Au poker, suivez votre instinct !
Dans le poker il arrive que l'analyse ne suffise pas, heureusement notre instinct est là !
Confronté à une overbet à la rivière d'un joueur très sérieux que vous n'avez que rarement vu bluffer, vous allez jeter votre middle pair au ballot quand soudain une petite voix intérieure vous dit "paie". C'est votre instinct -ou son synonyme l'intuition - et bien souvent celui-ci est un excellent conseiller.
Une précision s'impose à titre liminaire, lorsque l'on parle d'instinct il ne s'agit pas du célèbre "je le sentais" proféré par le joueur récréatif qui vient d'investir une fortune pour tirer une quinte ventrale miraculeusement survenue à la river... Jusqu'à preuve du contraire l'instinct ne permet pas de deviner les cartes du sabot !
Comment ça marche ?
Notre cerveau enregistre à chaque instant de très nombreuses informations, celles qui nous semblent importantes sont classées dans la mémoire, les autres sont conservées au fin fond de notre inconscient sans que nous nous en apercevions. Ces informations, visuelles, sonores, olfactives, etc., ne sont pas pour autant perdues ; il arrive que notre cerveau nous les restitue sous une forme spécifique : l'instinct !
Reprenons le cas du joueur solide évoqué plus haut. Il ne bluffe presque jamais, il ne joue que des coups sûrs avec des premiums et se montre généralement très prudent. Confronté à un overbet alors qu'il a montré une force tout au long du coup, la logique voudrait que vous jetiez sans délai votre médiocre main et pourtant votre instinct vous crie de payer.
Il se pourrait bien que votre inconscient ait enregistré des informations que la partie consciente de votre cerveau a laissé échappé. Une façon de se tenir, une différence imperceptible dans le sizing des mises, une manière différente d'avancer ses jetons au milieu, un détail que votre subconscient a néanmoins enregistré lors des rares bluffs réalisés dans le passé par ce joueur et qu'il vous restitue alors.
Comment utiliser notre instinct ?
S'il s'avère souvent juste notre instinct peut néanmoins se tromper. Il s'agit d'un élément d'information à prendre en compte en complément des autres éléments de décision habituels : dynamique de la table et de l'adversaire, profil de celui-ci, analyse du coup et des mains potentielles, bet sizing etc.
Il ne suffit pas de suivre notre petite voix intérieure dès qu'elle se manifeste. Ce "conseil" devra autant que possible être corroboré par des éléments concrets. Soit dans notre exemple en nous incitant à différer notre volonté d'abandonner le coup pour analyser celui-ci en profondeur, soit en faisant la différence alors que nous avons une décision difficile à prendre en faisant pencher la balance d'un côté.
Si une incohérence se manifeste dans la ligne de jeu de votre adversaire, si son comportement semble inhabituel ou étrange, si un élément vous intrigue et que parallèlement votre réflexion vous incite à croire qu'il va falloir abandonner votre brelan flopé alors que dans le même temps votre instinct hurle "passe", il y a de grandes chances que le fold s'impose.
Si de grands joueurs ont depuis des années fait preuve d'une faculté de lecture exceptionnelle, c'est qu'ils ont compris de longue date l'intérêt de suivre leur intuition.
Attention à ne pas confondre instinct et instincts
Cette remarquable mécanique peut cependant être totalement parasitée. Nos émotions constituent le pire ennemi - avec ce bon vieil ego - du joueur de poker, de sa réflexion et plus encore de son instinct.
Des sentiments comme la peur, la haine, la rancœur, la toute-puissance, la volonté de revanche ou de briller, peuvent aussi se manifester sous la forme d'une voix intérieure qui n'aura pourtant rien avoir avec l'instinct dont nous parlions quelques lignes plus haut.
Si à la bulle d'un gros tournoi disputé après avoir gagné un satellite, une petite voix vous glisse passe, passe, passe, après une simple relance préflop d'un gros tapis qui ouvre une fois sur deux alors que vous avez J♠J♦, ce n'est certainement pas l'instinct qui s'exprime, mais la peur ou éventuellement l'appât d'un gain substantiel. Votre instinct n'a rien à vous dire à cet instant, ce joueur ouvre fréquemment, avec la même relance et la même gestuelle, ce sont vos émotions qui parlent.
On peut décliner à l'infini ce genre de situations : ce joueur insupportable qui a vous infligé un affreux bad beat et que vous rêvez de raser, ce n'est pas votre instinct qui vous glisse de payer toutes ses relances dès que vous avez en main 7♠9♣ ou Q♥4♥ ; ce n'est toujours pas votre subconscient qui vous suggère en cash game de surelancer avec 5♠4♠ un bon joueur ayant ouvert UTG parce que vous ayez monté un gros tapis avec un peu de réussite...
Dans un premier cas, la colère ou la rancœur, dans le second l'ego ou un excès de confiance, sont en train de prendre le pouvoir. Et ce ne sont jamais de bons conseillers !
En conclusion.
L'instinct n'est pas une recette miracle, tout d'abord parce qu'il ne s'exprime que rarement (il faut pour cela que votre inconscient ait des infos à vous transmettre) et ensuite parce qu'il peut aussi se tromper. Il a pourtant parfaitement enregistré le comportement étrange de votre adversaire, qui s'est déjà manifesté dans le passé lors de bluffs ratés, et vous dit de payer le tapis de celui-ci, sauf que cette fois ce comportement bizarre est due à l'excitation provoquée par le carré d'as de votre rival...
Il est donc indispensable de s'assurer que c'est bien votre instinct qui parle et non une quelconque émotion parasite, de le conforter avec une bonne vieille analyse du déroulement du coup et de l'ensemble des données du meta-game, avant de le prendre en compte.
Une fois ces précautions prises, il sera alors temps de bénéficier des conseils de ce merveilleux conseiller...
Crédit photo : @feelingaupoker