Maître Olivier Goldstein : « Faut-il craindre en France une imposition des gains liés à la pratique du poker ? »
NDRL : Analyse exclusive Pokernews.com. Tout droit de reproduction interdite. Maître Olivier Goldstein est associé fiscaliste au cabinet Reinhart Marville Torre / Davis Ward Philips Veinberg.
La récente prise de position du fisc suédois, redressant certains joueurs n'ayant pas déclaré leurs gains au poker, est l'occasion de faire le point sur la situation des joueurs en France.
On rappellera, en préliminaire, que les gains provenant des jeux et paris ne sont, en principe pas taxables à l'impôt sur le revenu (IR). Dans certains cas très spécifiques, cependant, ces gains peuvent faire l'objet d'une imposition.
Arguments en cas de procédure de redressement
Les quelques lignes qui suivent ont pour objet de tracer la ligne de démarcation entre gains taxables et gains exonérés, mais aussi de donner quelques indications sur les arguments qui pourraient être opposés aux services fiscaux français, en cas de procédure de redressement.
En synthèse, on peut dire que les cas d'imposition sont très rares et que les risques de redressement, s'ils ne doivent pas être sous-estimés, peuvent néanmoins laisser espérer au joueur redressé une issue favorable de la procédure, compte tenu des arguments que l'on peut tirer de la jurisprudence, voire de la doctrine officielle des impôts.
Imposition des gains : les risques
L'IR touche les résidents fiscaux français sur le revenu de source française et étrangère. Par résident fiscal français, on entend toute personne, quelle que soit sa nationalité, qui alternativement possède son domicile en France, y séjourne principalement, y exerce une activité professionnelle non accessoire ou y possède le centre de ses intérêts économiques.
Le taux marginal actuel de l'IR (qui touche les revenus nets supérieurs à 67.546€, pour 2008) est de 40%. Le Code général des impôts (CGI) ne prévoit aucune imposition spécifique des gains provenant du jeu ou des paris. Cela ne veut pas dire pour autant qu'il n'existe aucun risque d'imposition. Le CGI contient une disposition balai (l'article 92), qui permet de taxer un certain nombre de revenus non spécifiquement visés par une disposition.
La question est donc celle-ci : sous quelles conditions les gains provenant des jeux et paris peuvent-ils entrer dans cette catégorie balai et, par conséquent, faire l'objet d'une imposition en France?
Le principe : l'aléa chasse l'impôt
La doctrine officielle de l'administration fiscale (qui, il faut le rappeler, lui est opposable en cas de procédure) précise que les gains réalisés dans le cadre de jeux de hasard ne sont pas taxables, en visant, notamment, les gains de loteries ou provenant de paris sur les courses.
Elle se conforme à cet égard à la jurisprudence du Conseil d'Etat, lequel a jugé, par exemple, que les gains provenant de paris sur les courses de chevaux ne tombaient pas dans le champ d'application de l'article 92 du CGI.
Il est intéressant de noter que le fait que le parieur exerce son activité de manière habituelle, qu'il dispose d'un accès favorisé à l'information spécialisée (édition d'un périodique d'informations hippiques en l'occurrence) ou que ses gains aux courses soient supérieurs à ses autres revenus, n'est pas de nature à remettre en question l'exonération dont il dispose.
Or, selon l'article 126 de l'Annexe IV du CGI, les jeux de cartes sont considérés, fiscalement, comme des jeux de hasard. Les joueurs de poker peuvent donc être rassurés, pour la plupart du moins, leurs gains ne sont pas soumis à l'IR en France.
Chasser l'aléa et l'impôt reprend ses droits
Selon l'administration fiscale, les gains aux jeux de hasard deviennent taxables lorsque l'aléa normalement inhérent à ces jeux est supprimé ou fortement atténué. Il en va ainsi, en particulier, lorsqu'un parieur a pesé de manière frauduleuse sur l'issue d'une course ou d'une loterie (il en irait de même de joueurs de poker s'étant frauduleusement entendus). Dans ce cas, le fraudeur est taxé en vertu des dispositions de l'article 92 du CGI.
Selon l'administration, les gains sont également taxables lorsque le joueur peut être considéré comme étant un professionnel. Cette question s'avère beaucoup plus délicate. Un parieur s'est ainsi vu redressé alors qu'il disposait d'un haras, du matériel et du personnel nécessaire à la préparation et l'entraînement de chevaux. Il a été estimé que sa connaissance des courses, en tant que professionnel, avait fortement atténué l'aléa.
Elle considère, en outre, que les joueurs professionnels de bridge sont taxables à l'IR sur leurs gains. On soulignera que cette dernière position prend le contre-pied d'une ancienne décision du Conseil d'Etat selon laquelle un joueur amateur de bridge n'était pas taxable sur ses gains.
Joueurs professionnels : situations non valables de redressement
Malgré l'absence de définition de ce qu'est un joueur de cartes professionnel, on peut d'ores et déjà tracer quelques lignes des situations dans lesquelles un joueur ne devrait pouvoir être valablement redressé par le fisc.
En premier lieu, l'exercice d'une activité professionnelle en dehors de la pratique du jeu est de nature à exclure l'imposition des gains de jeu. A cet égard, peu importe quel est le montant des gains par rapport aux revenus professionnels et quelle est la fréquence du jeu.
En deuxième lieu, on peut considérer que les joueurs qui fréquentent exclusivement les poker-rooms virtuelles, les casinos, les cercles de jeux et les parties privées, sans participer systématiquement à des tournois institutionnels ne devraient pas pouvoir être inquiétés.
Le risque devrait, par conséquent, se concentrer sur les joueurs disposant d'une certaine notoriété. Encore faut-il, à notre sens, que les joueurs en question se consacrent exclusivement au poker et que leur notoriété résulte de gains récurrents à des événements majeurs (ce qui implique également des gains substantiels). En dehors de ces cas, qui ne devraient représenter que quelques dizaines de joueurs, tout au plus, les joueurs de poker devraient pouvoir éviter l'IR sur leurs gains aussi important soient-ils.
Demandes de renseignement du fisc
Cela ne signifie par qu'ils soient à l'abri de demandes de renseignement du fisc et d'éventuels redressements. Dans une telle hypothèse, une procédure bien menée devrait permettre d'aboutir à une annulation de ces redressements au regard non seulement des éléments évoqués précédemment, mais également d'autres sources pertinentes de contestation.
A titre d'exemple, l'évolution jurisprudentielle récente en matière de gains sur les opérations de bourse devrait permettre d'opposer au fisc, en cas de redressement, des arguments décisifs. Depuis une décision Boniface, le Conseil d'Etat admet en effet de plus en plus rarement que les gains réalisés par les joueurs en bourse puissent être considérés comme soumis à l'article 92 du CGI.
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