Le Congrès américain dit "non" au poker en ligne
Vendredi 29 septembre 2006, le Congrès américain a adopté une loi interdisant les transactions bancaires vers les sites de jeux d'argent. L'Italie fait le chemin inverse et reconnaît comme légal le jeu sur Internet.
Le texte de loi que les acteurs économiques du poker attendaient tous a été adopté par le Congrès américain vendredi 29 septembre. La loi «Unlawful Internet Gambling Enforcement Act of 2006» a été adoptée dans un texte plus large incluant des mesures sur la sécurité des ports maritimes qui ne pouvaient que passer devant les parlementaires. Le sénateur de l'Etat du Tennessee est donc arrivé à ses fins, et désormais, les joueurs américains de poker en ligne et les joueurs d'argent de tous poils sur Internet aux Etats-Unis vont connaître certaines difficultés pour gérer leurs comptes.
La principale mesure instaurée par la loi se concentre sur les instruments financiers permettant aux joueurs d'alimenter leur comptes. Les banques doivent maintenant surveiller les transactions financières de leurs clients et refuser celles touchant aux sites de jeux d'argent en ligne. Le Sénateur Frist a déclaré après que l'adotpion du texte : « bien que nous ne pouvons pas surveiller chaque joueur en ligne ou réglementer le jeu offshore, nous pouvons très bien imposer des conditions aux établissements financiers sur la base de nos lois.»
Cependant, à en croire les divers juristes que nous avons consulté, la loi ne dit nullement qu'il est illégal de jouer en ligne au poker. Cette nouvelle loi vise principalement les instruments bancaires (cartes de crédit ou de débit) et les flux financiers vers les sites de jeux d'argent et les sites de poker.
Selon le professeur Nelson Rose, «le sénateur candidat à la présidentielle Bill Frist vient de grappiller quelques voix vers l'aile droite de sa base d'électeurs portés sur la religion. Cette loi ne s'applique qu'aux jeux illicites («unlawful»), ajoute-t-il, ce qui veut dire qu'elle ne concerne les pas les jeux autorisés par la loi fédérale, le «Wire Act». On pourra donc toujours trouver des arguments par exemple pour dire que le poker en ligne n'est pas une chose illégale.
«Ensuite, la nouvelle infraction constituée par le fait de transférer de l'argent ne concerne que le business du jeu. Les banques et les payeurs ne sont pas inquiétés par la loi, à moins que l'on décide de jouer sur la notion de complicité. Le ministère des finances va certainement mettre en place une nouvelle réglementation pour que les fonds en cause soient identifiés et bloqués. Les banques vont aussi devoir refuser les chèques» précise M. Rose.
En ce qui concerne les établissements financiers offshore, et notamment la plate-forme Neteller, Nelson Rose souligne un important facteur : «Pourquoi Neteller devrait se plier à la législation des Etats-Unis ? L'Etat peut demander à aux opérateurs Internet de ne pas héberger de sites spécialisés dans les transferts d'argent, mais Neteller n'est pas hébergé sur un serveur américain. Les Etats étrangers ne sont pas obligés non plus de mettre en œuvre les injonctions américaines. »
Quels Etats étrangers par exemple ? Ceux d'Europe. Il y a quelques semaines seulement, l'Italie faisait machine arrière en rendant légal les jeux d'argent sur Internet après avoir en février dernier obligé les fournisseurs d'accès italiens à bloquer les adresses IP des opérateurs de jeux online ne disposant pas de concession en Italie. La légalité des jeux d'argent sur Internet sera effective dans la péninsule le 1er janvier 2007.
L'Italie emboîte ainsi le pas au Royaume uni qui, dès avril 2005, a adopté une loi instaurant un régime d'autorisation pour tous les jeux d'argent sou forme numérique (ordinateurs, téléphones mobiles, télévisions interactives...) La nouvelle législation anglaise attend encore toutefois ses décrets d'application. Ces décrets précisent les termes de la loi pour qu'elle devient concrètement applicable. Ils ne devraient voir le jour qu'en 2007 après discussion entre les autorités publiques et les opérateurs de jeu anglais et offshore. Le Royaume Uni espère notamment ramener sur son territoire les opérateurs de jeux, dont le siège se situe sur des terrioires britanniques indépendants, comme Gibraltar.
La France, quant à elle, ne propose pas encore d'une législation claire au sujet des jeux d'argent en ligne. Les principaux textes datent des années 60 et ne sont pas accessibles sur Internet pour consultation. Ils organisent un monopole de l'Etat sur les jeux d'argent autour d'entreprises publiques (Française des jeux, PMU) et d'autorisations données aux casinos et cercles de jeux. Mais ce monopole est mis à mal par la facilité d'accès sur Internet aux sites de jeux d'argent, notamment européens. Il est également fragilisé par la récente jurisprudence de la cour de justice européenne questionnant la légalité d'un monopole face au principe de libre circulation des services dans l'Union.
Récemment, la police française a arrêté deux responsables de la société autrichienne Bwin pour «organisation illégale de paris en ligne» et «publicité pour les paris en ligne». Les deux dirigeants, Manfred Bodner et Norbert Teufelberger, étaient venus pour une conférence de presse annonçant un partenariat de sponsoring signé avec l'équipe professionnelle de football de Monaco.
M. Bodner et M. Teufelberger pensaient pouvoir passer outre la législation française au nom du marché unique européen. «Nos opérations sont basées sur des licences couvrant l'Europe. Nous allons poursuivre la France en justice car c'est une violation des lois européennes. Il y aura de nombreux procès» a répondu le porte parole de la société Bwin après l'interpellation. Si Bwin passe de menace à exécution, l'affaire portée devant la justice devrait sûrement servir de ligne de conduite aux opérateurs de jeux concurrents sur le marché de l'hexagone. Ce d'autant plus qu'une adaptation de la législation en France semble peu probable dans l'immédiat. C'est un mauvais thème de campagne pour les prochaines élections présidentielles.