Stratégie Poker : comment Ramzi Jelassi utilise-t-il un gros stack en tournoi ?
Le joueur suédois Ramzi Jelassi a remporté plus de 2,3M$ en tournois Live au cours de sa carrière, dont un bon million décroché le weekend dernier, à l'issue de sa victoire à l'EPT Prague 2012 ; cet été, il avait également terminé 3ème du tournoi de pot-limit Omaha à 5.000$ des World Series of Poker Europe. Aujourd'hui, Jelassi a accepté de parler de stratégie 'deepstack' en tournoi avec Kristy Arnett.
Jelassi, un suédois typique ?
- Tu es resté très longtemps chipleader à l'EPT Prague. Quelle est ta stratégie en règle générale avec un gros tapis ? T'est-il déjà arrivé d'en dilapider par manque de discipline ? Les joueurs suédois ont une image hyper-agressive....
- Parfois, vous envoyez tout au milieu en vous disant que c'est la chose à faire alors qu'en fait, pas du tout. Cela arrive surtout quand le pot est énorme et qu'il attise votre convoitise. Du coup, j'ai changé de stratégie en m'attaquant de préférence aux petits tapis, histoire de ne pas finir 'broke' après un unique accident de parcours. Bien sûr, il y a des moments où vous irez aussi chercher des noises aux tapis moyens. La règle générale est d'essayer d'éviter d'aller titiller les gros tapis dans des pots énormes. Ce qui importe avant tout, c'est la structure des gains, les écarts de paiement, pas la taille de votre tapis. Il arrive que la meilleure tactique soit de se coucher encore et encore, le temps de laisser le temps à quelques joueurs de sauter, pour vous garantir une paie bien supérieure.
- Mais les autres gros tapis devaient avoir peur de toi à Prague, eux non-plus ne voulaient pas sauter. Tu aurais pu les pousser à abandonner quelques très gros pots. Faut-il vraiment toujours résister à la tentation ?
- Au poker, tout est question d'équilibre. C'est sûr que si j'identifie un autre gros tapis comme serré et 'weak', je vais l'affronter à chaque coup. Maintenant, si c'est un bon joueur, qui a un style LAG (large-agressif), je ferai beaucoup plus attention. A une table, il y a souvent un phénomène de symbiose involontaire lorsque s'y retrouvent deux bons joueurs. Comme ils ont tout intérêt à s'éviter mutuellement pour reporter leur attention sur les petits tapis, eh bien, ils s'évitent effectivement, sans même avoir besoin de nouer d'alliance verbalisée.
Intox psychologique
- A la fin du Jour 4, tu étais chipleader à ta table et je me rappelle t'avoir entendu demander au directeur de tournoi quand aurait lieu le prochain palier de gains. Ca devait représenter quelque chose comme 4.000 euros. En quoi ce palier a-t-il compté dans ta stratégie ?
- Pour moi, ça n'avait aucune importance. Les joueurs de ma table ne pouvaient pas grand chose contre moi à ce moment-là de toutes façons. Mais pour eux, ça voulait dire quelque chose. En fait, je voulais savoir si les petits tapis allaient se mettre à faire 'all-in' tout de suite ou s'ils allaient attendre le prochain palier de gain. Du coup, j'ai opté au moins deux fois pour des relances que je n'aurais probablement pas faites si j'avais eu la sensation que je risquais de me prendre un tapis dans les dents.
- Est-ce que le fait que tu aies posé la question à haute voix au directeur de tournoi est significatif de quelque chose ? une sorte de 'meta game', pour que les autres savent que tu n'étais pas dupe de ce qui se passait dans leurs têtes ?
- Absolument.
Repérer le point de rupture
- A un moment donné, le jeu s'est poursuivi à six joueurs par table et l'un d'entre eux t'a dit que la vie devait être belle pour toi puisque ce format 6-max te permettait de relancer tout le temps et d'empiler facilement les jetons. Comment as-tu réagi au fait que quelqu'un verbalisait le fait que tu relançais en permanence ?
- Je m'en fiche. C'est le poker. Entre les main, on est potes mais pendant les mains c'est un combat à mort. Quand on joue de manière agressive, il faut s'assumer jusqu'au bout et ne pas se sentir mal à l'aise.
- Oui mais est-ce qu'avec l'expérience, tu arrives plus facilement à estimer le point de rupture de tes adversaires ?
- Je ne pense pas qu'on ait besoin de beaucoup d'expérience pour se rendre compte qu'un joueur commence à être vraiment frustré. Ca se voit : le type jette ses cartes sur la table, ce genre de choses. Maintenant, il faut connaître le tempérament du joueur pour ne pas se tromper dans ses conclusions. Un joueur en tilt peut être frustré de ne pas toucher de bonnes cartes mais il continuera à se coucher. Tandis qu'un autre pétera un plomb et fera un coup bien 'loose'...
Une main de l'EPT Prague en détails
- Je voudrais que tu nous parles de ton processus de décision sur cette main, disputée en 6-max pendant le Jour 4, juste avant de passer à 24 joueurs. Tu relances en début de parole et un joueur paie aux blindes. Tu as paire de Valets. Sur quel éventail de mains mets-tu ton adversaire à ce moment-là ?
- En fait, les deux joueurs aux blindes ont payé sur ce coup-là. Le big blind pouvait avoir n'importe quelle main décente, jouable. Le small blind, qui en plus n'avait plus beaucoup de jetons, avait forcément une bonne main, au minimum Roi-Dame ou paire de Six.
- Le flop vient Roi-Dame-X et tu checkes.
- Oui. J'ai bien pensé à miser. C'est toujours cool de miser avec un gros tapis en position. Mais bon, j'ai préféré limiter la taille du pot et économiser des jetons au cas où l'un des deux aurait une Dame ou un Roi. On checke et on voit ce qui se passe.
- Le turn est aussi une brique, ils checkent tous les deux et tu mises.
- Avec un Roi ou une Dame, l'un des deux aurait sans doute misé. D'autant qu'il y avait un tirage couleur au tableau. A ce moment, je me dis que je suis devant et je suis prêt à miser deux 'streets' pour 'value'. En plus, l'un d'entre eux peut tout-à-fait avoir As-Valet et je n'ai pas envie de donner de carte gratuite.
- Sur la rivière (encore une brique), tu checkes mais avec répugnance...
- Oui, l'un des deux joueurs était très passif et je n'ai pas pu exclure qu'il ait bel et bien une Dame en fin de compte. Dans ce cas, il aurait sans doute payé ma mise. Mais bon, je ne le voyais ni sur As-Dame ni sur Dame-Valet et donc, je pense avoir manqué de tripes sur ce coup-là. A la réflexion, j'aurais dû miser.
L'intégralité du podcast (en anglais) avec Ramzi Jelassi
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