Blog : L'expérience d'une vie, atteindre les 4 dernières tables du Main Event WSOP (2e partie)
Suite et fin du parcours de Neil Patel sur le Main Event des World Series Of Poker 2017. Désormais en table avec John Hesp, le joueur US poursuit son rêve...
La première partie du Main Event de Neil Patel
Jour 5
Mes copains ont pris les infos sur mes adversaires. Le plus célèbre est Timothy Adams. Mohsin (Charania, ndlr) dit de lui que c'est un des meilleurs joueurs de MTT du monde. Je suis donc aux anges quand il saute avec 10x10x contre AxAx. Le joueur qui le remplace, John Hesp, va bientôt devenir une célébrité mondiale, sa veste aussi.
Hesp était un joueur récréatif de Bridlington en Angleterre. Il jouait de manière très peu orthodoxe et mettait ses adversaires face à des décisions très difficiles. Sa bonne humeur à la table était communicative et notre table a développé une forte camaraderie...
A un moment, Hesp fait face à un 4-bet à tapis de Wen Zhou. Zhou a tout mis avec AxQx, Hesp colle rapidement avec KxKx. Zhou trouve un miracle avec un Ax et double. L'Anglais rigole, se lève et marche vers son adversaire avant de lui serrer la main. "Félicitations", lâche-t-il alors que je suis abasourdi par le plaisir qu'il prend. Incroyable la manière dont il encaisse le fait de ne pas avoir de chance. Il nous a clairement aidé à mettre les choses en perspectives.
Chaque badbeat pesait sur moi comme si ma vie en dépendait, chaque décision pouvait être la dernière. Hesp m'a permis de me souvenir que nous n'étions qu'à une partie de cartes.
C'est la table la plus marquante de ma carrière dans le poker. Côté jeu, il y avait du 3-bet et du 4-bet à chaque ouverture. J'ai été particulièrement impressionné par un jeune pro du Belarus, Ihar Soika. Il y avait aussi ce professionnel brésilien juste à ma gauche, Fabio Sousa. Le joueur le plus agressif avec qui j'ai joué. A chaque fois qu'il prenait des jetons, j'échangeais un regard d'admiration avec Wen Zhou.
A l'approche de la pause dîner, j'ai envoyé un message à Sunny et j'ai été choqué quand il m'a dit qu'il avait sauté en 152e position. Il avait commencé avec 2,7 millions et jouait un poker génial. J'avais enfin l'impression que c'était son année après une tonne d'épisodes de run bad dans des spots clés.
Je suis parti manger avec Shyam, Connor (Drinan,ndlr), et deux autres pros, Ankush Mandavia et Brandon Meyers. J'ai présenté ma table à Shyam et Connor en demandant des conseils : comment m'ajuster à la dynamique, quelles tailles de mises employer dans certaines situations... Et puis j'ai pris un peu de recul, j'avais le sourire quand j'ai réalisé la chance que j'avais : Je discutais de ma table au Jour 5 du Main Event des WSOP avec les plus brillants cerveaux du jeu de poker.
Le coverage complet du Main Event
De retour après le dinner-break, j'ai joué le poker le plus serré possible. J'avais le sentiment que ma patience allait être récompensée face à des adversaires trop agressifs. Le plan a bien fonctionné puisque je suis monté à 3,8 millions.
Sur le dernier niveau de la journée, des joueurs ont sauté. Dan Ott et Jonas Mackoff sont donc venus les remplacer aux sièges 7 et 8. J'ai envoyé un message à mes copains et ils m'ont répondu qu'Ott était agressif et spewy. Ils m'ont décrit Mackoff comme un bon joueur, un mec compétent.
J'ai commencé à être vraiment card dead sur ces deux dernières heures de jeu. Mon tapis allait dans le mauvais sens et puis nous avons atteint les trois dernières mains. Ott a ouvert en milieu de parole et j'ai défendu en grosse blinde avec 9x9x. Sur JxJx3x j'ai check-call pour 100 000 jetons.
Sur le tournant 4x, j'ai encore check-call, cette fois pour 250 000.La rivière 5x ne changeait pas grand chose et il a misé 1,3 million dans un pot de 800 000. Il était soit en plein bluff soit il avait un monstre avec un gros Valet et peut être même une Maison Pleine. Il s'était complètement polarisé. J'ai hésité plus de 5 longues minutes. J'ai foldé.
Alors que nous emballions nos jetons, j'ai tenté d'en savoir plus. Ott m'a répondu par un sourire avant d'ajouter : "Sur ce coup là je ne peux pas te dire". De mon côté, j'avais 1,9 million à la fin du Jour 5, nous n'étions plus que 85 en lice. Mes sentiments se mélangeaient, quel bonheur d'aller si loin, d'être dans le Top 100 d'un tournoi à plus de 7000 joueurs et de faire le Jour 6. De l'autre côté, je n'arrivais pas à me détacher du Jour 5, une journée de poker où j'avais perdu des jetons.
J'étais aussi choqué d'apprendre que Shyam n'était plus en course. Il avait été dans les premiers du classement presque chaque jour, il m'avait aussi impressionné par la confiance en son jeu. Sa force et son attention se concentraient sur la théorie du poker et il m'a appris de nombreux concepts sans effort. Même si je ne le connaissais que depuis une semaine, un lien très fort nous unis, il s'est mis en place durant ce tournoi. Il y a vraiment quelque chose de fort quand on partage cette expérience, chaque pause du tournoi, chaque dîner...
Il était une heure du matin quand le Jour 5 s'est terminé. Je n'avais plus de chambre au Cosmopolitan, je devais déplacer mes affaires vers un nouveau lit. Le temps de récupérer mon bagage et de les monter, il était 4 heures du matin. Quand je me suis enfin posé, j'ai mis une heure à maîtriser l'adrénaline qui coulait dans mes veines. J'ai regardé mon téléphone pour jeter un oeil au coverage que je n'avais pas eu le temps de lire puisque je jouais. Les courriels affluaient aussi... ces messages, Facebook, les textos, les amis, la famille, c'est incroyable ces encouragements, ces gens qui sont heureux pour toi. Au final j'ai pu dormir trois heures cette nuit là.
Jour 6
Je me perds dans mon nouvel hôtel et je suis en retard le lendemain. J'arrive au Rio cinq minutes avant le coup d'envoi de la journée. Lorsque j'arrive dans la Brasilia Room, je réalise que je me retrouve sur la table TV. Même si ce n'est pas la principale, cela devient sérieux.
Sur ma table, j'ai trois anciens finalistes : Michael Ruane, Antoine Saout et Kenny Hallaert. ESPN prend ma photo pour les incrustations et je dois remplir une petite biographie...
Ca se passe bien à l'entame. Je 3-bet à tapis avec AxAx et le Belge paye avec AxQx. Pas de surprise et puis j'ai droit à un miracle. Je double avec beaucoup de chance puisque je fais brelan de 6x pour craquer QxQx. Je me retrouve à 6 millions de jetons.
Alors que les deux premières heures de jeu se terminent, Ben Lamb nous rejoint et nous bougeons tous vers la table principale, la table télé diffusée en léger différé. Je n'ai jamais reculé devant les enjeux financiers ou la difficulté du jeu mais les lumières et les caméras me rendent nerveux. C'est ma première apparition à la TV, c'est aussi la première fois que mon poker sera visible à 100%.
Mon pote Sunny décide de venir au Rio pour m'encourager. Il m'apporte du café et à manger, il me donne des conseils entre les mains. Il a aussi ramené son PC pour regarder la retransmission et me révéler les mains de mes adversaires après la diffusion sur le streaming. Quand tu sautes du Main Event, tu n'as vraiment pas envie de rester là à traîner, je ne remercierais jamais assez Sunny pour ce coup de main.
Nous devions jouer jusqu'à 27 survivants lors de ce Jour 6. Le Jour 7 se jouait à 27 joueurs. Sur le dernier niveau de jeu, je vois revenir Dan Ott à ma table tandis que mon stack fond, je ne trouve plus de bonnes cartes. L'ICM m'oblige à attendre afin que les petits tapis sautent.
De son côté, Ott ouvre une tonne de mains et profite de son gros tapis. Il savait que les joueurs avaient resserré leur range et il en profitait. Après une ouverture de sa part en début de parole, je pousse mes derniers jetons avec Ax10x.
Il demande le compte exact, pense durant une minute et paye. Il retourne Ax9x. Je fonce dans le rail et j'appelle mon one time. Hold ! La première carte est un 9x et le croupier déballe ensuite quatre cartes qui ne changent rien. Je joue sept outs à la rivière mais le pot file vers Ott. Je suis éliminé en 29e position.
Je n'ai plus d'air dans les poumons. Perdre un 70 - 30 pour 7 millions de jetons sur le dernier niveau du Jour 6 du Main Event c'est très violent, ça vous prend aux tripes. Mon regard tombe alors sur Hesp qui est toujours là, je me souviens que nous ne faisons que jouer aux cartes. J'arrive à faire le tour de la table et je souhaite bonne chance à mes adversaires. Je quitte la salle en marchant lentement.
Quand je serre la main de Ott, il m'indique que j'ai bien foldé hier. "Désolé mec, j'avais AxJx, bon fold", déclare celui qui finira runner-up. Les WSOP me donnent alors un petit carton jaune qui ressemble plus à une carte de fidélité d'un vidéo club qu'un ticket pour encaisser un gain de 214 913$.
Le lendemain, je me réveille avec des démonstrations incroyables d'amour de la part de ma famille et des mes amis. Ma femme, qui a enduré tellement durant notre mariage à cause de mon obsession du poker, a véritablement été mon plus grand fan. Elle n'a jamais été aussi fière de moi.
Des amis perdus de vue depuis vingt ans m'ont envoyé des messages pour me dire qu'ils avaient suivi mon parcours et m'ont encouragé à distance. Ils voulaient me féliciter... je ne savais trop quoi dire. Que d'émotions.
Cette nuit là je suis allé dîner avec 6 joueurs professionnels. Il y avait le vainqueur du Main Event 2014, le Suédois Martin Jacobson. Ils étaient tous largement meilleurs que moi au poker et ils m'ont bien chambré : "Tu viens à Vegas, tu joues un tournoi et tu prends 200 000$"...
Nous avons pris quelques verres, nous avons rigolé et j'ai peu à peu oublié cette dernière main. J'ai commencé à réaliser la chance d'avoir atteint les quatre dernières tables du tournoi principal des World Series Of Poker. L'expérience d'une vie.