Nolan Dalla : Est-il devenu impossible de gagner au poker ?
Nolan Dalla est responsable média des World Series Of Poker, auteur de plusieurs ouvrages sur le poker et les jeux en général, joueur à plein temps et consultant pour les casinos. Il tient un blog sur lequel il partage ses points de vue sur divers sujets. Pour la première fois, il écrit un article pour PokerNews sur un thème récurrent : est-il encore possible de gagner au poker ?
Parlez aux joueurs qui baignent dans le poker depuis un certain temps et beaucoup vous diront que l'argent n'est plus aussi facile à gagner qu'autrefois. Les parties sont devenues plus difficiles. Voici quelques raisons à cela.
Des facteurs économiques
Stagnation de la croissance
D'abord le poker ne connaît pas une croissance suffisamment forte pour avoir un afflux constant de nouveaux joueurs. Les joueurs inexpérimentés font presque toujours une donation à l'économie du poker (bien qu'involontairement), au moins pendant leur phase d'apprentissage.
Le boom qui a créé des millions de nouveaux joueurs de poker de part le monde entre 2003 et 2008 a considérablement ralenti. Les joueurs qui ont le plus profité financièrement de ce boom trouvent maintenant que les parties qui étaient alors profitables sont devenues plus difficiles à battre. Beaucoup de joueurs qui étaient régulièrement perdants ont laissé tomber, tandis que les survivants se sont améliorés. En conséquence, nombre de professionnels ont vu leur profits se réduire considérablement.
Des joueurs toujours meilleurs
Jouer un style de ''abc'' pouvaient fonctionner sur un site comme PartyPoker il y a 10 ans, quand il y avait beaucoup de joueurs faibles en ligne, mais aujourd'hui ces mêmes stratégies élémentaires ne suffisent plus à faire la différence. Tout le monde a accès à l'information. Il y a des livres, des sites de coaching, des forums, un échange constant d'idées et de critiques comme cela n'existait pas par le passé. Il n'est plus si difficile de devenir très bon à ce jeu de manière relativement rapide, surtout si vous êtes prêt à y passer les heures nécessaires. Résultat, les meilleurs joueurs du poker ont vu leurs rangs s'élargir à tel point qu'il y a aujourd'hui beaucoup plus de sharks au sommet de la pyramide. La super-élite du poker qui semblait connaître tous les secrets du jeu il y a quelques années, la fine pointe du poker a vu l'écart de connaissances se réduire entre eux et le reste du field, qui rétrécit constamment. Cela se traduit par des parties plus difficiles et des profits moins importants.
Des coûts opérationnels à la hausse
Un facteur qui ne doit pas être négligé est, pour les casinos, le coût toujours plus élevé du poker comme business. Le rake et le fee en tournois ne cessent d'augmenter pour compenser les coûts opérationnels à la hausse. Pour les joueurs, les taxes sur leur gains viennent aussi siphonner l'argent de l'économie du poker, un facteur qui va devenir de plus en plus vrai au fur et à meure que le poker continue à prendre pied aux Etats-Unis. Ajoutez à cela l'inflation continue des frais annexes – voyage, hôtel et restauration – et le poker est sur le point d'atteindre un point de non-retour.
Ce qui amène la question suivante : le poker est-il devenu imbattable ?
Le poker a-t-il atteint un niveau de stratégie optimale ?
Si l'on ajoute en plus le fait que l'on est proche d'une stratégie optimale pour la majorité des décisions prises à la table (dans certaines formes de poker au moins), et que de plus en plus en joueurs atteignent le Saint Graal de la connaissance du poker, il semble possible que l'on arrive à un moment où l'on ne pourra plus discerner d'edge d'un joueur sur un autre, à tel point que le poker deviendra un jeu de pure chance, à moins que l'on soit convaincu que la psychologie à elle seule puisse être exploitée.
Bien sûr, le poker n'est ni le blackjack, ni les échecs. Une stratégie optimale pure n'est pas possible, compte tenu du nombre infini de décisions à prendre dans une partie de poker. Chaque décision a un impact sur les autres et il n'y aura jamais de ''joueur de poker parfait'', parce que chaque partie est unique et imprévisible dans ses particularités et il n'est pas possible d'en contrôler ni d'en prédire la multitude de variables.
Néanmoins, des concepts stratégiques comme les hand-ranges, le bet-sizing et une myriade d'autres termes qui étaient inconnus il y a encore 20 ans, montrent bien que l'on approche d'un pic intellectuel au poker. A un moment, il ne sera plus possible d'aller plus loin, il y a une limite à ce qui est humainement possible pour jouer au poker. Certains insistent sur le fait qu'il existe déjà une stratégie optimale pour le jeu en heads-up (en limit Hold'em par exemple). D'autres ne sont pas d'accord avec ce point. Mais le fait est que le talent séparant les joueurs devient de plus en plus maigre.
Cela est déjà arrivé auparavant. Si vous jetez un œil à l'histoire du poker, il y a 50 ans de cela, les formes de poker les plus populaires étaient le five-card draw et five-card stud. Aujourd'hui, ils ont quasiment disparu. Que s'est-il passé ? D'autres formes de poker sont apparues, qui ont semblé plus intéressantes, encore plus populaires et ont remplacé les anciennes variantes. Quand les meilleurs joueurs ont compris les bases de la stratégie gagnantes, les autres les ont imités et les profits disparaissant, les parties sont mortes.
Doyle Brunson, disparu dans un trou noir
Ce phénomène continue aujourd'hui. Ce qui se passe actuellement – surtout sur les plus hautes limites – est ce que j'appelle le ''phénomène de groupe''. Nombre des meilleurs joueurs du monde se retrouve sur une seule et même salle. Il y a des centaines, si ce n'est des milliers de joueurs qui pourraient appartenir à cette super-élite, du moins dans leurs meilleurs jours. Cette élite a introduit une manière de savoir qui sont les meilleures – les mixed-games.
Les plus grosses parties de cash games ne sont plus jouées en no limit Hold'em. Depuis le milieu des années 2000, le choix se fait sur un mélange de cinq ou six variantes, parfois huit, voire plus. Badugi, badeucy, badabing, badaboom — quoi d'autre ? Certes, badabing et badaboom ne sont pas encore des variantes de poker, mais d'autres variantes exotiques seront inventées quand les meilleurs joueurs battront le badugi et baduecy et chercheront un nouveau moyen de se créer un edge.
Les jours où Doyle Brunson, "Amarillo Slim" Preston, Brian "Sailor" Roberts et Puggy Pearson régnaient sur l'univers du poker ne sont pas seulement morts, ils ont disparu dans un trou noir. Aujourd'hui, il y a des milliers de joueurs avec un niveau bien plus élevé, à des années-lumières de celui de ces légendes dans leurs meilleurs jours. C'est la même chose dans le football. Les joueurs d'aujourd'hui sont plus forts, plus rapides et plus efficaces que ceux d'autrefois. L'on peut idéaliser ''la belle époque'' tant que l'on veut, mais l'on vit une période où le poker atteint un niveau plus élevé que jamais.
La discussion a débuté avec la question de savoir si à l'avenir il serait encore possible de battre le poker.
La réponse dépend de qui vous êtes, où vous jouez et des options qui s'offrent à vous. Les parties de poker high stakes offriront toujours des opportunités du fait des multiples formes de poker qui y sont proposées. Et les meilleurs joueurs tireront toujours profits de ceux plus lents à s'adapter. De plus, les high stakes attireront toujours des outsiders, même s'ils savent ne pas avoir le niveau. Beaucoup d'amateurs fortunés veulent jouer les grosses parties, juste pour pouvoir dire ''J'ai joué ce big game''. Ainsi, tant qu'il y a aura un siège libre à côté de Phil Ivey, quelqu'un viendra s'y asseoir.
Contribuer à un nouveau boom du poker
Mais les choses ne sont pas si simples pour les basses et moyennes limites. Elles n'ont pas l'avantage d'inventer de nouvelles variantes. Elles se limitent au no limit Hold'em et parfois au pot limit Omaha.
Mais, ces limites offrent un avantage que les high stakes n'ont pas : une grande variété de sélection dans le choix des parties. Il y a beaucoup plus de tables de NLHE 2$/5$ que de Mixed Games 400$/800$. Aussi, être judicieux dans sa sélection de table est souvent la clé du succès.
Les joueurs de basses et moyennes limites ont un autre avantage : ils trouvent des adversaires qui ne jouent pas leur meilleur jeu. Ils peuvent être alcoolisés, en tilt ou juste perdant sur des limites faibles. Et il faut se souvenir que les profits au poker ne viennent pas tant de notre talent que des erreurs adverses.
La vérité est que la majorité des basses et moyennes limites restent possibles à battre car la majorité des joueurs ne sont pas des professionnels et n'ont ni le temps ni la volonté de passer au niveau supérieur. C'est ce qui garantit que le poker reste possible à battre – du moins tant que l'edge du joueur est supérieur au rake.
Cela dit, il est dans l'intérêt de tous de faire en sorte de créer un nouveau boom du poker, qui permettra un nouvel afflux en masse de joueurs de poker inexpérimentés et offrant des opportunités substantielles à ceux qui survivront assez longtemps pour en profiter.
Bien que nous soyons adversaires sur les tables, au final nous sommes tous liés par un but commun sur le long terme : garder les tables pleines et riches en action.
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