"Aux WSOP, l'argent n'a pas d'importance", l'interview de Daniel Negreanu
Numéro 1 de la liste des gains, il est aussi le roi de la popularité sur ce même site Hendonmob. Personnage principaldu documentaire sur sa vie diffusé sur Netflix, il est aussi le pro sponsorisé qui s'exprime sur (presque) tous les sujets. A l'initiative d'un nouveau podcast, il vient aussi de raconter ses aventures high stakes aux tables du Bellagio où il dispute de folles parties en 4000-8000$ contre Phil Ivey, Patrik Antonius et Gus Hansen.
Daniel Negreanu a consacré de longues minutes à Frank Op de Woerd et PokerNews lors du dernier festival EPT à Barcelona. Le Team Pro PokerStars raconte son amour pour le poker et commente les dernières tendances de la planète jeu. L'interview est découpé en deux parties...
Votre blog de l'été sur vos parties avec Ivey ou Hansen ont été bien accueillies. Qu'est-ce qui vous attire dans le poker live après toutes ces années ?
Le jeu me manquait vous savez. Il y a quelques raisons qui m'ont poussées à recommencer à jouer de nouveau :
Aux World Series Of Poker j'ai remarqué qu'il y avait vraiment beaucoup de bons joueurs. Ils sont devenus meilleurs dans les mixed games et j'ai réalisé que si je ne pratiquais pas, j'allais rester derrière. Si je dis que je suis très bons dans ces variantes, la vérité c'est que si vous ne jouez pas régulièrement contre les meilleurs joueurs du monde, vous perdez de l'edge. Je veux être performant sur ces tournois aux WSOP, je dois m'entraîner.
De plus, cela reste un jeu, c'est vraiment fun. Je me souviens de sessions de 30-40 heures avec Gus, Phil et Patrik lorsque j'étais plus jeune. C'est amusant d'y revenir.
J''étais en feu quand on a repris. J'avais monté 400 000$ lors de la première heure. Là je suis perdant de 250 000$ après 100 heures de jeu environ. C'est un jeu avec beaucoup de variances (la partie se déroule en 8-Games, ndlr). Dis comme cela le chiffre paraît important, c'est beaucoup d'argent mais en fait pas tellement. Quand vous jouez sur les blindes 1500-3000, perdre 250 000$ peut arriver vite. Je suis en zone de confort à ce niveau là; je fais des erreurs mais de manière globale j'apprécie beaucoup ces moments.
Vous avez probablement lu mon blog de la partie à San Diego contre Phil Ivey et Patrik Antonius ... Pour de nombreuses raisons, jouer au poker avec Gus Hansen c'est beaucoup d'amusement. Jason Mercier l'a dit aussi, ce n'est pas parce que jouer contre Gus est EV+ ou pas, c'est un mec qui a beaucoup d'humour. Il a une énergie formidable, il est ce qui manque au poker actuel. C'est juste un mec fun.
Après toutes ces années, le lineup n'a pas trop changé. Comment l'expliquez-vous ?
Il n'y a pas qu'eux qui jouent. C'était juste un hasard qu'Hansen, Antonius, Ivey et moi soient tous là au même moment. Cela arrive tout de même de temps en temps.
Il y a quand même une tonne d'autres joueurs qui sont là avec nous. Certains n'ont jamais arrêté de venir. Des mecs comme Ray Dehkharghani et David Oppenheim, sont parmi les meilleurs. Il y a aussi Nick Schulman ou encore Michael Thuritz qui a vraiment peaufiné son jeu online.
La vérité c'est aussi qu'il y a des joueurs plus jeunes qui ne sont pas vraiment bons. Ils pensent qu'ils le sont mais ils ne le sont pas. J'en suis convaincu.
Sont-ils bons online et n'ont-ils pas bien effectué la transition vers le live ? Ou bien pensez-vous juste qu'ils n'ont pas le niveau ?
Quand j'ai joué ces joueurs - cela fait longtemps que je n'ai pas joué les mixed games online en 400-800$ - j'ai été gagnant sur presque toutes les sessions disputées. J'ai pensé que les joueurs plus jeunes ne jouaient si bien que cela en stud. C'est vraiment une des faiblesses les plus importante de leur jeu. Ils sont performants sur les autres jeux car ils ont travaillé mais le stud ce n'est pas encore évident. Il faut du temps pour s'ajuster et comprendre ce qui se passe dans ce genre de parties.
En plus de l'action en elle même, il y a aussi beaucoup d'argent qui change de mains avec les paris et autres prop-bets...
C'est ça qui me plombe. Phil jouait avec Doyle [Brunson] , Patrik et John [Hennigan] en 4-handed et je n'étais pas tellement sûr de vouloir m'assoir car plus vous êtes nombreux et plus les enjeux montent. Si vous faites des paris head's up c'est gérable, à 4 ou 5 cela devient énorme. Doyle a encaissé 240 000$ sur un prop bet. Sur un pari !
Ce qui m'intéresse réellement c'est le poker... j'ai perdu beaucoup lors de cette première partie, plus de 400 000$ en prop-bets, c'est plutôt énorme. Après j'ai trouvé que j'étais très concentré sur le jeu avec ces paris entre joueurs. Je fais attention à tout ce qui se passe, je regarde chaque flop. pas question d'être sur le téléphone car si tu n'annonces pas, les autres ne te payent pas.
Cela peut affecter la manière de jouer de certains ces prop-bets ? Je suppose que vous n'avez pas envie de voir certains flops à cause des paris en cours, cela entraîne forcément des modifications sur la partie en elle-même.
Absolument. C'est là ou cela devient dangereux. C'est là ou vous abandonnez un peu d'edge. Je suis moins carré sur cela que Phil (Ivey), surtout sur certains spots.
Imaginons que vous soyez en piste pour un triplé et que vous jouez les coeurs (chaque joueur doit choisir une couleur ou des cartes bien précises, ndlr). Vous trouvez A♥K♥ et vous allez tout faire pour remporter la main. Soit vous pouvez par exemple faire tapis en espérant que tout le monde folde... Des fois les paris sont plus importants financièrement qu'une main donnée.
Ce sont des parties énormes
Pour être honnête, la partie me semble trop petite. Je vais vous dire pourquoi. En 2002 et en 2003, avant le boom du poker, j'étais un grinder qui jouait la 4000-8000$ et de la NL2000 avec un cap à 100 000$. Cela jouait vraiment haut à l'époque.
Là nous jouons 1500 et 3000$, ce n'est pas si gros. Cela ne détruit pas le jeu. A cette limite, les gens perdent 80 à 100 000$ en une session. Ce n'est pas si étrange. Je suis à l'aise. La pression financière m'a préoccupé au début mais plus maintenant. Si je perds un million dans la partie, je ne vais pas dire "wow ça craint". C'est comme ça.
C'est votre entraînement pour les World Series. Sur les tournois de variantes, les premières places rapportent généralement moins qu'une session positive ou négative... Vous ne jouez donc aux WSOP que pour le fun et le prestige ?
Je ne regarde même pas le payout aux World Series. La meilleure approche pour gagner beaucoup d'argent c'est de jouer les tournois de No Limit avec les gros fields. Moi cela ne m'intéresse pas, je joue les Championship à 10 000$ car je veux être le joueur de l'année.
Aux World Series, l'aspect financier n'a pas d'importance. Ce qui me motive ce sont les résultats. Pour moi gagner deux bracelets en un été et finir négatif je le verrais comme une victoire. Si je gagne deux tournois à 1500$ qui ont un premier prix de 150 000$ et que j'utilise trois entrées sur le One Drop pour un total de 300 000$, j'aurais toujours l'impression d'être gagnant.
Vous êtes n°1 dans presque toutes les catégories sur HendonMob, le défi de devenir n°1 du classement GPI vous intéresse-t-il ?
C'est compliqué le Global Poker Index. Sans me plaindre, la manière dont le ranking est structuré rend cela difficile. La plupart des tournois que je joue se déroulent durant les World Series donc pour entrer dans le Top 10 il me faudrait vraiment réussir des WSOP complétement fous. Je ne joue pas assez de tournois toute l'année, je ne joue qu'à Barcelona puis au mois de décembre. Ce n'est pas un volume suffisant pour être bien classé au GPI.
Parlons du Big One for One Drop Extravaganza qui va se dérouler à Monte Carlo. S'il y a beaucoup de monde, il se pourrait qu'un riche amateur devienne le plus gros gagnant de l'histoire du poker. C'est peu probable mais cela reste du domaine du possible... que pensez-vous de ce tournoi mis en place par Guy Laliberté ?
Je crois que de nombreux joueurs ont du mal à accepter ce tournoi.
Si vous voulez organiser un tournoi et donner de l'argent à une oeuvre caritative tout en disant que vous voulez inviter une trentaine de joueurs qui suis-je pour dire quelque chose. C'est votre tournoi. Vous faites venir l'argent ! Les professionnels n'ont rien à dire ni à critiquer.
La raison pour laquelle Guy organise cela c'est qu'il connaît de nombreux joueurs récréatifs qui ne veulent pas jouer contre les pros. Ils donnent de l'argent. Ils ne veulent pas nécessairement le donner aux pros. Cela ne me pose aucun problème.
Assurément, cela n'est pas un tournoi qui mérite un bracelet WSOP. Vous ne pouvez pas restreindre l'entrée à 30 joueurs et dire que c'est un bracelet, là bien sûr que je serai contre mais autrement...
Basiquement je crois que si Guy veut autoriser quelqu'un à jouer il peut le fait. C'est aussi simple que ça.
Des gens demandent si un mec comme Talal [Shakerchi] peut jouer. Est-il un joueur amateur ? Je crois que c'est Guy qui a la réponse. C'est aussi simple que ça.
Les WCOOP vont bientôt débuter, il y a un tournoi à 102 000$ l'entrée... allez-vous le jouer ?
j'ai prévu de le disputer. Je n'ai pas plannifié d'être à Toronto mais je crois que je vais y aller pour pouvoir le jouer. Je pense que ca va être amusant.
Honnêtement je crois que c'est un peu fou d'en faire un tournoi re-entry. Je ne sais pas pas; c'est un peu énorme pour du online. Il y avait eu ce tournoi à 50 000$ et je ne sais pas trop pourquoi le buy-in a été multiplié par deux avec l'option re-entry. Cela me paraît un peu trop. Cela va faire parler bien sûr. Je pense que le field va être de 30-40 joueurs.
J'ai parlé avec quelques autres pros et ils sont un peu las de ce tournoi. Ma théorie c'est que les high stakes online ont fait plus de mal que de bien. Beaucoup de gens ne sont pas d'accord et pensent que je suis fou mais des gens qui comprennent le business ont le même point de vue.
A une autre époque, la plus grosse table de Partypoker c'était de la 15-30$ en Limit. PokerStars avait de la 15-30$ aussi et de temps en temps il y avait de la 30-60. Occasionnellement, le dimanche, la 100-200$ pouvait se monter et tout le monde pensait que c'était dingue.
A mon sens le poker online se porterait mieux aujourd'hui s'il n'y avait pas eu ces parties démesurées en high stakes. Ces parties ont attiré des gens très intelligents à la recherche de millions. Ils utilisent des logiciels de tracking, ils créeront des bots. Plus il y a d'argent à faire, plus vous attirez ce genre de comportements. Si vous restez dans le domaine d'un jeu fun, avec des limites raisonnables, ces gens n'auraient pas d'intérêt à investir de larges ressources pour créer des bots.
Des affaires de bots ont été mises à jour aux limites 1-2$. Ces machines faisaient de gros bénéfices avec de nombreux comptes capables de moissonner durant des heures.
Évidemment, à tous les niveaux, les bots sont un problème.
A l'époque, quand je jouais en live, je n'aurais jamais joué une partie aux blindes 1000-2000$ contre des gens que je n'ai jamais rencontré. Online c'est devenu la norme. En réalité cela a mis en place un environnement où il y a des comportements de prédateur généralisés.
Un mec qui n'est pas très bon ouvre une table et grâce à un logiciel la table se remplit instantanément. Quand le gars quitte la table, les autres s'en vont instantanément... Nous avons ouvert la boite de pandore.
Full Tilt, et de nombreux joueurs qui ont participé à cette aventure en tant qu'actionnaires, a fait une énorme erreur. Ils ont pensé que cela allait amené des joueurs, et cela en a attiré beaucoup mais regardez ce que cela a fait à un mec comme Guy. Il a perdu 28 millions. Si les limites n'étaient pas aussi hautes, il jouerait encore online. S'il n'avait perdu qu'un million, cela ne serait pas aussi embarrassant.
Les parties high-stakes étaient devenues incontrôlables en terme de taille, cela ne me rend pas triste (qu'elles disparaissent). C'est juste inévitable que les high stakes online diminuent.
Vous mettez trop d'argent là dedans et il y aura toujours des gens pour tenter de corrompre le système d'une manière ou d'une autre. D'un point de vue du revenu généré, je ne pense pas forcément que cela valait le coup pour la room non plus.
Votre actualité c'est aussi ce documentaire sur votre vie qui est diffusé sur Netflix. Quelle a été la genèse de 'KidPoker' ?
Francine Watson [réalisateur et producteur du film] et son équipe font des vidéos de 10 minutes pour PokerStars. Ils en ont fait avec Nanoko et d'autres. Le plan c'était d'en faire une d'une douzaine de minutes avec moi.
Ils avaient tellement de matière à la fin du tournage qu'ils ont lancé le pari fou d'en faire un film. Ils en ont parlé à mon frère et son témoignage a changé la direction entière du film car il a rempli de nombreux blancs sur mon histoire familiale. Il m'a impressionné car ce n'est pas quelqu'un de très ouvert en général, il n'aime pas trop parler mais là il a fait un travail incroyable.
J'ai eu de nombreux retours de joueurs de poker qui l'ont vu avec leur petite amie ou quelqu'un qui n'aime pas trop le poker et ces gens ont aimé le film. Ils se sont amusés car ce n'est pas un film sur le poker. C'est l'histoire d'une famille, l'histoire d'un échec qui devient un succès, l'histoire de la persévérance.
Francine a fait un travail incroyable pour en faire quelque chose de mainstream. Netflix, qui ne s'aventurerait jamais dans un projet poker, a dit qu'il le prenait car ce n'est pas du poker.
la suite très prochainement...
