Nord contre Sud : Deux philosophies du poker
Lors des World Series of Poker 2008, les explosions de joie de Hevad Khan étaient difficiles à manquer. Tellement difficiles en fait que, dès l'année suivante, le règlement ds WSOP accueillait une nouvelle règle interdisant “toute célébration excessive aux tables”. En clair : Depuis cette date, il est interdit de danser autour de la table en hurlant à la lune. A moins de vouloir écoper d'une pénalité. Si vous vous promenez entre les tables du Rio casino aujourd'hui, vous ne verrez rien d'autre que des joueurs polis tripotant pensivement leurs jetons.
Les mentalités mondiales se distribuent assez équitablement en deux groupes, chacun occupant une rive du Rio Grande (sur le continent américain) et de la Loire (en Europe). L'aspect calme et studieux des parties de Las Vegas n'a rien à voir avec le spectacle permanent qu'offraient les joueurs méditerranées du dernier Partouche Poker Tour de Cannes il y a quelques semaines. Ou qui s'offre aujourd'hui à nos yeux au City center de Rosario, en Argentine, où se déroule en ce moment même une nouvelle étape du Latin American Poker Tour.
L'heure latine
Si vous êtes familiers des tournois 'latins', vous savez que la passion et les émotions fortes ont non seulement droit de cité aux tables mais qu'elles sont de fait recherchées. Pour un 'nordique', assister à ces bruyantes explosions de joie ou de frustration, aux tables ou dans le public, peut s'avérer assez déstabilisant. Certains parlent même d'un manque de politesse. Mais est-ce vraiment le cas ?
J'ai demandé au directeur de tournoi du LAPT Greg Pappas pourquoi il les autorisait, au mépris de la plupart des règlements officiels. Voici ce qu'il m'a répondu : "En Amérique du sud et dans tous les pays latins, les gens sont naturellement passionnés. Si vous ne l'acceptez pas en Amérique du nord, ici ça fait pleinement partie du jeu.”
Les peuples latins ont une approche de la vie beaucoup moins compassée que dans les pays qui manquent de soleil. On a d'ailleurs une expression ici pour qualifier cette philosophie : "Hora Latina" – L'heure latine. Les avions décollent rarement à l'heure, les horaires d'ouverture des magasins varient d'un jour à l'autre, au gré des humeurs des propriétaires, et je peux vous garantir que faire démarrer un tournoi de poker à midi précise serait considéré comme un manque évident de savoir-vivre. Tout comme serrer la main de quelqu'un plutôt que de lui faire la bise.
Laissez parler le latin qui est en vous
Mais, au-delà de ces différences culturelles, la passion ne fait-elle pas partie de votre jeu au même titre que de celui d'un marseillais ou d'un carioca ? (si vous êtes de Marseille ou de Rio, ce n'est pas à vous que je m'adresse !) Prenez n'importe quel américain et observez à quel point il vibre pour son équipe de football américain favorite. Prenez n'importe quel londonien et regardez-le trembler pour Tottenham ou Arsenal. Il fait des bonds derrière sa télévision et hurle de joie à chaque fois que son équipe marque un but. Tout comme vous, lorsque vous touchez votre '2-outer' à la rivière, confortablement caché derrière votre moniteur en compagnie d'une ami proche. Ne mentez pas, vous venez de lui taper dans la main avec un 'Yess!' guttural avant de vous mettre à courir autour de la pièce en hurlant “bulllldooooozzzzer.” Ou alors c'est moi qui me fais des idées ?
Ces exemples frappants de “célébration excessive”, nous les portons en nous et elles ne demandent qu'à sortir. Ca fait tout simplement partie de la nature humaine. Finalement, forcer chacun à rester en permanence poli avec son voisin, parfois jusqu'à l'hypocrisie, n'est-ce pas un comportement un peu névrotique ? Après tout, une bonne part de notre attrait pour le poker réside dans le fait que nous sommes seuls contre tous les autres. Alors, c'est vrai, il y a des moments où on a l'impression que notre adversaire a très mal joué un coup et où on supportera difficilement de le voir se hausser bruyamment du col tout en empilant nos jetons. On aura alors qu'une seule idée en tête : grimper sur la table et les lui faire ingérer un par un. Mais est-ce vraiment si grave ?
Soyez prêt !
En tout cas, si vous avez un jour la chance de vous rendre à Cannes, à San Remo, à Barcelone ou à Mexico pour disputer un gros tournoi (EPT, LAPT...), attendez-vous à voir des tables violemment frappées et des adversaires se lever brutalement en poussant des jurons ou en vous pointant du doigt. Parfois pour vous féliciter, d'ailleurs. N'en prenez pas ombrage, amusez-vous en plutôt. Laissez parler le gosse qui est en vous et remerciez le soleil.
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