822 joueurs sur la ligne de départ du BPT Deauville et ils ne sont plus que 74 en lice à revenir au Salon des Ambassadeurs du casino Barrière, ce lundi 11 novembre 2019.
Parmi eux, un amateur en train de vivre le rêve d'un deep-run sur un tournoi au prizepool de 394 560€: Xavier Brioit. Le jackpot n'est pas encore pour tout de suite mais l'idée de remporter un gros gain à 5 chiffres est de plus en présente pour cet ancien blogger poker. Homme d'expérience, notre ami nordiste ne met pas la charrue avant les boeufs et se concentre sur la dernière journée de tournoi... Bienvenue au Jour 3 !
La nuit a été très courte. J’ai mis mon réveil à 10h30 et à peine a-t-il sonné que je saute sur mon portable pour regarder le chipcount complet des joueurs restants et éventuellement le seatdraw pour voir les tapis à ma table. Je suis à la fois excité et serein, curieux sentiment.
Sur le papier, je suis content du tirage des tables, je me situe à la moyenne sur les 74 joueurs restants, et j’ai une table équilibrée en terme de chips.
Je me lève, me douche, je prends un bon petit déjeuner - le croissant c'est l'arme secrète - en réfléchissant à mes objectifs, et à ma stratégie. Plus jeune, j’avais tendance à attendre, à être extrêmement passif dans cette phase pour aller le plus loin possible. J’ai vieilli, j’ai mûri. Je préfère désormais perdre rapidement en tentant plutôt que gratter quelques places et finir dévoré par les blindes. Je m’y prépare. Il est l’heure, direction le casino, ma nouvelle maison. Je suis déjà dans les payés mais mon objectif va au-delà. Evidemment. On veut tous gagner. J'ai décidé de me fixer des objectifs intermédiaires pour ne pas perdre de vue l'important: Top 24, Table Finale... et la gagne.
Je commence aussi à recevoir les premiers messages d’encouragement par sms ou via les réseaux sociaux. Cela me fait chaud au cœur et me motive à bloc. C'est ma journée.
Je suis Table 2, siège 2. A la même table que Nathan (Gozlan, futur runner-up), Erwan (Louer qui fera 5e) et Smain (Mamouni qui finira 3e) qui seront en table finale avec moi quelques heures plus tard… Nathan me fait une grosse impression. Il entre dans un coup sur deux et les gagne tous. Il ouvre de nouveau, et je décide de 3-bet light. Je folde sur son 4-bet… Pas de chance il a KxKx.
En ce début de journée, je serre les fesses, je franchis les paliers un par un, mais la table est clairement très relevée, beaucoup plus que toutes les précédentes réunies… Mon tapis baisse, et mon moral aussi. La fatigue se fait sentir très fort. Je m’abreuve de café, monte le son de ma musique, me lève régulièrement pour mieux faire le dos rond…
Arrive le premier coup de pouce du destin… Nous sommes encore 27 joueurs à y croire. Je suis short avec 725.000 jetons, C'est 15 fois le tapis de départ... mais maintenant ce ne sont plus que 10 blindes. Je suis de petite blinde et tout le monde passe. J’ouvre Kx3x et j'ai la main parfaite pour mettre la pression. Mon image, le palier et l’approche des 24 dernier joueurs et donc le démarrage du streaming, il faudrait vraiment qu'Erwan ait une belle main pour me payer… Genre le AxQx avec lequel il me paye dans la demi-seconde !
Flop Ax2x2x, j’ai déjà remis mon gilet, et je mets une manche de mon manteau quand j’entends Erwan dire « pas de 5 » lorsqu'un 4x apparaît au tournant… Le coup de la veste ça marche plutôt bien !
Bref, je retire mon manteau et savoure le premier objectif atteint. Nous passons à 3 tables, 24 joueurs sont encore dans la course et le streaming annoncé va débuter… C'est génial, mes grands vont pouvoir me suivre depuis Annoeullin, le soutien de mon Léo et de Jeanne a aussi compté durant ce parcours exténuant.
Il y a de la fatigue mais de l'excitation aussi même si j'essaye de ne rien montrer. Poker Face... alors que mon téléphone se met en surchauffe. Whatsapp, sms, messenger, viber, cela n’arrête pas. Je reçois des messages de potes perdus de vue depuis des années, je reçois les encouragements des membres de mon club de tennis, de ma famille, de mes collègues, de la fameuse Team pokerprofs (des ensignants à qui j’ai appris à jouer et avec qui nous jouons encore une fois par mois depuis 2006), de mes amis du théâtre etc…
Le nombre de joueurs diminue... mais de plus en plus doucement. Si près du graal, si loin du but. J’ai l’impression de m’être presqu’endormi à le table. Je dois me reprendre et je décide de parler, de déconner avec la table et de montrer que je suis là, par tous les moyens. J’écris aussi mes objectifs sur une note sur mon téléphone, pour les avoir sous les yeux, les avoir en tête.
Smain, Xavier et Nathan...
Arrive cette paire de dix, la zizou comme les jeunes l’appellent. J'ouvre et mon voisin, Frédéric Bois, fait comme s’il allait relancer mais se ravise, il paie simplement. Parham envoie un énorme parpaing de la grosse blinde. Vu les profondeurs et ma position, je n’ai que deux choix : passer ou pousser… Je passe et préfère attendre un meilleur spot. Je ne le regrette pas quand j’entends Frédéric relancer et Parham tout mettre au milieu derrière.
Quelques mains plus tard, j’ai J♠10♠. J'ouvre du bouton, et Parham me renvoie une grosse sacoche de grosse blinde. Je ne peux pas me laisser marcher dessus une fois de plus. Une grande respiration et j’annonce tapis. Il passe paire de 7. A cet instant, je me dis que je vais sur cette belle estrade devant moi, la finale m'attend…
C'est surtout le dinner break d’une heure qui approche. Je préviens ma famille que cela me ferait du bien de rentrer. Je suis attendu en pacha. Je rentre en courant, m’installe devant un magnifique repas et savoure ce petit moment en famille. Une respiration. Mon beau-père fait le chauffeur trois quarts d’heure plus tard et il restera aussi pour m’encourager jusqu’à la fin de mon aventure. C’est très réconfortant d’avoir une présence, un soutien, un simple regard familier quand on prend un coup dur.
Il faut de la réussite au poker... et je me retrouve en demi-finales sur la table des petits tapis. Les gros se mangent entre eux et nous tentons juste de survivre en faisant tapis au bon moment. Deuxième coup de pouce du destin quand je gagne mon 30-70Ax7x contre Ax10x chez Parham Ahoor. Mon téléphone explose. Je reçois 70 messages d’un coup !!! C’est hallucinant… Je ressens vraiment tous ces amis derrière moi. Même mes parents sont derrière leur écran !
J’ai le sentiment de jouer juste lors de ces demi-finales. Je paie aussi un tapis dans le noir de Thierry (Luksenberg, qui a terminé 5e en 2018 et 8e de cette édition 2019, ndlr). Même si je n'ai pas chatté, j’adore ces coups où seuls les maths entrent en ligne de compte:
Encore des calculs peu après... Je me résout à passer AxQx sur un tapis de Thierry car il ne reste rien à Parham. Perdre le coup me mettrait en grande difficulté et il n'a plus qu'une blinde à la bulle de la finale. Quelques secondes plus tard, j’ouvre encore AxQx... je relance et me retrouve obligé de payer le tapis de Fernand, très short aussi et qui retourne pour la 100e fois de la journée la meilleure main du poker. Je perds le coup, peu importe, je savais que je le couvrais largement au début du coup.
Dans la foulée, c'est même moi qui provoque le regroupement sur l'ultime table. De petite blinde, j'ai 10♠9♣ après un fold général... et je pousse Parham et ses 3 blindes à tapis. Il paye avec Kx4x mais je trouve un 9x au flop pour mettre fin à son parcours.
La voie royale
C’est la table finale. Nouvel objectif atteint! Je suis prêt à en découdre tout de suite et maintnenant. Mais je comprends que nous allons avoir de l’attente. Un protocole se met en place. Je pars répondre aux questions de Lucille Denos à qui je demande en première intention de faire un coucou à mes enfants.
Puis la cérémonie commence avec la musique d'introduction des Chicago Bulls de Michael Jordan... nous sommes appelés et présentés par Lucille un par un. Je découvre alors les habitudes et le palmarès de chacun des finalistes. Je comprends aussi que je suis placé entre les deux meilleurs joueurs de la table, Smaïn et Nathan. Peu importe, tout va bien, je n’ai certes plus que 17 blindes mais je suis loin d’être le plus short de la table. Ludovic au siège 3 ayant un énorme avantage sur tout le monde avec plus de 60 blindes.
A la reprise, je continue à être dans le bon timing... mais nous sommes vraiment rattrapés par la structure. Attention, je ne la critique pas, elle était splendide. Mais les demi-finales ont duré une éternité, tous les shorts, dont moi ayant doublé... comme prévu les niveaux ne durent plus que trente minutes et il ne faut plus traîner en route alors que les enjeux grimpent.
Chaque coup coûte 1 million de jetons et la profondeur est réduite pour tout le monde ou presque ! Alors avec Q♠J♠ au cutoff, je n’hésite pas et envoie le tapis avec cette main légitime. Gros animateur du tournoi, Alexis paye avec une petite paire... et je gagne mon flip!
A cet instant précis, je me le dis : je vais atteindre le dernier objectif. C’est mon one time. Je reste concentré à table, et quand je retourne KxKx, je me dis que c'est la voie royale qui s’ouvre devant moi…
La suite vous la connaissez (revenu à 12-13bb, Xavier s'incline sur cette main contre AxKx). Sacrée rivière. Je suis sonné bien sûr. Je suis surtout très ému quand Nathan me dit «tes enfants peuvent être fiers de leur papa».
Je pars persuadé que Nathan sera l’heureux vainqueur de ce tournoi. Je pars persuadé que si les Rois étaient passés, j’aurais pu l’emporter. Peu importe, je gagnerai le prochain. Un énorme Bravo à Hervé pour sa belle victoire et son calme absolu toute la journée.
Retour à la réalité. Il est 3 heures du matin ce mardi... Impossible de me coucher, l’adrénaline est encore bien trop présente. Nous prenons la route et je conduis les 3 heures qui nous séparent de Lille. Puis j’enchaînerai les cours, le théâtre, avec la formidable envie d’en découdre à nouveau…
Depuis, c'est un break poker forcé. Un déplacement professionnel de 2 semaines m'a en effet emmené à Shanghaï. J'ai pourtant une seule envie, toucher les cartes de nouveau. Ce sera probablement en cash-game au casino de Saint-Amand-les-eaux, en attendant un beau tournoi en début d’année prochaine... peut-être le FPO si mon emploi du temps le permet.
