Le poker au cinéma : un accueil critique pour 'Le Kid de Cincinnati'
Les débats sur le meilleur film de poker de tous les temps finissent toujours en une discussion passionnée sur les mérites respectifs de quelques inamovibles favoris, dont Le Kid de Cincinnati (1965). Il y a longtemps qu'un bon film sur le Poker n'est pas sorti au cinéma — le dernier en date étant probablement Les joueurs (1998) — ce qui explique sans doute le plébiscite du Kid de Cincinnati dans une catégorie de films encore trop peu explorée par Hollywood.
Les joueurs de poker ont des critères qui leur sont propres pour juger des films sur le poker. Assez souvent, l'un de ces critères est : « le jeu est-il présenté de manière suffisamment crédible/authentique ? ». Tout comme les amateurs de films de sport, les joueurs de poker recherchent l'authenticité avant tout lorsqu'il est question de la mécanique du jeu, des motivations des joueurs et de leurs décisions, et même de l'importance relative du jeu dans la vie des personnages.
Néanmoins, intéressons-nous à la manière dont ce genre de films est perçu dans la population en général. Alors que Le Kid de Cincinnati occupe un statut particulier chez beaucoup de joueurs de poker, quelle a été la réaction des spectateurs à la sortie du film en 1965? Et qu'est-ce que cette réaction nous apprend sur la place du poker dans la culture populaire des années 60 ?
Le Kid de Cincinnati: un projet "non-cinégénique"
Au moment de la sortie du film, le 15 Octobre 1965, il n'y avait pas beaucoup de films centrés sur le poker auxquels comparer Le Kid de Cincinnati. Dans sa série d'essais sur le poker Total Poker, datée de 1977, David Spanier accorde un chapitre aux films sur le poker. Spanier note que bien que le poker soit un « ingrédient habituel des westerns," il n'en constitue qu'un élément secondaire et, de fait, au moment où Spannier écrit son texte, on trouve bien peu de films dans lesquels le poker occupe le devant de la scène, comme c'est le cas avec le Kid.
La décision d'adapter au grand écran le roman pulp de Richard Jessup de 1963, The Cincinnati Kid, n'a pas été facile. Dans les commentaires du DVD, le réalisateur du film, Norman Jewison, nous apprend qu'à l'époque le poker n'était pas considéré comme un sujet suffisamment dramatique, au sens théâtral du terme. "Lorsque j'ai pris la direction du film," dit Jewison, "beaucoup de gens pensaient qu'un jeu de cartes, c'était la mort — qu'il était impossible d'en faire un film, que c'était juste totalement non-cinégénique.."
Jewison continue ensuite, expliquant comment le fait de créer des personnages suffisamment intrigants pour intéresser le public, pour le forcer à prendre partie, a été l'une des stratégies choisies pour lutter contre cet à-priori. Et il admet aussi avoir dû faire face à beaucoup de difficultés techniques pour filmer les scènes de poker, "Avoir une table ronde autour de laquelle sont assis 5 personnages est un véritable cauchemar pour le réalisateur," dit-il — Jewison voit le poker comme un excellent moyen d'explorer la culture américaine. "Au poker, tout tourne autour du gain et de la victoire" argumente-t-il. "Voilà la raison pour laquelle ce jeu est si populaire en Amérique, parce qu'ici aussi, tout tourne autour du gain et de la victoire."
Lorsque Jewison dit qu'il "a pris la direction du film", il fait en fait référence au débarquement brutal de Sam Peckinpah, le premier choix de la MGM et du producteur Martin Ransohoff pour diriger le film. Mais un Peckinpah trop obstiné subît les foudres de Ransohoff dès le début de la production, et il n'aura finalement eu le temps que de tourner deux scènes, — une fusillade impliquant 300 figurants et une scène de nu-- avant de se faire virer. On se demande quelle sorte de film un réalisateur comme Peckinpah aurait fait du roman de Jessup.
Plus que tout autre signe peut-être, la décision de Ransohoff d'embaucher Jewison au pied levé, un réalisateur novice dont l'expérience jusque là se limitait à la télévision et à des comédies, reflète la prudence avec laquelle la MGM a opéré pour produire son film sur le poker. Jewison a sans doute amené sa propre touche de créativité au projet mais il a aussi dû être beaucoup plus facilement gérable que Peckinpah lorsque Ransohoff posait son véto sur certaines des décisions du réalisateur. Le fait est que le studio n'était pas du tout sûr qu'un tel film puisse trouver un public; les à-priori sur "les films qui parlent d'un jeu de cartes" pouvaient très bien signifier un désastre au box office si le projet n'était pas géré avec soin.
Eclipsé par L'arnaqueur
A la sortie du Kid de Cincinnati, les premières critiques sont mitigées, les mauvaises plus nombreuses que les bonnes. Pour certains, le choix du thème anéantit de facto le potentiel du film. Howard Thompson commence sa critique pour le New York Times en insistant dès le départ sur le fait que ce film "est strictement réservé à ceux qui vénèrent, ou au moins jouent, au stud poker." Un tel constat, non seulement ignore le fait que l'histoire est capable d'attirer des non-pratiquants, mais semble aussi impliquer quelque chose à propos du poker en général, dont "la singularité" limiterait nécessairement l'intérêt des films qui en traitent.
Thompson accorde bien quelques bons points, tressant des lauriers à Edward G. Robinson (qui joue Lancey Howard) ou à Joan Blondell (Lady Fingers) pour leur interprétation, ou encore approuvant certaines idées de Jewison, comme par exemple l'uttilisation des décors naturels de la Nouvelle-Orléans. Mais dans l'ensemble, Thompson trouve que les personnages et l'histoire n'ont que peu d'intérêt, et que ce film ne fait que pâle figure face à L'arnaqueur, "dont le thème et les personnages sont très similaires."
Les références à L'arnaqueur (1961), sont un autre point commun des papiers sur le Kid de Cincinnati, presque tous les critiques de l'époque notant les parallèles nombreux à tirer ente le Kid et le célèbre film de billard avec Jackie Gleason et Paul Newman. L'article de Time Magazine sur le film considère que "sur presque tous les plans, le Cincinnati Kid' nous rappelle L'arnaqueur,'" et que le Kid souffre beaucoup de la comparaison. Après avoir critiqué la réalisation, certains des acteurs, et une "trame moins captivante" que celle de son prédécesseur, l'auteur conclut en disant qu'"au moment où toutes les mises se retrouvent au centre de la table, le Kid de Cincinnati ne détient qu'une main perdante."
Dans l'article du Village Voice, Barbara Long compare également les deux films, bien que sa critique du Kid ne soit pas centrée autour de sa moindre réussite que celle de L'arnaqueur mais plutôt sur son incapacité à tenir toutes les promesses du roman de Jessup, que Long adore. Elle note une "malhonnêteté fondamentale" dans la description que fait le film des joueurs de poker, et prétend que les personnages sont tellement romancés qu'ils en deviennent ridicules. Elle regrette également que le personnage d'Eric Stoner "ait été changé pour s'adapter à l'image de Steve McQueen... celle du bon gars rebelle et un peu fanfaron", et trouve enfin que l'intrigue secondaire impliquant la séductrice Melba (jouée par Ann-Margaret) – un élément rajouté par rapport au livre – n'est pas sincère. Long explique qu'"un portrait honnête de la vie d'un joueur de poker ne devrait accorder qu'une place minime aux femmes et à leur influence."
De manière assez intéressante, les critiques de Long sont celles d'une fan de poker (elle avoue dès le début son intérêt pour le stud poker) et viennent contredire la suggestion du NY Times, de réserver le film à des spectateurs ayant une passion pour le jeu. D'autres critiques sont plus indulgentes pour le film, à l'image de celle de Variety qui parle d' »une étude haletante de la communauté des accrocs au jeu". Mais dans l'ensemble, les réactions de la presse semblent confirmer ce que pensait Lewison à propos des à-priori qui rendent périlleux l'exercice de vendre au public un film sur le poker au milieu des années 60.
L'héritage du Kid de cincinnati à Hollywood
En termes de box office, le film a réussi à rembourser les frais de production et a même dû faire quelque chose comme 6 millions de dollars de bénéfices. Mais il faudra attendre quelques années pour qu'émerge enfin sa réputation d'être l'un des meilleurs films sur le poker jamais tournés
Dans le film de 1974 California Split, le personnage de' Charlie (interprété par Elliot Gould) analyse une table pleine de joueurs inconnus en se basant sur le comportement de chacun, et annonce à son partenaire que le plus jeune joueur a "vu trop de fois le Kid de Cincinnati". Une telle réplique confirme que le film a atteint un statut particulier au sein de la communauté du poker, même si dans Total Poker Spanier ne lui offre que peu de place. En fait, Spanier continue même obstinément à qualifier L'arnaqueur de "meilleur film sur le poker", alors qu'il ne parle pas du tout de poker!
A la suite des Joueurs(1998), actuellement l'autre candidat récurrent pour le titre de meilleur film sur le poker, et de quelques déceptions ayant suivi le boom du poker ces cinq dernières années, la réputation du Kid de Cincinnati n'a fait que croître. Les joueurs de poker, jeunes et vieux, se reconnaissent dans le désir du Kid de terrasser le champion en titre, et bien des aspects du film sont aujourd'hui unanimement loués (quoique tardivement et à contre-coeur), même par des réalisateurs qui n'ont jamais touché une carte à jouer de leur vie.
En fait, quand on se penche sur la catégorie, réduite mais en expansion, des films qui traitent de poker, Le Kid de Cincinnati y occupe aujourd'hui une place de choix, un peu à l'image du rôle de Lancy Howard, le champion en titre dans le film : une figure paternelle et victorieuse, à laquelle tous les jeunes rêvent de pouvoir se mesurer.
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