Rob Yong : poker en ligne, la révolution ou rien
Il y a trois semaines de cela, Rob Yong, le propriétaire du club de poker londonien Dusk Till Dawn, a écrit un billet qui a provoqué des conversations animées dans le milieu du poker britannique. Le Dusk Till Dawn est à la fois un club de poker en live mais aussi une salle de poker en ligne. Dans son blog, Yong souligne les aspects qu'il juge néfastes pour le poker en ligne.
Cette semaine, il revient avec un nouveau billet où il affirme qu'il quittera l'industrie du poker dans les six mois si son nouveau site de cash game en ligne ne marche pas. Après lecture, PokerNews est allé s'entretenir avec Yong qui nous livre cette interview exclusive.
Rob Yong veut changer le poker en ligne
Merci de nous consacrer du temps. Avant tout, je dois vous demander ce qui vous a poussé à écrire ce blog qui a enflammé la communauté du poker en ligne ?
Le sujet de ce blog m'est venu à l'esprit depuis que j'ai lu le blog de Phil Galfond où il prône des changements à faire dans le monde du poker. Afin de pouvoir afficher les photos des membres à côté de leur nom, nous avons créé une bibliothèque de la plupart des membres du club ces dernières années. Mais nous avons été trop occupés avec des projets comme Caribbean Poker Party et l'ISPT Wembley, pour faire avancer ce projet jusqu'à terme.
Je voulais, pour mon premier blog, justifier l'affichage des noms réels des joueurs et l'interdiction des trackers, ce qui mécontente quelques uns des joueurs de poker en ligne professionnels. Je ne me suis pas levé un beau matin en cherchant un sujet pour mon blog. Toutes les personnes qui me connaissent personnellement connaissent mes vues sur le poker en ligne, où les nouveaux joueurs et joueurs récréatifs se font plumer à un rythme bien plus rapide que dans l'environnement naturel du poker live. Le second billet de mon blog traitait plutôt des mesures concrètes que nous allons prendre pour faire en sorte que le poker en ligne ressemble davantage à du poker live, avec l'affichage du nom du joueur réel, le support instantané sur Skype et les règles aux tables.
Dans votre second blog, vous dites avoir un peu perdu de votre passion pour le poker. Est-ce dû à la direction prise par le poker en ligne ?
Oui. J'ai commencé à jouer après avoir vu le show TV Late Night Poker avec des personnages tels que Jac Arama, Simon Trumper, Devilfish et Phil Hellmuth qui étaient des stars, pas des jeunes mecs en capuches qui parlent de moves EV- et de range merging. Ils étaient des joueurs, qui jouaient bien aux cartes, qu'il était distrayant et intéressant de regarder. La plupart des joueurs originels se sont fait dépasser et l'évolution du jeu a poussé le poker vers les ordinateurs et les joueurs gagnants sont devenus ceux adeptes des mathématiques, en particulier en ligne à cause des possibilités d'évolutions. Votre image du grand joueur n'est pas Devilfish, Tony G ou Mike Matusow, auxquels les gens de la rue peuvent s'identifier. Je crois que j'ai perdu un peu de mon amour pour le poker car cela n'a plus le côté romantique qu'il pouvait avoir par le passé. Cela devient davantage comme une partie d'échecs contre un ordinateur.
Je tiens à souligner qu'un joueur comme Sam Trickett, un ancien plombier qui a commencé à jouer sur les tables de cash game 0,50-1£ est une exception. L'homme de la rue peut réellement s'identifier à lui – et il donne une bonne image du poker. Je sais qu'il est d'accord avec moi sur plusieurs points, malgré son succès incroyable dans ce milieu.
Pourquoi blâmer le poker en ligne de ces maux ?
Le poker en ligne marche mieux car les salles de poker live ne peuvent pas s'offrir des campagnes pour attirer de nouveaux joueurs. PokerStars est une entreprise formidable, ils règnent sur le poker en ligne, tous les autres ont des difficultés, personne ne fait rien à ce sujet. Les parties s'assèchent, tout le monde va jouer sur PokerStars car c'est là qu'il y a de la liquidité. Les parties s'assèchent parce que la vérité à propos du poker en ligne est que les nouveaux joueurs et les joueurs récréatifs n'ont aucune chance de gagner à moins d'être incroyablement chanceux dans un tournoi ou d'avoir les poches très profondes.
Les plus petits sites de poker en ligne n'ont pas le budget suffisant pour attirer de nouveaux joueurs et développer leur logiciel parce qu'ils payent du rakeback. Le joueur moyen va rapidement voir sa bankroll rognée par les grinders, une poignée de sharks anonymes autorisés à ouvrir autant de tables que leur esprit statistique et leur tracker le leur permettent.
PokerStars est une très bonne sallel mais il faut aussi d'autres salles de poker en ligne qui marchent pour avoir une industrie du poker saine, en ligne comme live. PokerStars aussi en a besoin.
Je suis d'accord pour dire qu'il y a moins de figures humaines dans le poker et beaucoup plus de mathématiciens anonymes de nos jours.
J'ai joué des tournois EPT cette année, certains joueurs sont assis à la table et ne parlent pas, ils ont un casque sur les oreilles et passent des minutes à prendre une décision alors qu'ils ont les nuts river – les mêmes qui timebank en ligne, juste pour avoir un edge minuscule. J'imagine que c'est un stratagème, mais je trouve cela irrespectueux, en particulier envers les joueurs récréatifs ou les qualifiés par satellites. Avez-vous lu ce queNeil Channing a écrit à propos de son expérience au WSOP cette année ? Neil est un parfait exemple des gens dont on a besoin dans le poker. C'est un joueur old school et je ne veux pas trop m'avancer en disant qu'il ne battrait pas la plupart des parties de cash game de basses et moyennes limites en ligne, les petits génies de l'informatique l'analyseraient rapidement avec leur tracker. Mais il peut assurément battre les cash games live, aussi vous devez vous interroger sur les raisons qui font que beaucoup de bons joueurs en live ne peuvent pas gagner en ligne.
Afficher l'identité réelle des joueurs aux tables
Quel est votre but avec les nouveaux cash games en ligne que vous lancez avec le Dusk Till Dawn ? Souhaitez-vous voir les autres opérateurs les imiter ?
Oui, j'adorerais, en particulier le réseau iPoker, car nous opérons sur ce réseau. Je crois que deux scénarios peuvent survenir : soit c'est un flop total, soit c'est un succès suffisamment important pour que les plus gros opérateurs y prêtent attention. Je ne vois pas les trackers être bannis à court terme car il y a trop de gros joueurs qui les utilisent. Ainsi, si un gros site bannissait les trackers, les gros joueurs iraient simplement jouer ailleurs.
J'aime particulièrement l'idée de savoir précisément contre qui l'on joue sur vos tables de cash games, alors que la tendance généralement semble être l'anonymisation des tables.
Oui, j'ai vu plusieurs sites créer des tables anonymes, ainsi que des options pour changer de pseudo fréquemment. Nos tables de cash games vont permettre de voir le nom réel et la localisation de ses adversaires – mais seulement si vous jouez à la table. Il ne fait aucun doute à mes yeux que le poker anonyme disparaîtra quand le poker en ligne sera proprement régulé. Les gouvernements cherchent à taxer le poker et le poker en ligne finira par être régulé selon les mêmes règles que le poker live. Vous n'êtes pas autorisés à jouer en live de manière anonyme, croyez-vous que la UK Gambling Commission l'autorisera en ligne ?
Le jeu régulé concerne la protection des joueurs. Un joueur débutant ou récréatif devrait pouvoir savoir s'il joue contre un professionnel ; évidemment ce serait mauvais pour les pro qui auront plus de mal à entrer dans les parties juteuses. Cela arrive dans les parties live et je comprends pourquoi certains joueurs s'y opposent, en particulier les adeptes du bum hunting.
Je connais des joueurs qui ne peuvent pas trouver une table en live à cause de leur étiquette ou de leur comportement. Pourquoi pourraient-ils jouer en ligne parce qu'ils sont cachés derrière un pseudo ? Cela réduirait aussi les abus dans le tchat, mais ce n'est pas la principale raison de mes propositions.
Six mois pour réussir ... ou quitter le navire
Vous êtes du genre à investir votre argent dans ce à quoi vous croyez et à y aller à fond. Est-il vrai que vous quitterez le Dusk Till Dawn dans six mois sur vos nouvelles tables de cash game ne décollent pas ?
Oui, absolument. Je ne recule pas. Déjà plus de 3.000 personnes ont lu mon blog.
Qu'entendez-vous par quitter le DTD ? Quel résultat faut-il atteindre pour garder Rob Yong au DTD?
Deux cents heures de jeu aux tables par semaine, c'est ce que l'on fait dans notre club live. Cela représente 1% de nos 65.000 membres qui jouent au moins une fois par semaine.
Vous quitterez l'industrie du poker totalement ?
Oui, je n'ai pas le choix pour trois raisons fondamentales :
La première est un vote de confiance. Si je ne peux pas avoir 1% de nos membres qui me soutient, je ne suis pas la bonne personne pour diriger une affaire dans le poker. J'ai eu la même attitude avec mon club de foot. Je ne demande pas aux gens d'arrêter de jouer sur PokerStars, je leur demande de faire de DTD leur seconde choix. Si je ne peux pas avoir 1% de soutien, cela veut dire que nos membres ne croient pas en moi.
La seconde raison est une perte de crédibilité dans l'industrie. Comment pourrais-je rester dans ce milieu après de telles allégations si elles se révèlent fausses, assis tout seul à une table de ma salle de poker en ligne ? J'ai peu de soutiens et beaucoup de gens dubitatifs pour le moment, s'il s'avère que je puisse me tromper aussi lourdement sur l'état du marché, je devrais vraiment faire mes valises.
La troisième raison est que je ne veux pas continuer à investir dans une industrie qui se cannibalise. J'ai déjà investi à perte 8£ millions de mon propre argent, une entreprise indépendante comme le DTD a besoin d'avoir un potentiel de croissance. Le club live en lui-même serait sans doute très viable s'il était absorbé par une grosse entreprise, ce que je chercherai sans doute à faire.
Vous êtes en train de dire que vous mettrez le DTD en vente si ces nouvelles tables de cash games ne sont pas un succès ?
Oui, c'est tout à fait ça.
Beaucoup de businessmen n'auraient pas cette morale et continueraient à faire de l'argent jusqu'à ce que l'industrie implose.
En tant que businessman, ce n'est pas l'aspect financier qui a conduit mes décisions, c'est la perspective de croissance, la création d'emploi et la qualité du service. Peut-être qu'une de mes faiblesses est que j'ai toujours eu le besoin de sentir l'amour de mes clients et de mes employés et le respect de mes concurrents.
J'ai déjà connu cette situation. Dans mes activités de recrutement, quand le marché s'est développé en ligne et de moins en moins en face à face, avec des candidats envoyant leur CV dans le cyberespace et des clients faisant leur choix sur de simples courriers électroniques, j'ai perdu l'amour de ce métier et je l'ai quitté.
La seconde fois fut surement avec mon plus grand amour dans les affaires, mon club de football. Quand j'ai eu un différend avec la Football Association et le Council, et que les supporters ne m'ont pas apporté leur soutien, j'ai démissionné. J'ai dépensé 2£ millions dans ce club et je l'ai revendu 1£.
J'aime le Dusk Till Dawn et j'ai beaucoup d'amis dans cette industrie, mais en fin de compte, si c'est avec cette industrie que je dois travailler et que ma voix est trop faible pur être entendue, alors ce sera sans moi.
Que ce se passera-t-il si vous recevez le soutien de vos membres ? Pensez-vous qu'ils vont soutenir votre idée ?
Nous tenterons le coup, mais créer une salle de cash game en ligne sans aucune liquidité au départ et sans faire appel à des grinders pour soutenir le trafic, ce qui n'est pas une promenade de santé. Il est vrai que les grands arbres naissent de petites graines, mais nous avons besoin d'établir notre présence en ligne et du soutien de la communauté du poker en ligne pour avancer. Nous ne sommes pas des nouveaux venus dans ce métier. Les joueurs savent à quoi s'attendre avec le DTD et nos membres ont notre avenir entre leurs mains.
Personne ne pourra jamais vous accuser de ne pas être franc et direct, n'est-ce pas ?
J'ai appris la leçon avec mon club de foot, qui était une entreprise communautaire comme le DTD. Je ne donnais pas suffisamment d'informations aux gens sur ce que j'avais en tête. Je suis sûr que certaines personnes vont sauter sur l'occasion pour dire que je retire mes billes car je perds, ce n'est pas le cas. Je suis juste honnête, je l'ai été pendant sept ans. Ce n'est pas vaincu mais fier de ce que le DTD, son personnel et ses clients ont accompli que je partirai.
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