Stratégie Poker : Triple-mises (3-bets) et squeeze play en shorthanded
Pour commencer définissons ce qu'est une triple-mise, plus communément appelé 3-bet (prononcer three-bet). C'est le fait de sur-relancer un adversaire préflop. Si un des joueurs relance, avec ou sans autre joueur dans le coup, et que vous le sur-relancez de trois fois le montant de sa mise, vous faites un 3-bet. Cette stratégie de mise simple et efficace est devenue très à la mode. C'est un coup large-agressive (LAG) et de nos jours être LAG c'est être cool, alors regardons de plus près les mécaniques de cette tactique, afin de pouvoir devenir cool, nous aussi.
Il fut un temps où de nombreuses main se décidaient sur le flop, mais de plus en plus les joueurs d'aujourd'hui ont tendance à jouer plus large et se montrer plus agressif, en particulier sur les tables « shorthanded » c'est-à-dire avec 6 joueurs maximum (6-Max). Ceci élargit automatiquement la sélection de mains possibles chez vos adversaires. En, d'autres termes, votre côte implicite est généralement avec une main comme 9♠ 10♠ est relativement moins intéressante dans la mesure où votre adversaire a souvent une main trop faible pour risquer tout son tapis.
Pour résoudre ce problème, nous préférons maintenant couper leur élan préflop, et ramasser leur mise sans showdown, en plus des blinds bien sûr. Quand le coup va jusqu'au flop, vous avez l'initiative en tant que dernier relanceur et pourrez souvent ramasser le pot avec une simple mise de continuation (continuation bet ou c-bet). J'ai commencé à jouer des 3-bets il y a environ deux ans, et je me souviens encore de mes premières tentatives. J'avais relancé un joueur avec A♣K♣ et raté le flop, mais je faisais quand même mon continuation bet et eut le plaisir de voir mon adversaire se coucher. Je me suis alors dit, si ça marche si bien avec des mains comme AK, AQ et AJ, pourquoi cela ne marcherait-il pas avec 5♣7♣ ? A priori, si vous faites exactement les mêmes mises, vous représentez la même sélection de mains aux yeux de votre adversaire. C'est comme ça que j'ai commencé diverses expériences avec les 3-bets.
Point très important : votre triple-mise doit toujours être du même montant. Bien sûr vous pouvez varier un peu dans une certaine mesure, notamment en fonction du profil de votre adversaire, mais vous devez toujours vous assurer que la côte implicite du relanceur adverse est la plus basse possible. Si vous êtes en position vous pouvez faire une sur-relance standard. En général je sur-relance de 3 fois sa relance + 1 grosse blind. S'il y avait un limpeur avant le relanceur, je sur-relance alors de 3 fois sa relance + 2 grosses blinds. Si je suis hors de position (aux blinds par exemple) je sur-relance encore un peu plus fort, environ 3 fois la relance + 3 grosses blinds. Il a l a position et donc plus de côte implicite qu'hors de position. En ajoutant une ou deux grosses blinds à votre sur-relance, cela sera beaucoup plus difficile pour votre adversaire de vous payer avec ses mains les plus marginales.
Pour clarifier les choses, voyons la différence entre 3-Bet et squeeze play. Lorsqu'on 3-bet, il y a un relanceur et vous le sur-relancez. Quand vous faites un squeeze, il y a aussi un relanceur MAIS ce dernier est suivi par un autre joueur avant votre parole. On appelle cela un squeeze à cause de l'effet de tenailles ainsi produit : le relanceur initial ne sait pas ce que le premier suiveur qui parle après lui va faire et s'il a une grosse main ou pas. Vous mettez beaucoup de pression sur le relanceur initial et le prenait en tenailles entre deux joueurs, ce qui lui fera jeter sa main beaucoup plus facilement contre un squeeze que contre un 3-bet. Vous devez choisir avec précaution le bon moment et la bonne main, car vous devez prendre en compte le fait qu'il y ait trois joueurs dans le coup et non seulement deux.
A mon avis la situation idéale est la suivante : vous jouez sur une table de 2$/4$ contre cinq joueurs et le joueur au hijack (une position avant le cutoff) relance à 16$. Le joueur au cutoff suit, et nous relançons à 60$. Nous avons la position, il y a beaucoup d'argent mort au pot, et nous mettons la pression sur le relanceur initial. Le suiveur aura souvent une main trop faible pour se permettre de vous payer, sinon il aurait sûrement sur-relancé lui-même.
Si le relanceur initial se couche et que le suiveur commence à montrer de la résistance, en général je ne donne pas beaucoup de crédit à ce joueur. Souvent il aura une paire ou AQ voire AJ. La plupart des joueurs se coucheront avec des connecteurs assortis comme K♠ Q♠ contre votre sur-relance. Quand on parle de 3-bet c'est souvent sur une table shorthanded, car c'est à ces tables que vous verrez le plus souvent ce coup. Evitez de sur-relancer un relanceur en premier de parole (UTG) sur une table de dix joueurs. Ce serait du suicide. Sur une table complète de neuf ou dix joueurs, une relance UTG est un signe de grande force, donc donnez à la main du relanceur le crédit qu'elle mérite. Essayez de garder vos 3-bets et vos squeezes pour les relanceurs en position tardive sur les tables complètes « full ring ».
Pour en revenir aux parties shorthanded, nous savons maintenant combien nous allons miser. Mais combien mise-t-on sur le flop ? Vous verrez souvent des joueurs envoyer de très gros continuation bets. Personnellement je suis plutôt de ceux qui préfèrent miser plutôt petit. De cette façon vous aurez plus d'action sur vos gros 3-bets préflops avec des mains prémiums comme AA et KK, et en même temps vous économiserez des jetons lorsque pris en flagrant délit de bluff. Dans tous les cas, gardez le même montant de mise, sinon vous deviendrez plus prévisible pour vos adversaires. Quand vous bluffez avec un c-bet je me contenterai de suivre les règles standards des mises de continuation.
Disons que vous êtes sur une table de 2$/4$ en No Limit hold'em et un joueur relance à 16$ préflop. Vous faites un 3-bet à 52$ (16$x3 + 1xBB). Les blinds se couchent et notre relanceur paie. Le pot est de 110$. Vous verrez souvent le relanceur envoyer un lourd c-bet de 100$ environ, mais je pense qu'il est plus sensé de miser 78$ ou 80$ ici. Cela donne plus de poids à la crédibilité de vos bluffs tout en permettant d'être souvent payé avec une main prémium. Par exemple si vous faites un 3-bet avec A♣A♠ dans cette situation et que le flop sort K♣9♦5♠, on ne peut pas imaginer que vous aurez beaucoup d'action de la part de mains plus faibles si vous envoyez 110$ au flop. Evidemment des mains comme KQ et AQ peuvent rester éventuellement dans le coup, mais jamais une main comme 77. Alors que si vous misez 80$ au flop, et faites parole sur le tournant, vous pourrez sûrement vous faire payer votre mise de valorisation (value bet) de 180$ à la rivière. Ceci marche souvent car vous représentez une main avec laquelle on contrôle le pot, comme AK ou AA. Essayez aussi de faire votre c-bet de façon rapide. C'est un faux tell qui marche souvent quand on essaie de représenter de la force.
Quand vous bluffez avec un 3-bet, pensez juste à la façon dont vous joueriez avec les As et appliquez les mises adéquates. Ainsi vous représenterez toujours une main forte et votre bluff sera d'autant plus efficace. Je n'ai pas parlé de la sélection de mains avec lesquelles on peut faire des 3-bets, tout simplement parce que la main n'a pas tant d'importance. Le but d'un squeeze ou d'un 3-bet n'est pas d'aller voir le flop mais de ramasser le pot et développer votre image à la table. Les joueurs auront du mal à vous lire et risquent de vous donner plus d'action sur vos mains les plus fortes.
Ne vous transformez surtout pas cela dit en « machine à 3-bet » vous passeriez pour un LAG maniaque et verrez beaucoup plus souvent vos adversaires vous répondre en envoyant leur tapis. Vous pouvez cependant exploiter ce fait en jouant plus serré et laisser vos adversaires s'embourber contre votre jeu max. Le timing est primordial surtout en shorthanded. Si par exemple sur une table de cash game online vous avez 3-bet un joueur 2 fois de suite, que sur une autre table ce même joueur relance préflop, et que je retourne A♣J♥ en petite blind, je vais souvent juste me coucher, simplement parce que je vais avoir plus d'action que je n'en veux avec ce genre de main. Payer sec avec une main comme A♣J♥ n'est tout simplement pas raisonnable ici.
Bien entendu il y a aussi des situations où nous ne sommes pas l'agresseur en 3-bet, mais le relanceur initial. Nous misons et un joueur nous sur-relance préflop. En général je joue très serré dans ce contexte, mais j'essaie de ne pas lâcher trop facilement non plus.
Il fut un temps où je sur-relançais à tapis sur un 3-bet adverse, mais le problème est qu'il faut aussi risquer toute sa cave lorsqu'on fait cela en bluff. Aujourd'hui je préfère nettement faire un méchant 4-bet. Je dis méchant 4-bet car ce que je fais en fait c'est sur-sur-relancer très petit. Toujours à notre table exemple de 2$/4$, nous relançons à 18$ et un joueur sur-relance à 52$. Ici vous verrez assez souvent un 4-bet c'est-à-dire environ trois fois la sur-relance (parfois plus) ce qui donne une mise de 156$. Premièrement, vous donnez l'impression que vous ne lâcherez jamais votre main, donc votre stratégie est bien trop agressive pour être souvent payé, ce qui veut dire que vous perdrez de l'argent, et vous risquez d'en perdre encore plus si vous bluffez. Lorsque vous avez une grosse main, vous pouvez donner l'impression de bluffer avec simplement une sur-relance de 2,5 au lieu de 3 ou 4. Misez 128$ ou dans ces eaux-là. Cela marche plutôt bien et vous laissez la possibilité à votre adversaire de tenter le tout pour le tout avec AQ ou TT, en particulier lorsqu'il est persuadé que vous bluffez. Si tel était le cas, vous pouvez encore vous coucher. Si vous êtes payés sec (ce qui est rare), faites comme si vous aviez les As quand vous bluffez, et quand vous avez les As, misez comme si vous bluffiez.
Essayez aussi de varier vos 4-bets, mais en général je vais payer ou me coucher sur un 3-bet. Mon image est très agressive et donc je garde mes 4-bets pour les meilleurs mains, car malgré tout il y a toujours des joueurs pensent que je bluffe et capables de m'envoyer leur tapis, donc je leur laisse la place de le faire quand j'ai les "nuts".
Quand vous payez une sur-relance, soyez sûr de bien calculer votre côte implicite. Cela n'a pas grand sens de payer une sur-relance standard avec 9♠10♠ lorsque chacun de vous a une cave de 100 grosses blinds. Vous ne toucherez votre flop pas assez souvent pour que el soit rentable. Attention aussi aux paires servies. Si votre adversaire est plutôt serré, il aura souvent un gros jeu et valorisera ainsi son brelan floppé. D'un autre côté, s'il le joueur est agressif, il est rarement intéressant de payer, parce que quand vous toucherez votre brelan il n'aura peut-être que 2-3 en main. C'est vraiment un sentiment affreux de devoir check/fold après avoir fait un 3-bet, donc faites en sorte d'être le plus souvent possible en position lorsque vous jouez contre un 3-bet.
Si je trouve effectivement quelque chose au flop en général je joue hyper-agressif. Même si je trouve un brelan ! Si mon adversaire fait un c-bet, je vais souvent envoyer mon tapis. Si je trouve un tirage couleur max, tout pareil. Ou si par exemple, vous avez 4♣4♦. Vous êtes sur-relancé, vous payez et le flop tombe 2♣5♦6♠. S'il fait un c-bet, je vais aussi faire tapis, représentant un semi-bluff. Vous serez étonnés de voir combien de fois vous ramasserez le pot ainsi. Cela assure aussi votre image de joueur imprévisible, donc dangereux, et vos mains les plus fortes vous donneront ainsi beaucoup plus d'action.
Ce n'est aussi en général pas une si mauvaise idée de juste payer de temps en temps avec votre grosse paire quand vous êtes sur-relancé. Vous devez juste être sûrs de ne pas vous retrouver avec six ou sept joueurs sur le pot, ce qui rendrait le reste du coup très difficile pour vous. Mais contre un seul joueur, cela peut être très payant de se contenter de payer sec avec AA à l'occasion. Souvent votre adversaire vous croira plus faible et pensera avoir la meilleure main préflop avec JJ ou TT. Dans tous les cas, il vous faudra expérimenter cette stratégie par vous-même pour voir dans quel schéma de mise vous êtes le plus à l'aise et contre quel joueur telle ou telle tactique paie le plus.
Une façon simple et peu risquée de gagner de l'expérience en se lançant dans l'expérimentation de nouveaux concepts, et de les essayer à une limite inférieure à votre limite habituelle, vous ne le ferez pas pour les gains, mais bien pour minimiser vos pertes, et gagner en confiance sur ces coups. La confiance en soi est probablement l'un des ingrédients les plus importants du succès des 3-bets et des squeezes. Une fois acquise, vous serez un vrai danger sur votre table, et les joueurs réfléchiront deux fois avant d'attaquer vos blinds lorsque la possibilité se présentera. Vous y gagnerez le respect, et beaucoup d'argent, parole de squeezeur !