fait mon premier tournoi au Horseshoe, peut être en 1990. En 1991-1992 je faisais du Omaha 8-or-better je jouais les variantes en Stud avec Scotty Nguyen. La vérité c'est que j'ai eu le coup de foudre pour le cash-game, un peu moins pour les tournois. Phil Hellmuth jouait tous les tournois alors que nous ne faisions presque exclusivement du cash. Je me souviens de Billy Baxter qui disait que si nous faisions tous les tournois comme Phil, nous n'aurions pas 13 bracelets mais plutôt 25... mais le cash-game était notre véritable passions", ajoute Elezra avant de se souvenir des années ou il était le poisson de la table.

"Je perdais de l'argent bien sûr, mais je m'amusais vraiment. Mes affaires me rapportaient assez d'argent pour me permettre d'aller au blackjack ou de perdre au baccarat. J'ai juste décidé que le poker était mon truc. Quand tu joues contre le casino tu finis toujours par perdre. Au poker tu peux au moins te marrer même si tu perds. Même en tant que fish, si tu gagnes deux ou trois fois sur 10, tu peux en retirer quelque chose de positif, quelque chose qui va te faire te sentir bien", explique Elezra qui a commencé à s'améliorer et a donc changé de room.

Direction le Mirage où il devient un régulier des parties de Stud aux limites 500-1000$/ Là, il affronte Howard Lederer, Annie Duke ou encore David Grey.

Eli Elezra

En 1998, le Bellagio ouvre et Bobby Baldwin lance des invitations à la communauté du poker high-stakes. Eli Elezra déménage et le fish se transforme peu à peu en shark.

"C'est là que j'ai fait le grand saut. Je jouais en 1000-2000$ et en 1500-3000$ avec Doyle et Chip... et je gagnais. Ils voulaient toujours se refaire, les gens me prenaient pour un fou puisque je jouais en 3-handed avec eux. Mais je gagnais... et j'ai monté une tonne. Aujourd'hui, Doyle est bien meilleur qu'à l'époque. On jouait du H.O.R.S.E. du PLO et du no-limit Hold'em. Le Deuce to Seven Triple Draw est arrivé un peu plus tard, on jouait toujours cette variante en No Limit... j'ai tellement appris de ces mecs. Vraiment les gens pensaient que j'étais fou de me frotter à eux, mais je gagnais et ils étaient les meilleurs du monde", poursuit Elezra

Plumé comme un poulet par le proprio du KFC

L'odeur de l'argent a attiré d'autres joueurs et les Chau Giang, Jen Harman, Jason Lester, Gus Hansen ont commencé à venir. Les limites ont explosé et la partie est passée de 2000-4000$ à 6000-12000$. Le downswing n'a pas été long à se montrer. Très actif, jouant trop de coups, Eli a néanmoins vu qu'il y avait trop d'argent à faire pour ne pas passer professionnel. Il va donc laisser sa famille gérer le business et squatter les tables du Bellagio.

"Nous avions une vingtaine de boutiques à l'époque mais des ces parties vous pouvez perdre 300 ou 400 000$ la nuit. C'était un business bien plus énorme", se souvient Elzra avant d'enchaîner sur sa plus grosse perte. "J'ai perdu 1,1 million de dollars en une journée. J'ai cramé cela en 30 heures dans une partie contre John Young Brown, le propriétaire de Kentucky Fried Chicken et aussi le Gouverneur du Kentucky. Les joueurs repartaient chez eux, dormaient un peu, revenaient directement à la table... et nous étions toujours assis, en train de jouer. On nous prenait pour des fous. Mais, en une nuit j'ai déjà gagné 1,8 million de dollars. j'étais intouchable. C'est là que j'ai réalisé que les cartes peuvent te servir ou te détruire. Vous avez une session comme ça et vous pensez être le maître du monde... et puis vous perdez et vous vous mettez à penser que jamais plus vous ne gagnerez", explique celui qui est donc devenu une figure centrale de la Bobby's Room lors des années suivantes.

La victoire d'un joueur du Tennessee aux WSOP va changer la perception d'Elezra. Le succès de Chris Moneymaker sur le Main Event WSOP 2003 renouvelle le pool de joueurs et pousse Eli à se consacrer un peu plus aux tournois. "A l'époque du boom, mes gamins pouvaient voir du poker à la télé, ils ont commencé à me demander pourquoi ils ne me voyaient jamais. C'est là que j'ai décidé de jouer des tournois", révèle-t-il.

Une équipe de tournage israélienne vient même suivre Eli lors du Main Event des WSOP 2004. Elezra se retrouve dans le haut du classement au Jour 3 et il se retrouve à la table d'un autre gros tapis, Greg Raymer. Retardé par l'équipe du film, Elezra va jeter 9x9x sur un 3-bet de Raymer pour sa première. Le flop viendra hauteur Ax avec un 9x et Raymer montrera AxKx... Aujourd'hui encore, Elezra se souvient de cette main. Il terminera 170e du tournoi alors que Raymer finira par s'imposer.

Eli Elezra

"J'étais frustré quand j'ai sauté. Quelle déception. L'équipe a pu voir la douleur sur mon visage. J'ai alors déclaré que je gagnerais un million sur un tournoi dans l'année. Je l'ai fais 3 mois plus tard au Mirage Poker Showdown", continue Elezra qui a remporté un titre World Poker Tour et exactement 1 024 574$ à cette occasion. En Table Finale, il a disposé de Gabe Kaplan, John Juanda et Scotty Nguyen puis a dédié sa victoire à ses enfants.

C'est en 2007 qu'Elezra a remporté le premier de ses trois bracelets WSOP... mais la plupart des passionnés de poker le connaissent pour ses apparitions dans l'émission High Stakes Poker. Durant 7 saisons, de 2006 à 2011, il apparaît régulièrement aux côtés des plus grands noms du poker.

HSP : Eli Elezra enflamme la table

"Je me souviens quand Mori [Eskandani] (le producteur, ndlr) est venu nous voir à la Bobby's Room pour nous dire qu'il voulait montrer notre partie. Chip, Doyle, Chau et Daniel [Negreanu] étaient tous là. Il nous a dit de ne rien changer et de jouer à la télévision exactement comme nous le faisions, la seule différence c'était que les spectateurs verraient nos cartes. C'est Chip qui m'a convaincu et au bout de cinq années et sept saisons, j'étais aussi célèbre que Matt Damon dans le poker. Tout le monde me connaît de cette époque", raconte Elezra qui va devoir manquer l'ultime saison pour des raisons contractuelles avec Full Tilt Poker.

Positif lors de 5 saisons sur 6, Elezra ne se jette pas des fleurs pour autant. "Je ne vais pas dire que je suis le gourou du No Limit. Je jouais principalement en mixed games mais sur les émissions High Stakes Poker j'ai joué ABC et gagné. Il y avait toujours un gamin comme Brad Booth pour tenter un bluff à un million. Je ne faisais qu'attendre", explique-t-il.

Eli Elezra -- poker
Jack Effel félicite Eli Elezra pour sa victoire aux WSOP 2013

Confiant en son jeu avant High Stakes Poker, Elezra en ressort encore plus fort. Il remporte une 2e breloque en 2013 et continue à jouer les plus grosses parties avant de s'imposer à nouveau en 2015. S'il a baissé ses limites de jeu, il évolue désormais en 200-400$, Elezra a repris feu sur les tournois depuis sa nomination au Hall of Fame.

Pour sa troisième participation à un WSOP Circuit, Elezra fait l'argent et termine runner-up au Planet Hollywood pour 105 281$. Dans la foulée, il termine 6e du 3500$ joué dans le cadre de la série Venetian DeepStack Extravaganza et ajoute 46 000$ à ses gains. Elezra enchaîne ensuite avec la victoire sur un tournoi à 400$ où il encaisse 34 156$ !

Elezra dévoile le secret de sa réussite actuelle à PokerNews... des pertes en cash-game. Elezra n'a jamais perdu trois jours de suite depuis qu'il a commencé le poker car il ne joue pas après deux sessions perdantes consécutives. "C'est un truc que j'ai appris de Chip Reese. Quand je perds deux fois, je ne reviens pas pour une 3e session. Mon pote David Levy m'a appelé mais je n'allais pas faire une 3e session perdante de suite, il m'a donc dit de venir participer à ce WSOP Circuit. C'était un Main Event à 1600$ et je me suis dit pourquoi pas. Le tournoi avait commencé il y a 5 heures mais nous il était toujours possible de s'enregistrer. A peine assis, j'ai monté des jetons et c'est parti de là", confie Elezra.

Eli Elezra

Eli a enchaîné au Venetian pour les mêmes raisons, Levy lui ayant conseillé de jouer. "Il m'a dit de me rendre là bas et il avait raison. Je me souviens quand Michael "The Grinder" Mizrachi a eu le même genre de rush il y a quelques années. Quand vous êtes dans la zone, que le momentum est là, il faut le garder. Je sens que tout est en place et ce n'est pas un jeune de 22 ans avec les lunettes de soleil et un sweat à capuche qui va me stopper. Je ne pense pas être le faire valoir de quiconque, il n'y a que Phil Ivey qui est au dessus. C'est le seul qui m'intimide encore à table alors que j'ai beaucoup joué avec lui. Stu Ungar était de cette classe aussi. J'ai joué 15-20 sessions avec lui et même s'il se droguait, il était vraiment très dur à jouer. Il était vraiment sans limite, littéralement".

"Ce n'est pas un jeune de 22 ans avec les lunettes de soleil et un sweat à capuche qui va me stopper. [...] Il n'y a que Phil Ivey qui est au dessus. C'est le seul qui m'intimide encore".

Après ses deux bons résultats, Elezra a pris la direction du Borgata pour jouer en cash. Il lâche alors 40 000$ en deux jours. Prévoyant de rester une soirée tranquillement dans sa chambre, il reçoit un nouvel appel de Levy qui lui dit qu'un 400$ sur une seule journée se déroule en ce moment même. "Nous sommes descendus un peu après 15 heures, le tournoi avait commencé à 11 heures. A 5 heures du matin, j'avais gagné et j'étais à jeu pour cette escapade", rigole le nominé pour le Hall Of Fame.

Eli Elezra remplit les critères en ayant joué contre les meilleurs aux plus hautes limites. Malgré ce qu'en dit NEgreanu, Elezra a bien traversé les époques en jouant à un niveau plus qu'honorable et gagné le respect de ses paires en étant performant sur une durée importante.

"Quand je me motive pour jouer en No Limit, je crois avoir montré à tous que la vieille école n'est pas encore dépassée. Pour être honnête, j'ai ressenti quelque chose quand j'ai vu mon nom sur la liste, d'autant plus que le public joue un rôle dans cette nomination. Je ne savais pas que les fans pouvaient faire entendre leur voix et je n'ai pas fait de campagne en ma faveur donc cette nomination c'est vraiment un cachet à 25 ans de joie comme je l'ai dit sur Twitter. Je m'amuse toujours autant au poker, j'aime cela et je suis vraiment heureux d'être reconnu", raconte Elezra avant de conclure qu'il "tuerait pour entrer au club".

"Que j'y entre cette année ou dans le futur, ça serait le paradis. Je ne sais pas quoi vous dire de plus", termine celui qui restera quoi qu'il arrive dans la légende du poker moderne.

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