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Bachir Zoudji - Sport et poker : "la contrainte de l'argent change la donne"

6 min à lire
Bachir Zoudji - Sport et poker :

Maître de Conférences à la Faculté des Sciences et des Métiers du Sport de Valenciennes (laboratoire LAMIH - UMR - CNRS), Bachir Zoudji est spécialiste en "psychologie de la performance" et plus particulièrement de la prise de décision des joueurs experts dans les sports collectifs de haut niveau.

Il a accepté de répondre aux questions du magazine Pokernews France car si le poker n'est sans doute pas un sport, il reste que le jeu est par nature une compétition, une métaphore de la vie et de la mort du joueur. A ce titre, le joueur de poker est confronté à des situations complexes durant lesquelles il devra prendre des décisions importantes pour, par exemple, assurer sa survie à la table et atteindre en tournoi les places payées. Qu'est-ce que la prise de décision ? Sur la base de quels facteurs réagit un joueur de poker face aux problèmes qui lui sont posés ? Quelles sont les similitudes avec le sport et quelles sont les particularités du poker ? Entretien.

PokerNews : "Qu'appellez-vous dans votre domaine une "prise de décision" ?"

Bachir ZOUDJI:

« Prendre une décision, c'est faire un choix. Il s'agit systématiquement pour le joueur d'une décision consciente. Le concept est subtil car on sait qu'une personne peut prendre une décision soit pour gagner, soit, dans des cas exceptionnels, pour perdre. Par exemple, un joueur peut prendre une décision à l'encontre de l'enjeu de la compétition, c'est à dire "la gagne". En sport, nous pouvons observer ce cas lorsqu'un joueur n'est pas motivé par l'enjeu du match, qu'il ne se sent pas bien dans le groupe et/ou s'il est en décalage avec les instructions de l'entraîneur. Dans ces cas, on observe généralement des choix jugés inadaptés pour donner à l'entraîneur la possibilité de le sortir du terrain ou de ne pas le faire jouer.

Par contre, lorsque je tente de gagner, il me faut faire d'autres choix qui me paraissent les plus adaptés à la situation. En général, ces choix sont subjectifs car d'autres solutions plus adaptées peuvent être appliquées en fonction du degré d'expertise des joueurs. Autrement dit, à un instant T, je pense que ce que j'ai choisi est la meilleure des solutions face à un problème donné. Cette décision est basée sur une connaissance de l'activité, de la situation et/ou de la tâche qui s'acquiert par l'apprentissage et l'expérience.

Nos différents travaux nous ont permis de mieux comprendre comment les experts prennent une décision. Nous savons actuellement que les performances des joueurs experts sont liées à leur base de connaissances riches, structurées et spécifiques à leur domaine et à l'habileté de leur système mnémonique (mémoires). Ces bases de connaissances spécifiques leur permettent de décider et d'adapter leurs choix en fonction des situations en cours.

Concernant le jeu du poker, la décision est spécifique : un joueur pourra donner de fausses pistes pour cacher sa main véritable, pour transmettre un message allant à l'encontre de ce qu'il a en main. Par ce comportement, le joueur de poker peut donc influencer les décisions des autres joueurs, ce que nous appelons des stratégies de déstabilisation du ou des joueurs adverses.

PokerNews : "Quelles sont les spécificités de la prise de décision dans une compétition sportive individuelle et collective?"

Bachir ZOUDJI:

« Dans les sports collectifs, le joueur est prisonnier de trois contraintes : un, les instructions données par son entraîneur pour réaliser la tâche, deux, le comportement de l'équipe adverse pouvant être non adapté au plan de jeu élaboré par son entraîneur, et trois, le niveau d'expertise du joueur dans l'activité. Le niveau d'expertise permet d'adapter ses choix en fonction de l'environnement sans prendre en compte les deux premières contraintes. Dans ce dernier cas, ce joueur fait sa propre lecture du jeu. Généralement, ces joueurs créatifs sont considérés comme des joueurs hors pairs, comme Zidane ou Ronaldino.

Dans les sports individuels, comme au tennis, ce qui compte est la connaissance de soi, de son patrimoine moteur, c'est à dire ses habiletés, et la connaissance de l'adversaire, ses points forts et ses points faibles. En fonction de ces connaissances, le joueur applique une procédure d'action. Il pourra mettre en oeuvre deux stratégies.

La première consiste à endormir son adversaire : il s'agit de répéter plusieurs fois le même geste ou le même coup. C'est la stratégie de conditionnement. Ensuite, le joueur change brutalement de coup pour surprendre l'adversaire et marquer un point. La seconde stratégie réside dans la connaissance d'une faiblesse particulière du joueur adverse. Il conviendra de jouer sur cette faiblesse du joueur adverse pour qu'il n'arrive pas à donner une réponse adaptée à la situation. Dans ce cas, le joueur connaît la faiblesse de la réponse, et sait que cette réponse sera à son avantage. En somme, le joueur ne donne pas l'occasion à son adversaire de développer toute sa classe en terme de réponse appropriée. Les réponses de l'adversaire seront limitées à son expression la plus faible.

PokerNews : «Quelles sont les particularités de la prise de décision au poker au regard de cette analyse touchant au sport ?»

Bachir ZOUDJI:

« A mon sens, la différence entre le poker et le sport réside essentiellement sur deux paramètres : la notion de contrainte temporelle, et la présence (sport) ou l'absence (poker) d'une réponse motrice spécifique à la situation. On a là deux grandes ruptures entre le sport et le poker.

Concernant les contraintes temporelles, le poker a cet avantage que le sujet a le temps pour prendre sa décision. Dans le sport en général, la réponse doit être donnée en direct, en live. L'avantage du joueur de poker est qu'il peut prendre du recul. Il peut regarder les joueurs à la table, imaginer leur main et se faire une idée de ce qu'il représente lui-même à la table. Il peut prendre des informations supplémentaires pour décider. A condition de ne pas être tétanisé par le jeu et l'enjeu, il peut aller plus loin dans la recherche d'informations lui permettant de prendre la décision qu'il jugera la plus appropriée. Dans le domaine du sport, le joueur de haut niveau récupère les informations avant le déroulement de l'action, c'est à dire qu'il fonctionne par anticipation.

Les activités sportives demandent non seulement une habileté cognitive, commune avec le poker, mais également un patrimoine de motricité riche et diversifié pour répondre à la situation et dont dépendent les décisions.

Outre le temps laissé au sujet pour prendre une décision et l'absence de l'acte moteur, la particularité du poker réside aussi dans les facteurs influençant la prise de décision : la manne financière en jeu, les individus avec lesquels on joue, les cartes en main et sa propre personnalité. La principale particularité du poker est sans doute la manne financière présente sur la table, car le sportif ne pense que rarement à l'argent lorsqu'il joue une finale de Coupe du monde. Au poker, la contrainte de l'argent change la donne. Elle est essentielle.

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