"Condamné à 4 mois de bonheur full time", l'Interview de Pierre Neuville
Pierre Neuville a réussi cet été à accéder à la table finale du Main Event des WSOP. Le Graal pour tous les joueurs de poker. Actuellement à Barcelone, le joueur belge a accepté de répondre à nos questions. Entretien.
La première question que j’ai envie de te poser est : comment vas-tu ?
C’est gentil de me poser cette question rare. Je vais plus que très bien. Il ne pourrait en être autrement lorsque l’on réalise à la fois : un rêve d’enfant au delà de toutes ses espérances, le plus beau rêve pour un adulte passionné de poker comme moi. Cela fait maintenant 7 ans que je cherche à perfectionner mon jeu et c'est un résultat que je n'aurai même pas imaginé.
La pression durant ces WSOP était forte, elle est-elle retombée aujourd'hui ?
La pression était présente, envahissante, immense en pré table finale. De la 100e à la 13e place, elle n’a cessé de croitre ! A 13 left, j’étais médusé en frôlant du bout des doigts une place de November 9. A 9, la pression a disparu et pour toujours.
Tu es en ce moment à Barcelone pour jouer l’EPT, quel a été l'accueil ?
L’accueil à Barcelone est au delà de tout ce que je pouvais imaginer. C’est un déferlement de gentillesse et de félicitations. Je reçois les encouragements de la plupart des grands joueurs européens. Ce qui est formidable, c'est l’accent de sincérité profond qui ressort de la plupart des messages des joueurs contre qui on se bat à la table.
Alors, ça ressemble à quoi la vie d’un November Nine ?
Un exemple pour te faire bien comprendre : mon épouse est issue d’une famille flamande stricte où la discrétion fait partie de la culture, elle me dit depuis 7 ans qu'elle ne voulait pas de photo d’elle, de ne pas la mentionner dans les interviews. Elle observait en toute discrétion. Depuis que je suis November 9, elle ne peut plus entrer dans un magasin, un restaurant partout au pays sans que tout le monde la félicite, l’embrasse.
Sa vie a changé pour toujours, c’est irrémédiable. Donc, je vous laisse imaginer la mienne. Mais, pour moi c’est le plus beau cadeau que le poker puisse offrir à un joueur, c’est une source de bonheur constant. Il n’y a plus de place pour les problèmes et le poker que j’ai retrouvé ici à Barcelone me procure encore plus de plaisir qu'avant.
Comment vis-tu la tornade médiatique qui a entourée ta performance ?
Un grand événement demande évidement une gestion rigoureuse. Donc, j’ai essayé de bien gérer tous les aspects de la situation. Heureusement, j’ai 45 ans d’expérience des médias. J’ai connu une première célébrité nationale à 26 ans et depuis, j'ai toujours collaboré avec les médias. J’essaie donc d’apporter à chacun ce qu’il mérite : des réponses originales et informatives et un petit scoop original qui intéresse le lecteur.
Mais surtout, j’essaie d’éviter la publication d’erreurs. Je fuis donc les journalistes qui croient encore que le scoop est dans un titre accrocheur même s’il trahit la pensée de l’interviewé. Je suis très heureux d’ailleurs que tous ceux avec qui j’ai collaboré ont accepté la relecture et les corrections de quiproquos. Car, je suis obsédé par le proverbe "PRIMERO NON NOCERE". Et je ne veux surtout pas que mes exploits, mal compris, ne donnent l’envie à aucun jeune de quitter les études ou la recherche d’un bon boulot pour le poker. Je l’ai déjà prêché à de nombreux joueurs de golf, ma précédente passion, dont même les parents parfois les voyaient "nouveau Tiger Woods" parce qu'ils possédaient un bon niveau.
C’est comme au poker, je disais encore hier à Johan, un Français, venu récemment gagner à Namur et qui a des possibilités de devenir bon : "après ta première belle victoire, tu as atteint le niveau peut être pour commencer à tout apprendre au poker".
Comment te prépares-tu pour cette table finale ? As-tu pu échanger avec d’autres November Nine ?
La préparation cela a toujours été ma spécialité. J'ai battu le record du November 9 le plus âgé, un record sur l'évènement le plus important parmi mes hobbies, alors tu peux en déduire que je vais bien le préparer. Dans cette préparation, venir à Barcelone avait 2 buts : honorer l’EPT qui est ma seconde famille et prendre des vacances de poker. Je m’offre chaque tournoi comme un plaisir de vacances. Je n’aurai aucun contact avec d’autres November 9 avant le 8 novembre. Tout ce que je peux dire est que j’ai un plan de préparation très complet, très programmé, bien structuré et planifié, mais je n’en dévoile rien. J’en ferai profiter d’autres après sans doute .
Qu’est-ce qui est le plus difficile à gérer pour toi à l’approche de cette table finale ?
Difficile mais rien. Rien de rien ! je craignais que les portes du paradis ne s’ouvrent trop vite pour moi ! Mais je viens de gagner l’éternité puisqu’elles se sont toutes grandes ouvertes. Mon bonheur me permet en plus d’agrémenter celui de mes proches et de ceux que j’ai choisi d’aider.
De plus, le monde du poker si dur en soi, exprime ici tant de gentillesse, de considération et d’affection sincère que c’est un bonheur de respirer autour des tables. Puis-je utiliser ton interview pour les remercier tous très profondément. Parce que je peux difficilement l’exprimer, mais je suis touché par les marques d'affection, même si j’en reçois beaucoup plus que je n’en mérite en réalité.
Hier j’avais en enfilade un Russe enthousiaste qui m’embrassait, Dominique qui insistait à routing pour moi, Fedor qui me félicitait beau joueur et votre Philippe national (Ktorza) qui m’embrassait avec une telle affection ! 5 minutes d’une telle générosité de vos adversaires, c'est rare dans tous les sports ; notre poker est admirable ! j’ai fait pas mal de choses difficiles dans ma vie, mais non être condamné à 4 mois de bonheur full time pour commencer, pas moyen d’y placer le mot difficile.
Sur cette finale, tu invites le blogueur Stéphane Allard. Raconte-nous ce qui t’as touché et pourquoi tu as décidé de l’inviter ?
Je m’étais étonné à Vegas que ma chère épouse fonde en larmes d’émotion, je n’avais jamais vu ses larmes en 25 ans et lorsque Joe Giron, un des meilleurs photographes, fixe l’instant sur cette photo qui vient de faire le tour du monde, c'est incroyable.
Revenus de Las Vegas, Fabrice Halleux mon sparring partner avait préparé une série d’articles à lire. Alors, connaissant les qualités de Stéphane Allard qui sait si bien surprendre son lecteur, je commence par lui et je lis "quand je serai vieux je voudrais être comme Pierre Neuville" et bien la tendresse profonde de ce titre a provoqué une émotion attendrie. J’ai senti un tsunami intérieur inconnu m’envahir et les larmes ont giclé de mes yeux. Un tel cadeau d’émotion humaine ne pouvait rester sans remerciement et je crois avoir trouvé le seul vrai cadeau qui puisse lui renvoyer la balle.
Bon je n’aurais peut-être pas du le publier car cela a suscité une série d’envies. En ce moment , je renégocie ferme avec le RIO pour obtenir des conditions exceptionnelles pour mon Team et tout le railing de ceux qui ont manifesté le souhait de venir à Las Vegas .
Quel est ton programme de tournois d’ici novembre ?
J’ai du décliner toutes les demandes à l’exception de mes deux familles poker : l'EPT et uniquement les WSOP à Berlin où je me dois d’être .