Histoire du poker : Bill Smith, un champion du monde oublié
Depuis le boom du poker de 2003, nombre d'anciens champions du Main Event des World Series of Poker sont devenus de stars. Et notamment ceux des années 80. Stu Ungar (1980, 1981), Jack “Treetop” Strauss (1982), Tom McEvoy (1983), Berry Johnston (1986), Johnny Chan (1987, 1988) et Phil Hellmuth (1989) ont tous continué à connaître le succès aux tables par la suite ou ont au moins été immortalisés par l'histoire du poker. En 1984, “Gentleman” Jack Keller remportait le titre et son nom sonne familièrement à l'oreille de beaucoup de fans de poker. Ils sont en revanche moins nombreux à avoir entendu parler d'un joueur qui a été à une époque considéré comme un des tout meilleurs du monde, le champion du monde 1985 Bill Smith.
Ses débuts sur les routes
Smith était un joueur de la vieille école, un 'road gambler' qui avait écumé pendant des années le circuit clandestin du sud des Etats-Unis, avec des arrêts à San Antonio, Victoria, Houston, Wassahatchee, Corsicana et Dallas. C'est dans cette dernière ville qu'il croisait souvent la route de Doyle Brunson, de Sailor Roberts et de T.J. Cloutier. Lequel a d'ailleurs rencontré sa femme actuelle, Joy, lors d'un rendez-vous en aveugle organisé par l'ex-femme de Smith, Cleta.
Bill Smith et la boisson
Cloutier et Smith étaient très proches, et le premier considère le second comme un des meilleurs joueurs de l'histoire. Dans son livre Championship No-Limit & Pot-Limit Hold’em, qu'il a co-écrit avec McEvoy, Cloutier explique : “Lorsqu'il était jeune et qu'il n'avait pas trop bu, Bill avait un tel sens du timing, c'en était presque irréel. Il savait toujours quand lâcher son brelan ou payer avec une troisième paire. C'était un fabuleux joueur de cartes mais il est devenu alcoolique. Il faut dire qu'il n'était jamais meilleur aux cartes que quand il avait bu. Lorsqu'il était à jeun, Bill pratiquait un poker A-B-C, serré, lisible. Quand il était à moitié saoûl, par contre, il élargissait sa gamme de coups, tentait des moves extraordinaire et se transformait en dieu du poker.”
Dan un autre de ses livre co-écrit avec McEvoy, Championship Omaha, Cloutier complète son évocation du champion : “Sobre, il jouait trop serré. A moitié saoûl, il devenait un joueur exceptionnel. Complètement cuit, il vous rendait tout votre argent (...) Il y avait deux manière de se rendre compte qu'il était fait comme un coing (...) La première, c'était qu'il se mettait à additionner le flop à haute voix. Sur un tableau 10-7-4, il se mettait à gueuler ’21!’ par exemple. Et puis, lorsqu'il se levait pour aller se rechercher un verre ou se rendre aux toilettes, sa démarche devenait plus incertaine. C'était le bon moment pour se mettre à jouer contre lui.”
Smith aux WSOP
En dépit de son statut de 'road gambler', il n'est apparu qu'en 1981 sur les écrans-radar du Main Event des WSOP, lorsqu'il a fini à la 5ème place pour 37.500$. Quatre ans plus tard, il remportait 700.000$ et le tournoi. En finale, il lui a fallu se débarrasser de Jesse Alto (6ème-42.000$), Hamid Dastmalchi (5ème-70.000$), Johnston (3rème-140.000$) et Cloutier (2nd-280.000$).
L'histoire voudrait que Smith ait démarré ce tournoi totalement sobre et qu'il se oit laissé convaincre ensuite par les vertus de quelques boissons alcoolisées. Au fil des verres, Smith s'est mis à pratiquer un poker de haute voltige qui lui a permis d'amasser une montagne de jetons. Il a donc continué à boire et s'est bientôt retrouvé en table finale. Il était complètement cuit à ce moment-là mais Dame Chace a alors pris le relais et l'a rendu complètement inarrêtable.
Dans le match à trois, Cloutier sort Johnston. Dans cette main, Cloutier a {A-}{J-} et Johnton {A-}{K-}. Le flop vient {K-}{J-}{x} et tout l'argent part au milieu. Un valet au turn donne l'avantage à Cloutier et la rivière est une brique. Cloutier décrit ensuite le combat qui l'a opposé à Smith, dans Championship No-Limit & Pot-Limit Hold’em :
“On s'est retrouvés dans le tête-à-tête final. Je faisais la course en tête face à Bill. Mais la main cruciale de cette partie s'est déroulée quand j'avais deux Neuf et lui deux Rois en mains. Il a fait tapis et j'ai payé, ce qui lui a permis de doubler. Il a alors fallu que je me mette à 'grinder' comme un fou pour refaire mon retard. Cette année-là, le tournoi avait accueilli 140 joueurs. Il y avait donc 1.400.000 jetons en circulation ; J'ai réussi à revenir à 350.000. Bill ouvre une main en effectuant une petite relance, je regarde ma main et je vois un As. Je n'ai même pas regardé l'autre carte mais j'ai fait comme si. Et je l'ai immédiatement sur-relancé à tapis. Je savais qu'il y avait une chance qu'il prenne la mauvaise décision et que je revienne à sa hauteur. Il était bien alcoolisé à ce moment-là et je voulais le mettre face à de choix difficiles. Il a payé. J'ai donc regardé ma main et j'ai vu que mon kicker était un trois. Et Bill avait deux Trois en main ! Sa paire a tenu et il a gagné le titre.”
En 1986, Smith était de retour et une fois de plus en table finale. Il n'a pas réussi à défendre son titre, qui est revenu à Johnston, mais a tout de même terminé 5ème du tournoi. Ca a été la dernière place payée de Smith aux WSOP. Tout bien considéré, Smith ne s'est jamais inscrit qu'à trois tournois des WSOP, trois fois le Main Event. Dont il a à chaque fois atteint la finale, pour un total de gains de 788.800$. Un retour sur investissement assez impressionnant.
Une fin anonyme
Malheureusement, à la fin de sa vie, Smith ne jouait plus qu'aux tables de 4$/8$ hold’em du Gold Coast Casino. Son style de vie a fini par le rattraper et il est mort en 1997. Alors que tous les vainqueurs du Main Event sont affichés en grand dans l'Amazon Room, Smith est le seul qui manque. C'est la famille de Smith qui aurait refusé de signer l'autorisation d'utiliser son image. C'est la raison pour laquelle les photos de Smith sont rares et très espacées dans le temps. Quoi qu'il en soit, Smith est l'un de nos anciens champions du monde et l'un des joueurs de poker les plus hauts en couleur de l'histoire du jeu.
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