Rififi à l'ARJEL, l'institution censure un rapport sur l'addiction
Jean-Pierre Martignoni, un sociologue longtemps salarié de l'ARJEL accuse l'institution et son président d'avoir étouffé un rapport concernant l'addiction des joueurs. Un rapport qui contredirait la vision excessive de l'ARJEL selon Martignoni.
"Après plus de 15 mois de réflexion, le Président de l’ Autorité de Régulation des Jeux en Ligne (ARJEL) Charles Coppolani a donc finalement interdit que l’étude « Ethnosociologie des jeux de hasard et d’argent : poker, paris hippiques, paris sportifs » ( Volet 1, étude quanti, 66 pages) soit publiée sur le site de l’Autorité de régulation", déplore Jean-Pierre Martignoni dans un communiqué.
Alors, qui est Martignoni ?
Et bien, c’est un sociologue, spécialisé sur des jeux de hasard et de l’industrie des jeux d’argent (gambling et e.gambling), chargé d’étude et salarié de l’ARJEL entre 2011 et 2015. Il a publié plusieurs rapports pour l'institution.Il est aussi chercheur associé au Centre Max Weber (CMW- Université Lumière – Lyon 2).
Que contenait cette étude ?
Cette recherche approfondie, basée sur un vaste échantillon représentatif de la population des joueurs en ligne extrait du frontal de l’ARJEL (turfistes, parieurs sportifs, joueurs de poker), comportait : un important volet quantitatif : sondage en ligne auto-administré sur une population de 4145 joueurs et aussi un volet qualitatif. Il s’agissait d’offrir des pistes de réflexion, d’interpréter des statistiques, en restant au plus près des pratiques ludiques numériques observées et des représentations.
"Le volet 1 de cette recherche (étude quanti), que l’actuel Président de l’ARJEL a interdit de mettre en ligne sur le site de l’autorité de régulation, avait en outre reçu l’aval pour publication de Jean-François Villote avant son départ", indique le sociologue.
"Le volet 2 (étude quali : ethno-sociologique des joueurs en ligne : poker, paris hippiques, paris sportifs, 300 pages) était en cours de rédaction et devait être publié en 2015. Le Président de l’ARJEL a interdit que nous réalisions l’enquête complémentaire prévue au domicile des joueurs, fruit d’un long travail d’approche et de mise en confiance avec les e.gamblers et alors que nous avions les autorisations de la CNIL. Cette décision a été pour nous particulièrement consternante, des mois de travail annulés par la volonté d’un seul homme", s'indigne Martignoni.
Pourquoi cette censure ?
"Il est clair que la visite de Christian Eckert à l’Arjel en avril 2015, l’ouverture du site Evalujeu, constituent le point d’orgue d’une Politique Des Jeux « dite » de jeu responsable, qui met systématiquement en avant l’addiction, le jeu excessif, le jeu pathologique…. Publier sur le site de l’ARJEL une vaste étude représentative qui remet objectivement en cause cette vision réductrice du eGambling, cela aurait fait tâche, cela aurait suscité le débat ", pense Martignoni. Bref, l'étude du sociologue aurait sans doute nuancé la vision addictive liée au jeu et cela aurait déplu puisque la protection des joueurs est le motif principal avoué de la régulation.
Le sociologue indique aussi avoir été licencié "sans indemnité, après un CDD d’agent public de l’Etat commencé en 2011 et renouvelé sept fois." Sans doute ce conflit au sein de l'institution revêt-il aussi une dimension personnelle. Il traduit aussi la volonté des pouvoirs publics de ne pas nuancer sa vision du monde des jeux et de trouver des solutions pour relancer un secteur en crise.
Dans son communiqué, Martignoni reconnaît aussi que des discussions ont pu avoir lieu à certains moments mais regrette vraiment l'issue de cette crise.
"Pour conclure, même si nous avons beaucoup investi à l’ARJEL depuis 5 ans au détriment de notre carrière intellectuelle et de notre visibilité (en tant qu’agent public de l’Etat nous étions tenus au devoir de réserve), même si pour la première fois de notre trajectoire nous avons subi une censure alors que notre patron c’était l’Etat finalement, nous serons beau joueur, à défaut d’être le gagnant de cette pitoyable affaire. Car d’une certaine manière nous retrouvons, grâce à « l’actuel » Président de l’ARJEL – Charles Coppolani - notre LIBERTE de chercheur, qui, dans une belle ironie, rejoint la première motivation des joueurs online…" termine le sociologue. Désabusé, le chercheur pointe néanmoins la motivation première qui rassemble la communauté des joueurs online, un sentiment de liberté... en contradiction totale avec le discours d'addiction-protection et de cloisonnement du gouvernement.
Pour le moment l'ARJEL n'a pas réagit officiellement. Aucun communiqué n'a été mis en ligne depuis juillet 2015.
L'intégralité du communiqué a été publié sur le site lescasinos.org