Stratégie avec Phil Collins : limper en table finale d'un tournoi
Cet été, la star du poker en ligne Phil Collins 'USCphildo' a connu un 'run' impressionnant dans le Main Event des World Series of Poker qui lui a permis d'intégrer les 'November Nine'. Lorsque la table finale a démarré, quatre mois plus tard, Collins a surpris pas mal de monde avec sa stratégie tout en 'limps'. Nous lui avons donc demandé de nous parler de ce Main Event, des spots intéressants dans lesquels il s'est retrouvé impliqué au cours du tournoi et de sa stratégie de jeu une fois arrivé en finale.
- Bonjour Phil, les mains que j'ai notées démarrent au Jour 4. Peux-tu nous rappeler à quoi a ressemblé ton Main Event jusqu'au Jour 4 ?
- De la meilleure des manières possibles. Comme c'est un tournoi qui dure huit jours, je n'ai pas voulu trop me projeter en avant et me suis au contraire concentré sur chaque journée, en les prenant les une après les autres. Mon but unique était de me mettre dans les meilleures dispositions possibles pour le départ du jour suivant. On commence le tournoi avec 30.000 jetons. J'ai terminé le Jour 1 avec 70.000 et le Jour 2 avec 220.000, ce qui est un départ vraiment canon. Le Jour 3 n'a pas dérogé à la règle avec 400.000 jetons, ce qui me mettait déjà au-dessus du tapis moyen requis pour rentrer dans l'argent. J'ai conservé un gros tapis durant le Jour 4 et les jours suivants, avec à chaque fois environ le double du tapis moyen. Ca m'a permis de rester patient à certains moments et aussi de devenir vraiment agressif quand je le décidais.
- Depuis le temps qu'on parle de stratégie, tout le monde est plus ou moins au courant qu'avec un gros tapis on peut jouer plus agressivement quand la bulle approche, pour mettre la pression sur les petits tapis. Mais justement : tout le monde est au courant. Du coup, les bulles sont-elles toujours aussi exploitables qu'avant ?
- Tout dépend de la table sur laquelle vous tombez. Si vous êtes à une table remplie de petits tapis et de tapis moyens, soucieux de rentrer dans l'argent à tout prix, vous pouvez rentrer dans à peu près tous les coups. Surtout au Main Event. D'un autre côté, si tout le monde s'attend à ce que vous profitiez à fond de la bulle, une bonne stratégie peut être de faire tout le contraire et d'attendre une grosse main pour vous faire payer. Il est donc très important de faire attention à votre image à la table.
- Ok. Parlons de la main suivante, que tu as toi-même appelée : 'la main la plus folle que j'ai jouée de toute ma vie". Peux-tu nous rappeler de quoi il s'agit ?
Bien sûr. On est au Jour 4, la bulle approche, j'ai 1,5 à 2 fois le tapis moyen et un gros tapis vient d'être bougé directement à ma droite. C'est Jonathan Jaffe, l'un des joueurs les plus agressifs au monde mais je ne l'ai pas reconnu tout de suite. On a à peine eu le temps de jouer deux ou trois coups ensemble quand la main en question débute. Deux joueurs ont limpé, dont John 'Pearljammer' Turner, Jonathan Jaffe complète au small blind et je checke Roi-Six dépareillés au Big Blind. Le flop vient As-Roi-Six, soit pratiquement le meilleur flop possible pour ma main. Le premier limper check et Turner mise. Jaffe call et je relance en pensant avoir la meilleure main à ce stade du coup. Le premier limper se couche, Turner paie et je me dis qu'il doit avoir un As. Mais Jaffe décide alors de sur-relancer, ce que je trouve bizarre. Dans mon esprit, il est en train de faire un move, d'autant qu'on est plus qu'à quinze places de l'argent, et je me vois donc toujours avec la meilleure main. J'opte pour un 4-bet, pour 100.000 environ, et le pot devient énorme. Turner se couche à regret mais Jeffey appuie encore sur l'accélérateur en annonçant immédiatement "relance !". Pour 200.000 je crois, ce qui représente environ la moitié de nos tapis respectifs.
A ce moment du coup, je me dis que mon Roi-Six n'est peut-être plus devant et que je risque de dilapider mon gros tapis à la bulle en faisant 'all in' et en étant payé. D'un autre côté, il s'agit de Jonathan Jaffe et les seules mains qui me battent (paire de Rois, paire d'As, As-Roi), il ne les auraient pas limpées de cette manière au départ du coup. Je prends donc mon courage à deux mains et décide de faire tapis. Il se couche instantanément. C'est un pot crucial parce que j'avais deux bons joueurs à ma table, l'un d'eux étant Jonathan Jaffe, et ils viennent de me donner beaucoup de jetons. D'un coup, je me retrouve avec un tapis de 650.000 alors que la moyenne doit être à 300.000. Cette main est totalement marteau. Je ne me rappelle pas avoir déjà vu quelqu'un 5-bet-fold une main au flop comme ça. Je vous ai bien dit que ce type était fou !
- Ok. Nouvelle main et à nouveau un moment-clé du tournoi pour toi. On est au Jour 5, les blindes sont à 8.000/16.000/2.000. Raconte-nous ce coup.
- Il faut d'abord que je plante un peu le décor. Le Jour 5 est un jour un peu bizarre où tout le monde est déjà dans l'argent mais où la ligne d'arrivée semble encore super loin. L'important est de continuer à se construire un gros tapis. j'ai bataillé durant toute la première partie de la journée jusqu'à me retrouver sous le tapis moyen. Tout cela change quand je reçois As-Roi, que je 6-bet à tapis au cutoff. Le Big Blind avait les Rois mais j'ai fini par toucher mon As à la rivière, ce qui m'a permis de me construire un énorme tapis d'1,8M de jetons. C'est le seul coup de tout mon Main Event où je suis parti derrière à tapis. Je le couvrais mais ça aurait pu me faire très mal.
Quelques coups plus tard, peut-être une orbite, j'ouvre avec Ac-8c et le type immédiatement à ma gauche sur-relance relativement petit. Je ne le sens pas si fort que ça. J'aurais pu décider de 4-bet mais je me contente d'égaliser. Le flop apporte un As et deux trèfles. Je check et il décide de faire pareil. Ca ne m'a pas trop surpris et ne me renseigne pas vraiment sur la force de sa main puisqu'il peut aussi faire ça pour contrôler la taille du pot. Il y a quand même de bonnes chances que je sois devant. Le turn me donne le jeu max avec un Roi de trèfle. Je suis peu près sûr que si je check à nouveau il va miser. C'est ce qui se passe et je décide de check-raise assez gros en espérant qu'il ait du jeu. Peut-être As-Roi, les Rois ou une couleur inférieure. Il égalise. La rivière donne un Dix. Je mise quelque chose comme 460.000 et il ne réfléchit pas trop avant de me relancer à tapis. Je paie, bien évidemment. J'ai le jeu max mais il retourne le second jeu max avec Dame-Valet de trèfle. En une orbite, je suis passé de 1 à 3 millions. A ce moment du tournoi, je crois même être chipleader. Aprèce ce pot, j'ai joué à peu près tous les coups restants et j'ai fini ma journée à quatre millions. C'est à ce moment-là que j'ai vraiment commencé à y croire, à croire aux 'November Nine'.
- Lorsque la table finale a démarré, quatre mois plus tard, tu a surpris pas mal de monde avec ta stratégie tout en 'limps'. Qu'est-ce qui t'a poussé à limper à tout va en table finale ?
J'ai beau avoir officiellement 3M$ de gains online, mon compte en banque est loin d'afficher un solde pareil. Lorsque je suis arrivé en table finale, ce qui m'a causé le plus de souci a été de constater les écarts énormes dans l'échelle de gains. Même si on a tendance à se focaliser sur les écarts séparant les toutes premières places, ceux qui s'échelonnent entre la 6ème et la 9ème place sont loin d'être anecdotiques. Dans les cinq années à venir, il est très possible que je ne participe plus à aucune autre table finale dont le vainqueur gagnera 1M$ ou plus. Tout ça a fait que j'ai cherché avant tout à limiter ma variance. Même si j'avais la victoire en tête, ça aurait été du suicide pour moi que de prendre le risque de sauter en 9ème position. D'un autre côté, si je m'étais mis à coucher toutes mes mains j'aurais été sûr de gagner au moins deux places sur l'échelle de gains mais mes chances d'aller au bout auraient été réduite à néant. Mon but restait donc quand même de m'impliquer dans pas mal de coups. D'où les limps.
C'est quelque chose que j'avais déjà fait en ligne. Mais quand vous mettez en place ce genre de stratégie, vous ne pouvez pas vous contenter de limper quelques mains. Si vos adversaires comprennent lesquelles vous jouez de cette manière, ils vont vous exploiter. Donc il faut tout limper. Qu'ils ne puisse plus vous mettre sur aucun éventail précis. De cette manière, je peux aussi bien avoir les As que Valet-Dame.
Et puis je jouais contre des adversaire qui adorent sur-relancer, surtout Pius Heinz d'ailleurs. Lorsqu'il a piqué plein de jetons à Eoghan O’Dea, ça a été un coup terrible pour moi. L'instant d'avant, j'avais un type à ma droite avec une montagne de jetons et je comptais bien lui en piquer quelques uns. Et soudain : patatras ! Comprenez-moi bien, O'Dea est un très bon joueur mais je préfèrais cent fois l'avoir lui à ma droite avec un gros tapis plutôt que de voir le-dit tapis migrer à ma gauche sous les ordres de Pius.
Ben Lamb 3-bet pas mal aussi. Et Sam Holden et Anton Makiievskyi avaient des tailles de tapis parfaites pour sur-relancer directement à tapis. Donc, si je me mettais à ouvrir en relançant, je n'allais pas arrêter de me faire sur-relancer. Des fois à tapis, des fois non. Et je me voyais mal 4-bet à tapis avec autre chose que paire de Dames ou plus. Donc j'ai décidé d'ouvrir en limpant.
Il est tout à fait possible de remporter un tournoi de cette manière. Si les choses s'étaient bien passées pour moi d'entrée de jeu (si j'avais doublé grâce à un setup, aux As ou à un valet-Neuf limpé par exemple), je me serais retrouvé dans les trois plus gros tapis et j'aurais pu alors revenir à une stratégie plus 'standard' en me mettant à relancer quasiment toutes les mains. Mais lorsque Pius a remporté tous ces jetons alors que j'étais toujours short-stack, je n'ai pas eu d'autre choix que de continuer à limper jusqu'au bout. Je n'en suis pas particulièrement fier mais je pense que ça ne m'a pas trop mal réussi au final.
Parti avec le 4ème tapis de départ des 'November Nine', Phil Collins s'est finalement classé 5ème du Main Event des WSOP 2011. Une performance qui lui a rapporté 2.270.000$.
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