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Le Squeeze Play : une arme à double-tranchant

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Le Squeeze Play : une arme à double-tranchant 0001

Le Texas Hold'em doit sa popularité en partie au fait qu'on y joue contre d'autres joueurs, et non contre la banque. Au lieu d'établir un plan de jeu comme au black ou à la roulette, vous devez ajuster votre stratégie aux joueurs qui sont assis autour de votre table. Vous jouez contre d'autres êtres humains, et quoi de plus humain que de mentir de temps en temps ? La science du bluff permet d'emporter des pots qui ne vous seraient pas revenus si vous étiez allés à l'abattage.

Le squeeze play : un bluff simple et efficace

Un de mes bluffs favoris est le « squeeze play ». Ce coup se nomme ainsi car il repose notamment sur le fait de prendre en tenaille un joueur qui s'est contenté de payer une relance d'un autre joueur. La mécanique du squeeze est assez simple en elle-même mais elle repose sur une lecture juste des mains adverses, principale condition de succès de cette manœuvre qui se décompose ainsi.

1. Un premier joueur ouvre (au cutoff par exemple) avec une relance standard (en étant le premier à parle)

2. Un deuxième joueur se contente de suivre la relance (la petite blind par exemple)

3. Un troisième joueur sur-relance, au besoin à tapis, en dernier de parole (ici la grosse blind par exemple)

L'idée principale derrière cette manœuvre est que le relanceur initial aura parfois une bonne main pour ouvrir avec une relance mais plus rarement une main suffisante pour payer une sur-relance, ne sachant pas ce que le joueur derrière lui va faire. Le relanceur est coincé. C'est l'effet de tenaille voulu par le squeeze.

Le relanceur initial aura souvent la côte pour vous payer, mais le fait d'avoir un dernier joueur à parler derrière lui le paralyse complètement et l'empêche de tenter sa chance en face à face. A moins d'avoir un monstre en main ou de très, très bonnes raisons de voir un bluff, la seule chose à faire pour lui est de jeter sa main et passer les jetons investis en pertes et profits. Quant au deuxième joueur, il avait sans doute une main assez bonne pour payer la première relance et se retrouver au flop en position. Mais le squeeze le force à payer une relance bien plus forte pour qui plus est, se retrouver hors de position au prochain tour d'enchères ! Lui aussi passera la plupart du temps, et le « squeezeur » récupèrera le pot sans même aller voir le flop.

MAIS ATTENTION ! Le squeeze est un coup risqué que vous ne devez tenter que lorsque toutes les conditions nécessaires sont réunies !

Voici deux exemples de squeezes réalisés dans des situations sous haute pression en fin de Main Event des WSOP. Le premier expose les conséquences funestes d'une squeeze dont le contexte a été mal évalué. Le deuxième démontre que bien éxécuté, ce bluff peut rapporter très gros avec absolument rien en main.

Un squeeze raté qui coûte cher : Manuel Bevand aux WSOP 2008

Lors du dernier Main Event des World Series of Poker (WSOP), Manuel Bevand fut le meilleur pro du Team Winamax et un des rares Français à atteindre les places payées. Après un gros rush durant le Day 3 la nuit précédente le voilà au Day 4 avec un tapis de 270.000, loin de la moyenne mais suffisant pour attendre une bonne occasion de doubler avec des blindes à 3.000/6.000.

C'est alors qu'intervient un coup en fin de journée où "ManuB" va tenter son coup favori, un bluff qu'il utilise au moins une fois par tournoi : le squeeze.

Un joueur au hijack (deux places avant le bouton) relance à 20.000. Le joueur juste après lui au cut-off décide de suivre. Bevand prend quelques secondes de réflexion et annonce tapis pour 270.000 !

Le premier joueur passe et le second paie instantanément avec une 1010. Bevand retourne alors une main vraiment marginale : J7 ! Le tableau ne lui apportera rien de plus qu'un tirage couleur et le Français sortira sur ce coup.

Que s'est-il passé?

Manuel Bevand a profité des temps morts où il n'était pas impliqué dans les coups pour observer sa table et ses lectures se sont révélées extrêmement justes jusqu'à présent. Il a identifié le premier relanceur comme large agressif. Quant au second joueur il est plutôt passif.

Le coup est donc très logique dans sa construction et se prête bien à un squeeze. Bevand expliquera les raisons de sa décision ainsi : "Je fais ça parce que si cela passe, je monte un tapis de 350,000 ce qui m'aurait permis d'être une menace plus importante après le flop. J'étais sur à 99% de mon read sur le premier joueur mais j'ai oublié le second a aussi parfois une main même si cela reste très rare avec un joueur de ce profil".

En effet, ManuB a "oublié" que le second joueur s'était déjà contenté de payer une relance sur un coup précédent avec... une paire de 10 ! Couvrant largement le Français, ce joueur n'a donc pas hésité à tenter le coin-flip, pour finalement se voir largement devant. La seule vraie erreur sur ce coup est peut-être d'avoir fait tapis. ManuB aurait pu relancer à 70.000. Son adversaire aurait probablement sur-relancé à tapis et ManuB aurait du jeter sa main. On ne peut pas envisager que le second joueur se soit contenté de payer avec une paire moyenne. Mais la pression du tournoi, le rythme lancinant dans lequel la table est tombée, et la fatigue accumulée après 5 jours pleins d'un tournoi intense et exigeant ont eu raison de la concentration de Manuel Bevand : "Je suis fatigué mais je ne suis toujours pas redescendu du rush provoqué par l'action. Je n'ai pas encore de recul quant à la fin de mon tournoi même si j'aime de moins en moins la main sur laquelle je suis sorti. Mais il faut savoir prendre des risques quand on a une intuition. Mon move était bon mais mon stack était trop important. (...) Le spot n'est pas mauvais mais il n'est pas génial non plus. J'avais envie de jouer mais je n'étais pas obligé (quoique ça reste EV+)."

Cette situation montre à quel point vous devez être SUR ET CERTAIN de vos lectures avant de tenter un squeeze play.

Dan Harrington réalise un squeeze d'anthologie en table finale des WSOP

Voici un exemple tiré des WSOP 2004 qui montre comment un squeeze bien exécuté peut vous rapporter un gros paquet de jetons durant une phase cruciale d'un tournoi, et peut faire la différence entre mourir à petit feu ou vaincre les armes à la main ! Ce coup se déroule à la table finale, et il ne reste que 7 joueurs :

[Petite Blind] Glen Hughes 2.375.000$

[Grosse Blind] David Williams 3.250.000$

1 Josh Arieh 3.890.000$

2 Al Krux 2.175.000$

3 Greg Raymer 7.920.000$

4 Matt Dean 3.435.000$

5 Dan Harrington 2.320.000$

Les blinds sont de 40.000/80.000 avec antes de 10.000, le pot est donc de 190.000 au départ de la main.

Josh Arieh ouvre avec une relance de 225.000 avec K9, un peu moins que 3 grosses blinds. A ce moment il est l'un des joueurs les plus actifs à la table.

Al Krux couche sa main.

Greg « Fossil Man » Raymer n'a pas eu de jeu depuis un long moment et il décide de suivre avec A3.

Matt Dean jette sa main.

Dan Harrington aurait pu jeter sa main 62, mais le call de Raymer va créer les conditions idéales pour un squeeze. La table joue plutôt large et les joueurs se retrouvent souvent tentés d'aller voir un flop pour pas trop cher quand la côte n'est pas trop mauvaise. Du coup une relance standard à 500.000 ne suffit plus pour décourager les curieux. Pour ces raisons et parce que tous les éléments étaient en place pour cette manœuvre bien pensée, Dan Harrington sur-relança à 1.200.000 !

Glen Hugues jeta sa main, comme David Williams qui avait de loin la meilleure main avec AQ mais ne pouvait décemment pas tenter le diable avec ce jeu !

Josh Arieh se sentit soudain plutôt mal embarqué avec son K9et deux joueurs derrière lui. Il jeta logiquement sa main.

Greg Raymer partit du principe qu'il était face à un As mais doté d'un meilleur kicker, ou bien contre une petite ou moyenne paire. Dans les deux cas c'était beaucoup trop cher pour lui, et il coucha logiquement sa main.

Quand et comment tenter le squeeze?

Rien n'est plus satisfaisant que de réussir un squeeze play, et vous pouvez ramasser un paquet de jetons avec cette manœuvre, en particulier quand les blinds sont suffisamment élevées. Mais avant de vous prendre pour Super-Squeeze-Man et de vous jeter dans le vide, il vous faudra tout de même prendre quelques précautions pour ne pas vous écraser sur le bitume avec un bluff moisi qui vous mettra dans une position fort embarrassante. Suivez les conseils suivants et vous aurez de bonnes bases pour faire du squeeze une arme de plus dans votre arsenal de joueur de poker :

1. Avant toute chose, vous devez avoir une bonne raison de penser que le relanceur initial n'a pas une main assez bonne pour payer votre sur-relance. Evidemment plus vous aurez de tells précis sur le joueur et plus votre décision sera facile à prendre. C'est sur ce genre de coups que toutes les informations accumulées lors d'une patiente observation de vos adversaires donneront le plus dividendes. Si vous avez remarqué que le relanceur ouvre souvent en position, c'est un bon signe. S'il a marqué un temps d'arrêt et reculé inconsciemment au moment de soulever ses cartes avant de miser, jetez votre main qui ne fera jamais coucher la paire de Rois ou d'As adverses. Pour faire simple, vous devez savoir si le premier joueur a tendance ou non à relancer en premier de parole avec des mains marginales ou pas. Cette seule information peut parfois suffire à justifier un squeeze si votre instinct vous souffle que tel est le cas. Le relanceur idéal pour un squeeze est donc un joueur plutôt large-agressif.

2. Le deuxième joueur a juste payé la relance, au lieu de sur-relancer. S'il avait sur-relancé avant que vous ne parliez, vous pouvez être assez confiant qu'il a sinon un monstre au moins une très bonne main comme As-Roi, ou une paire de Valets voire une paire plus haute. En aucun cas votre sur-relance ne le fera fuir surtout une fois que le relanceur initial a jeté sa main. Le fait de payer sec la première relance indique en général une main pour aller voir le flop, notamment une petite paire ou une main à tirages comme des connecteurs assortis, mais pour payer un deuxième relanceur. L'idéal est donc que ce second joueur soit plutôt du style large-passif.

3. Vous devez avoir une image très solide à la table. Idéalement vous aurez projeté une image de joueur serré et vos adversaires n'ont vu que des mains premiums sur les abattages où vous étiez impliqués. Si vous vous êtes fait attraper en flagrant délit de bluff, vous aurez beaucoup, beaucoup de mal à réussir votre squeeze. Le squeeze est un coup important mais risqué, qui repose aussi beaucoup sur le fait que vos adversaires ne vous croient pas capable de bluffer dans cette configuration. Si vous les pensez capables de vous voir en bluff ou que vous leur donnez de bonnes raisons de le penser abandonner l'idée du squeeze jusqu'à rétablir une image serrée, par exemple en ne montrant que deux grosses mains sur deux heures de jeu.

4. Evitez de multiplier les squeezes sur une même session ou sur une même table lors d'un tournoi. En fait deux squeezes par partie c'est peut-être déjà un de trop.

Le squeeze play est un peu le quadruple-axel du poker. En cas de chute c'est la catastrophe, en cas de succès c'est un stack et une confiance gonflés à bloc qui vous permettront parfois de vous sortir de l'impasse avec strictement rien en main. Il fait appel à des notions d'observations complexes et doit être préparé par une lecture parfaite de la sélection de mains adverses. Quand on commence à gagner les plus gros coups avec les moins bonnes mains, c'est que l'on a déjà fait un sacré bout de chemin sur la route du succès. Une chose est sûre, vous ne devez jamais en abuser : un squeeze ça va, trois squeezes bonjour les dégâts !

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