Blog: Il raconte son voyage jusqu'au Day 6 du Main Event WSOP 2017
Gagner le Main Event des World Series of Poker (WSOP) est un rêve pour de nombreux joueurs de poker. Voici l'histoire de Neil Patel sur le tournoi le plus prestigieux de la planète... L'Américain aux 500.000$ de gains en MTT live raconte ses aventures à Las Vegas en exclusivité pour PokerNews.
Préparation
Combien de fois dans votre vie allez-vous disputer le Main Event ? De la famille, des gamins, des crédits à rembourser, le boulot, des vacances à poser, 10.000$ à trouver... les obstacles sont nombreux.
J'avais déjà disputé ce tournoi trois fois avant l'édition 2017 et j'avais respectivement sauté au Jour 1 puis au Jour 3 et enfin au Jour 2. Cet été allait-il être un nouveau gaspillage coûteux en argent et en jours de vacances ? Est-ce que j'ai assez confiance en moi et en mon jeu pour poser cette grosse somme sur la table, surtout pour affronter une tonne de professionnels ?
Devenir pro, un fantasme qui m'a travaillé longtemps. Pendant que je bossais comme trader au Chicago Board of Trade, j'arrivais à jouer entre 20 à 30 heures par semaine. Cette année, j'ai joué plus de 100.000 mains en Pot Limit Omaha et j'ai été profitable online. Pourtant, je me suis toujours demandé si j'avais ce qu'il fallait pour jouer au plus haut niveau.
Nous avons beaucoup parlé avec ma femme et j'ai décidé au mois d'avril que j'allais prendre ce shot, une fois de plus. Sachant que l'opportunité n'arrive pas si souvent, je souhaitais tout mettre en oeuvre pour augmenter mes chances de succès. J'ai commencé à construire un plan de jeu et les étapes que je devais franchir avant de commencer le tournoi en juillet. Il fallait gommer mes défauts et hausser mon niveau.
Trois domaines nécessitaient mon attention. D'abord, j'ai regardé environ 80 heures de vidéos sur Run It Once. Ensuite j'ai demandé des conseils à mes amis Mohsin Charania, Sunny Patel et Jeremy Menard. Ces mecs jouent depuis plus de dix ans au niveau professionnel et ils n'ont jamais dit non pour donner leur avis. Jeremy était coach sur Run It Once. C'est vraiment incroyable de regarder une vidéo puis d'avoir la chance de passer un coup de téléphone pour entrer dans la tête de l'instructeur. Enfin, j'ai joué une centaine de tournois sur Internet, histoire d'utiliser les techniques et de mettre en application ce que j'ai appris dans ces vidéos.
Bienvenue à Las Vegas
Je suis arrivé à Las Vegas le 7 juillet. Je me suis précipité dans ma chambre du Cosmopolitan pour jouer le WSOP online à 1000$ l'entrée. Il y avait un bracelet au bout et c'était un bon entraînement puisque nombreux sont les participants qui disputent aussi les WSOP au Rio. J'ai pu monter un tapis, puis à l'approche de la bulle j'ai 4-bet KxKx à tapis et j'ai eu deux payeurs ! Il y avait KxKx et AxJx en face... Flop Qx9x3x, tournant Ax, rivière 7x... Game Over.
Le lendemain, encore un peu amer de ce busto, je me décide à jouer en live à l'ARIA. Je m'assois en PLO 5/10/20 pour une courte session de 6 heures. Je ne voulais pas tout donner avant mon entrée dans le Main. Juste avant la fin de cette partie, j'ai disputé un gros coup à tapis : j'avais un tirage quinte bilatéral et un tirage couleur max contre brelan max. J'ai demandé le Run It Twice, il a refusé et la rivière a été une belle grosse brique. Le croupier a donc poussé ce joli pot de 6000$ à mon adversaire. Ce voyage débute mal.
Perdant d'environ 4000$, je suis allé au Rio m'enregistrer un samedi soir. Mon ticket était pour le dimanche 9 juillet et le Jour 1B. J'ai fait 30 minutes de queue et j'ai donné 10.000$ en échange d'un bout de papier.
Jour 1
Réveil à 9 heures du matin, je me prépare, je prends le petit-déjeuner au room service. En mangeant, j'écoute le podcast dédié au Main Event de Primed Mind. Mise en place par Fedor Holz et ses associés, cette appli permet de mieux se concentrer. J'en ai retiré des conseils pratiques que j'ai usés durant tout le tournoi.
J'arrive en premier à ma table. Amazon Room. Table 73. Siège 8. Mes adversaires arrivent un par un. Le premier est le Siège 2, un débutant aux WSOP, un gentleman de Boston qui joue à de petites limites. Arrive ensuite le Siège 9, un retraité d'Alaska. Pas trop mal pour le moment ce tirage...
Le Siège 3 arrive à son tour, le vainqueur de l'édition 2010, Jonathan Duhamel puis un jeune agressif venu du online s'installe au Siège 1. C'est le grand mélange du Main Event, un champion du Monde, des amateurs et un trader tous réunis autour du même jeu. Mon moment favori c'est lorsque le Siège 4 a demandé à Duhamel s'il avait déjà fait l'argent sur le Main Event. Le Canadien a humblement répondu qu'il avait atteint la Table Finale. C'est moi qui ait pointé du doigt le poster géant immortalisant son succès, il était juste au dessus de son épaule droite.
Les montagnes russes. Je suis passé de 50 000 à 30 000 jetons lors du premier niveau de deux heures. J'ai perdu une grosse main où j'ai floppé deux paires, mon adversaire a fait couleur rivière. Pour la pause dîner, mon pote Sunny qui a fait quelques tables finales aux WSOP m'avait donné rendez-vous dans un Uber. J'ai sauté dans la voiture sans remarquer qu'il y avait aussi Connor Drinan. Je l'avais rencontré une fois il y a deux ans, la nuit de son élimination AxAx contre AxAx sur le One Drop à un million de dollars... depuis il est devenu une des superstars du poker, un joueur respecté.
Ce repas de 90 minutes m'a aidé à me relaxer. Nous sommes allés manger thai, nous avons partagés quelques mains et j'ai pu demander quelques conseils à des pros. Je suis revenu avec un mental régénéré et plutôt relaxé. J'ai terminé la première journée avec 92 600 jetons. Je suis retourné au Cosmo heureux de finir au dessus de la moyenne.
Jour 2
Début de journée perturbé, j'arrive à ma table et ce n'est pas le bon sac à ma place. C'était le bag de Neil Patel mais pas le bon Neil Patel puisqu'un homonyme de St. Louis avait aussi fait le Jour 2. Je n'avais pas de siège attribué, je fonce donc vers le directeur des tournois et j'ai donc finalement pu avoir un siège. Ils ont retrouvé mon sac mais j'étais frustré.
J'avais fait mes devoirs et repéré mes opposants du Jour 2. Posséder des informations sur ses adversaires est très important. J'ai donc envoyé un message à mes potes de Chicago (Harshal, Dimitar, Jim, Joel, Joe, Sam et Chris) et ils ont fait le boulot pour moi, m'envoyant toutes les informations disponibles.
Je suis encore allé manger avec Sunny et un pro : Shyam Srinivasan de Toronto. J'ai continué à poser des questions sur la stratégie. J'ai détaillé les coups que j'ai joués tout en leur demandant s'ils auraient fait pareil. J'avais augmenté mon stack en étant agressif préflop ou en volant les blindes des joueurs qui ne défendaient pas assez leurs blindes. J'ai aussi pris des lignes passives post flop pour contrôler la taille des pots et induire des bluffs. Je suis passé au jour 3 sans me retrouver à tapis, avec un stack de 133 600 jetons, tout proche de la moyenne.
Jour 3
Le couloir du Rio, un long voyage. Je me dirige cette fois vers la Brasilia Room. C'est le jour clé et j'ai la pression. Nous ne sommes plus que 2572 sur les 7221 entrants du Main Event et nous allons jouer jusqu'à l'argent. Il faut entrer dans les 1084 derniers survivants pour faire un profit de 5000$ puisque le min-cash est de 15.000$. Ce min-cash est surtout psychologique, il veut dire tellement plus que ces 5000$. C'est la différence entre brûler une brique, valider ma préparation et la confirmation de ce que je suis dans ce jeu que j'aime.
Ma stratégie d'agression préflop n'allait pas marcher au Jour 3, attaquer les ranges capées non plus. Le niveau était vraiment meilleur en comparaison des deux premiers jours. J'avais aussi Liv Boree à ma gauche et un tapis confortable. J'ai commencé par être trop passif et j'ai probablement vraiment trop resserré mes ouvertures.
Une main intéressante, j'ouvre QxQx en MP et un homme d'une soixantaine venu de l'Alabama paye en petite blinde. Il me check-raise à 26 000 jetons sur un flop 2♠3♦4♣ sur lequel j'ai misé 8000 jetons. Je paye et il fait tapis rapidement sur un 6x au tournant. Les joueurs plus âgés sont souvent serrés et ne font pas de bluffs énormes. J'avais une main très forte préflop mais une paire de Dames ne joue pas très bien sur un tableau de ce genre. Et s'il avait payé avec une petite paire et trouvé un brelan ?
J'ai hésité 5 minutes. Il me demandait la moitié de mon tapis. Et puis il a demandé le time. Le TD est arrivé et il a commencé son décompte. J'avais 30 secondes, j'ai regardé mon opposant pour grappiller une information : il apparaissait vraiment confortable. Mon temps a expiré, j'ai jeté en montrant mes cartes. Il était choqué et il m'a dit que c'était un fold "extraordinaire". Il m'a dévoilé KxKx pour un monstre slowplayé. S'il avait été plus agressif préflop, je pense qu'il aurait doublé.
Même avec ce fold correct, j'étais touché car mon tapis n'allait pas dans la bonne direction. Alors que je marchais dans les couloirs du Rio, je suis tombé sur un stand de goodies. J'ai vu un protège-cartes de l'Université du Michigan, là où j'ai étudié, et je l'ai acheté pour me porter bonheur.
Plus la journée avançait, plus la bulle se rapprochait. De nombreux joueurs ont commencé à jouer ultra-tight, ils voulaient juste folder jusqu'à l'argent. De mon coté, j'ai commencé à ouvrir 50% de mes mains pour capitaliser sur la passivité des autres en volant les blindes et les antes.
A la fin d'un niveau, je me suis retrouvé dans une main énorme avec Mickey Craft — un personnage qui a été au centre de l'attention médiatique durant ce tournoi. Il a ramené de la tequila à la table et il enchaînait les shots. Il utilisait sa bouteille comme card protector. Pas vraiment l'idée que je me faisais d'un gros tapis au Jour 3 du Main Event !
J'ouvre AxQx en MP et il paye au CO. Je découvre un flop parfait pour ce duel AxQx3x. Je fais une petite mise de continuation et il paye, le tournant me donne les noisettes avec un Ax ! Je mise 40 000 jetons dans un pot de 75 000 jetons... et il me relance à 155 000. Pour avoir joué quelques niveaux avec lui, je savais qu'il misait gros avec des mains fortes. Quand il mise 4 fois plus que moi, c'est une action très forte et très souvent je paye simplement pour donner l'opportunité à mon adversaire de miser rivière.
Pour moi il n'a jamais QxQx car il aurait 3-bet, pour moi il a un Ax ou 3x3x. Les médias, les caméras s'approchent car c'est un pot énorme qui se forme. Sachant que je le sens fort et que sa bouteille est vide aux deux tiers, je fais tapis en pensant être payé par un Ax où les 3x.
Il réfléchit durant 10 minutes avant de folder ce qu'il dit être 3x3x. Je remporte le pot mais je me demande si j'ai bien joué. Fallait-il payer pour le laisser miser à la rivière ? Fallait-il miser un peu moins ? Fallait-il payer simplement avant de reprendre l'initiative rivière... encore aujourd'hui je suis toujours dérangé par la manière dont j'ai joué cette main.
La partie se déroule au ralenti, tout le monde attend les dernières éliminations. Il faut jouer un niveau supplémentaire et le graal arrive à 2h30 du matin. J'ai fait l'argent sur le Main Event WSOP. La salle explose, les applaudissements redoublent et moi j'emballe 783 000 jetons pour le Jour 4. Je suis sur un nuage. Tout ce travail effectué depuis des années; il est validé en cet instant. Même si ce profit de 5000$ est loin de mon meilleur score, c'est à ce moment l'accomplissement le plus mémorable de ma carrière poker.
Jour 4
Un début de journée au paradis, j'élimine trois joueurs dans le premier niveau et je passe à 1,3 million. Le rythme des éliminations est incroyable puisque de nombreux survivants se sont accrochés avec un micro tapis pour faire l'argent. Près de 300 joueurs sautent avant la fin du premier niveau.
Ma table est cassée et j'arrive à la table 23. Le rêve se termine et je retombe à un peu moins de 700 000 jetons. Deux heures plus tard, encore une nouvelle table et je me dirige vers Brasilia pour jouer avec un triple vainqueur, l'Allemand Dominik Nitsche.
Dès mon arrivée, je lève AxAx under the gun. J'ouvre à 30 000 et une femme docteur d'une cinquantaine qui dispute son premier Main Event me 3-bet à 82 000 jetons. Le bouton 4-bet à 300 000 ! Un scénario de rêve quand tu as la meilleure main de départ du poker.
A mon tour de parler, j'hésite durant 5 minutes avant de faire tapis pour 625 000 pions. Le bouton paye rapidement avec 8♠5♠ et je passe à 1,3 million après un tableau sans anicroche.
La table est très dure, mais je continue à prendre des jetons. Je passe un bluff à Nitsche dans un gros pot grâce à mes bloqueurs sur la quinte et je termine finalement la journée avec 2,1 millions de jetons.
La fatigue commence à faire son office après plusieurs journées de 14 heures de poker. Personne ne dort plus de 4 ou 5 heures chaque nuit. Le Main Event est un marathon mental. L'endurance compte autant que les qualités de joueur. Nous ne sommes plus que 297 dans le tournoi et mes potes Sunny (2.7 millions) et Shyam (1.45 million) sont toujours là. Ils continuent à me dispenser de précieux conseils à chaque pause, leur aide m'a été plus que précieuse.
Jour 5
Mes copains ont pris les infos sur mes adversaires. Le plus célèbre est Timothy Adams. Mohsin dit de lui que c'est un des meilleurs. Je suis donc aux anges quand il saute avec 10x10x contre AxAx. Le joueur qui le remplace, John Hesp, va bientôt devenir une célébrité mondiale, sa veste aussi.
Hesp était un joueur récréatif de Bridlington en Angleterre. Il jouait de manière très peu orthodoxe et mettait ses adversaires face à des décisions très difficiles. Sa bonne humeur à la table était communicative et notre table a développé une forte camaraderie...