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Peinture : 'Dogs playing Poker', icône de la culture pop

8 min à lire
Peinture : 'Dogs playing Poker', icône de la culture pop 0001

"Dogs playing poker"? Bien sûr que vous les connaissez, ces bouledogues, mastiffs, St. Bernard et autres collies rassemblés autour d'une table et occupés à jouer au poker en fumant la pipe et le cigare, en buvant de la bière et du whisky. Certains d'entre vous en ont peut-être même une reproduction chez eux, punaisée quelque part sur un mur. Il faut dire qu'elles reflètent tellement bien les machinations des joueurs de poker et leur ardeur à s'emparer des jetons adverses, facilement comparable à celle d'un chien occupé à pister son os.

Cette série de tableaux, dont le premier a été peint il y a plus d'un siècle, fait partie des icônes de la culture populaire américaine. Pour certains, cette série représente le summum du kitsch et de la « culture de gare ». Pour d'autres, ils sont des symboles puissants de la « midlle class » américaine. Quoi qu'il en soit, cette série humoristique est sans doute l'une des oeuvres liées au poker les plus connues du grand public.

Cassius Marcellus Coolidge, sa vie, son oeuvre

Né en 1844 dans l'Etat de New York, Cassius Marcellus Coolidge a déjà presque 60 ans lorsqu'il démarre la série qui le rendra célèbre, ayant déjà vécu plusieurs vies en une. Il a été successivement directeur d'école, fonctionnaire municipal et petit entrepreneur. Il a également travaillé dans le secteur bancaire, c'est d'ailleurs lui qui ouvrira la première banque d'Antwerp, dans l'état de New york. Coolidge a enfin une certaine expérience dans le journalisme puisque ses premiers dessins sont publiés dans des articles signés de son nom. Il a même commis dans les années 1880 un opéra comique, traitant d'une invasion de moustiques à New York, et intitulé King Gallinipper, qui sera joué à plusieurs reprises.

Surnommé "Cash", Coolidge a la fibre entreprenariale et n'est jamais à court d'idées qui rapportent de l'argent. D'ailleurs, la meilleure d'entre elles fait encore aujourd'hui le bonheur des petits et des grands en vacances : ce sont les portraits comiques en pied, dont la tête est découpée pour laisser les touristes venir y glisser la leur et se faire ainsi prendre en photo. Eh oui, l'homme qui a peint les fameux chiens jouant au poker est également celui responsable de vos photos de vacances "Superman avec ma tête à la place »

La genèse de « dogs playing poker »

En 1903, Brown & Bigelow, une agence de publicité de St. Paul, dans le Minnesota, embauche Coolidge. Il est chargé de réaliser une série de peintures à l'huile pour illustrer des calendriers édités par une marque de cigares. Ces peintures répondent donc à la base à une demande commerciale et pas à une simple pulsion créatrice. Bien que nouvelle sur le marché à l'époque, Brown & Bigelow publiera certains des calendriers les plus populaires des années 20, depuis les calendriers « boy-scout » de Norman Rockwell jusqu'à ceux figurant les fameuses « pin-ups » de Gil Elvgren.

En fait, Coolidge peignait des chiens depuis les années 1870 et certaines de ses oeuvres figuraient d'ailleurs déjà sur des boites à cigares. On y trouvait notamment des cabots dans des poses très humaines, pile ce que la société recherchait pour ses calendriers. Au final, Coolidge produira 16 peintures différentes pour Brown & Bigelow. Les calendriers rencontrent un succès immédiat et Coolidge peut même se payer le luxe de revendre les originaux pour des sommes variant entre 2.000$ 10.000$, ce qui est énorme pour l'époque.

Des chiens qui fument, boivent, bluffent et trichent

Toutes les peintures de la série ne représentent pas des chiens jouant au poker. Sept mettent en scène des chiens mimant d'autres activités humaines, comme assister à un match de baseball, participer à un procès, jouer au billard, s'acharner sur une vielle Ford T ou célébrer le Nouvel An. Mais les neuf autres impliquent bien le poker, d'une manière ou d'une autre.

Aucune de ces huiles n'a été appelée "Dogs Playing Poker," bien que ce soit le nom que l'on attribue fréquemment à la plus populaire d'entre elles, "A Friend in Need". Cette toile figure sept chiens attablés qui boivent, fument, étudient intensément leurs cartes et épient leurs adversaires. La scène est fortement éclairée par une lampe rouge qui trône au-dessus de leurs têtes. La partie n'est pas très loyale puisqu'il se passe de drôles de choses sous la table : le bouledogue gris du premier plan qui mâchouille son cigare est en train de passer discrètement l'As de trèfle à son voisin de gauche, qui possède déjà les trois autres. Plus petits chiens à la table, on dirait que ces deux-là jouent en collusion pour venir à bout de leurs gros adversaires.

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"A Friend in Need", de Cassius M. Coolidge

Deux des tableaux, "A Bold Bluff" et "Waterloo", nous racontent une histoire en plusieurs séquences, à la manière du grand peintre du 18ème siècle William Hogarth. Dans le premier, un St. Bernard apparaît au premier plan à gauche, devant une montagne de jetons qu'il vient apparemment de pousser au centre du tapis. Les autres chiens le regardent attentivement mais il ne laisse rien transpirer, bien caché derrière les lunettes posées sur son museau. Dans le second tableau, sa main – une modeste paire de Deux – vient d'être révélée aux autres. Le St. Bernard sourit en voyant tous les jetons que son audace lui a rapporté tandis que les autres chiens affichent différentes expressions, allant de la surprise au mécontentement. Ils viennent de se faire méchamment bluffer.

Dans plusieurs huiles, Coolidge déplace la traditionnelle partie de poker dans d'autres endroits. "His Station and Four Aces" montre une partie dans un train, les chiens grimés en voyageurs. Le conducteur vient interrompre l'un des joueurs pour l'avertir que le train est arrivé à destination. Mauvais timing! Il a quatre As!

Une autre oeuvre, "Stranger in Camp", met en scène les chiens dans un campement et en plein conflit. Les jetons et les cartes ont volé dans tous les sens et deux des joueurs se font face dans une attitude de combat.

"Pinched with Four Aces" nous ramène à une partie privée à domicile, interrompue cette fois par des chiens en uniformes de policier.

"Poker Symy" montre un pauvre boxer retombant sur sa chaise, sa bière renversée et ses quatre As abandonnés sur la table. En face, son adversaire vient de retourner une quinte flush.

"Post Mortem" montre un jeu de cartes empilé sur une table autour de laquelle trois chiens sont toujours installés, occupés à boire de la bière, à fumer le cigare et à discuter de la partie qui vient de s'achever.

Enfin, "Sitting Up with a Sick Friend" est la seule des neuf peintures à figurer des chiennes, reconnaissables à leurs vêtements. Les chiens ont apparemment menti à leurs femmes sur la vraie nature de leur réunion vespérale. L'une des chiennes lève son parapluie comme si elle voulait en frapper l'un des joueurs tandis qu'au premier plan une carte à jouer accusatrice tombe de la table.

 « Dogs playing poker », une charge contre les classes moyennes?

Mis à part le dernier tableau mentionné et à l'image des autres illustrations parues dans les calendriers promotionnels de Brown & Bigelow's, les scènes évoquées par Coolidge dans sa série "Dogs Playing Poker" ne mettent en scène que des mâles. Et vu la nature typiquement masculine des activités représentées (jouer au poker, réparer des voitures et, bien sûr, fumer des cigares), il est assez logique que Coolidge ait choisi des chiens pour parodier les hommes.

Dans un article du New York Times de 2002, la fille de Coolidge, Gertrude Marcella Coolidge, âgée à l'époque de 92 ans, confie qu'elle et sa mère préféraient les chats et se demande à quoi auraient ressemblé ces peintures si leur père avait choisi une direction différente. "Mais un chat qui joue au poker" conclue-t-elle, "ça marche beaucoup moins bien."

Le but de Coolidge était-il de pointer du doigt nos comportements en les ramenant à ceux des animaux? Ou sa cible englobait-elle l'ensemble de la « middle class » et ses valeurs? Dans leur livre Poplorica: A Popular History of the Fads, Mavericks, Inventions, and Lore that Shaped Modern America paru en 2004, Martin J. Smith et Patrick J. Kiger avancent l'idée que Coolidge avait conçu sa série comme une sorte de satire. Ils remarquent que "A Friend in Need" fait étrangement écho à la peinture du 17ème siècle de Georges de la Tour Le tricheur à l'As de carreau, qui était elle-même une charge sans ambiguïté contre la "turpitude morale des classes supérieures".

Cela veut-il dire que Coolidge a utilisé un média commercial pour prononcer un jugement similaire à l'encontre des classes moyennes en Amérique? Si c'est la cas, force est de constater qu'elles ne lui en ont pas tenu rigueur. Au fil des ans, ces tableaux ont été reproduits sous tous les formats imaginables : des posters, des figurines, des trousses à couture, des montres, des dessous-de-plat, des jeux de cartes bien entendu, et que sais-je encore... C'est simple, on les croise partout : à la télévision, dans des paroles de chanson et même à l'affiche de jeux vidéo.

Au cours d'une vente aux enchères en 2005, un collectionneur privé de New York City a acheté les originaux de "A Bold Bluff" et de "Waterloo" pour 590.400$. Le commissaire-priseur a cité le boom du poker comme étant une cause directe de la flambée des cours de ces deux tableaux.

Plus d'un demi-million de dollars. Pas mal pour une simple paire.

Ndlr : Merci à Lassolette, pour nous avoir déniché les images suivantes sur le forum :

Peinture : 'Dogs playing Poker', icône de la culture pop 102
Peinture : 'Dogs playing Poker', icône de la culture pop 103
Peinture : 'Dogs playing Poker', icône de la culture pop 104
Peinture : 'Dogs playing Poker', icône de la culture pop 105

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