Heads-up Poker : établir une stratégie pré-flop en Texas Hold'em
Cet article a pour but d'étudier le jeu au bouton et à la big blind dans une partie de poker heads-up (en tête-à-tête) où les joueurs jouent "full stack", c'est-à-dire s'asseyent à la table avec un tapis de 100 big blinds. Nous chercherons à établir des fondations solides pour une stratégie pré-flop en heads-up : quelles mains relancer et à quel montant ?
Relancer au bouton
Nous cherchons après une "range standard", c'est-à-dire une sélection de mains de départ que vous pouvez utiliser contre un adversaire sur lequel vous n'avez pas ou peu d'informations. Nous chercherons aussi à savoir quel montant il convient de relancer.
Par exemple, vous êtes au bouton pour la première main du heads-up et recevez Q♦ 4♠. Devriez-vous relancer cette main ? Pour éviter ce genre de dilemme, il recommandé de s'en tenir à une certaine"hand range" (un éventail de mains de départ). Une bonne base est d'ouvrir ( open-raise) 70% à 80% de vos mains de départ à 3 big blinds. Vous pouvez utiliser PokerStove (logiciel gratuit) et sélectionner 75% des mains de départ possibles.
Ce sont les 75% meilleures mains de départ possible au Hold'em contre une main aléatoire. Cela ne veut pas dire que ce sont les les meilleures mains pour jouer avec un stack de 100 big blinds. Ainsi, il est nettement meilleur d'ouvrir avec 32s qu'avec J4o. Choisissez les 70-80% de mains que vous préférez jouer.
Si vous trouvez cette sélection trop large, vous pouvez éliminer certaines des mains les plus médiocres. Si vous voulez ouvrir un peu plus de mains, ajoutez les connecteurs assortis les plus faibles. Vous pourrez faire plus d'ajustement quand vous aurez davantage d'informations sur votre adversaire. Est-ce qu'il fold souvent sa big blind ? Si oui, ouvrez 90%, 95% ou même 100% des mains qui vous sont distribuées. A chaque relance vous investissez 2,5 big blinds pour en gagner 1,5. Le vol ne doit réussir que 62,5% du temps pour être profitable. La situation se complique si votre adversaire défend sa big blind.
S'ajuster à quelqu'un qui suit souvent n'est pas si difficile. S'il abandonne facilement le pot post-flop, vous pouvez ouvrir beaucoup de mains pré-flop, faire un continuation bet et gagner beaucoup de pots ainsi. S'il joue beaucoup post-flop et tente des moves, alors faites en sorte de ne voir le flop qu'avec vos meilleures mains. Vous pouvez ouvrir moins souvent et commencer à relancer à 3,5 ou 4 big blinds pré-flop s'il continue de suivre. Contre ce type d'adversaire, il vaut mieux relancer pour valoriser ses grosses mains que voler des petits pots.
Contre un joueur qui 3-bet (sur-relance votre ouverture préflop), il y a certaines parades :
- Ouvrir moins de mains (65-70%)
- Ouvrir pour un montant inférieur (2,5 voire 2 big blinds)
- Défendre plus souvent (suivre ses 3-bets)
- 4-bet (relancer un 3-bet) en bluff
- Ouvrir moins de mains est logique pour neutraliser sa tendance à 3-bet. Vous rendez votre range plus forte en éliminant les mains les plus faibles et jouez de meilleures mains en moyenne. C'est toutefois une ligne plutôt passive et, d'une certaine façon, vous acceptez déjà la défaite. Ces 10% de mains que vous jetez représentent 15 big blinds pour 100 mains. Un beau cadeau à votre opposant. Cette ligne ne doit être adoptée que contre des joueurs avec un fort mental contre qui d'autres moves ne vont pas fonctionner.
- Ouvrir pour un montant inférieur est une autre façon de contrer les 3-bets. Vous gardez le pot plus petit et obtenez un meilleur prix si votre adversaire ajuste la taille de ses 3-bets. Vous avez alors l'opportunité de jouer un pot en position et avec beaucoup d'argent restant dans votre tapis. Admettons que votre adversaire 3-bet à 10 big blinds et vous faites un mini-raise. La fois suivante, il est probable qu'il réduisent son 3-bet à 8 big blinds. S'il continue ses 3-bets à 10 big blinds alors il s'offre un mauvais prix et vous permet de fold plus facilement sans que cela ne vous coûte trop cher.
- Défendre plus de mains est un ajustement qui fonctionne bien si vous avez des informations sur les tendances de votre adversaire. Observez le type de main avec lequel il 3-bet. S'il 3-bet souvent avec des Broadways (cartes supérieures au Dix), alors vous pouvez aisément défendre en jouant un 89s de temps à autre. S'il 3-bet souvent des connecteurs assortis, alors suivez le avec ATo. Pour cela il est essentiel de savoir quoi faire si, avec ATo, vous voyez un flop QT3. Restez prudent quand vous défendez avec ce type de main marginale. Des mains qui sont assez bonnes contre une range aléatoire et qui sont souvent aidées par le flop sont des mains telles que QJs, KQo, AJo. Il peut être parfois judicieux de défendre avec une main comme AA ou KK au lieu de 4-bet systématiquement.
- Le dernier ajustement possible est de sur-sur-relancer – c'est-à-dire 4-bet en bluff. Nous en dirons plus sur ce sujet ensuite.
Jouer la big blind
Jouer depuis la big blind est plus complexe que depuis le bouton. Le plus gros problème est, évidemment, d'être hors de position pour la suite de la main, ce qui vous donne automatiquement un gros désavantage. Aussi, il est recommandé de jouer beaucoup plus serré qu'au bouton. Si quelqu'un ouvre 100% de ses mains à 3 big blinds et que vous avez Q♥7♣, vous pouvez penser : "j'ai une main qui a 51% d'équité face à sa range et j'ai une côte du pot à 2:1 : je call". Mais parce que cette main sera très difficile à jouer post-flop, mieux vaut la jeter pré-flop.
De la même façon qu'une stratégie standard est utile au bouton, avoir un plan quand on joue en big blind est recommandé. Une bonne approximation est de défendre environ 30% de vos mains si vous ne savez rien de votre adversaire. Sur ces 30%, vous faites un 3-bet avec la moitié et suivez son ouverture avec l'autre moitié. Rappelez-vous que si votre adversaire ouvre 100% de ses mains au bouton, vous voudrez défendre environ 37,5% de vos mains, sans quoi il ferait un profit automatique en relançant chacun de ses boutons. Dans la pratique, il est logique d'être perdant à la big blind et de compenser en étant gagnant au bouton. Mais vous devez faire en sorte de réduire ces pertes au minimum. Minimiser vos pertes à la big blind a le même effet positif sur votre winrate que maximiser vos gains au bouton.
Quand vous regardez les 30% meilleures mains avec PokerStove, vous voyez à quel point il est important d'ajuster vos mains de départ. Par exemple, K4 n'est pas une main jouable contre un adversaire compétent, alors qu'une main comme 89s mérite qu'on la défende plus souvent.
Voici un exemple de mains assez bonnes pour être jouées :
22+,A2s+,K8s+,Q9s+,J8s+,T8s+,96s+,86s+,75s+,64s+,54s,A7o+,K9o+,Q9o+,JTo,T9o
Sur-relancer (3-bet) depuis la big blind
Une fois que vous avez décidé des mains que vous allez défendre en big blinds, vous devez décider des mains avec lesquelles vous allez seulement call et celles avec lesquelles vous allez 3-bet. Vous pouvez commencer par 3-bet les meilleures mains comme TT+, AQ+. Vous pouvez aussi sur-relancer avec AJ, ATs, KQ ou KJs pour valoriser car votre adversaire va souvent suivre avec moins et vous pouvez touchez une top paire assez forte pour risquer votre stack. Mais cette sélection de mains ne représente que 7,7% de vos mains de départ. Contre un adversaire attentif, vous serez facilement exploitable. Aussi, il faut varier les mains avec lesquelles vous effectuez des 3-bets.
Si vous pouvez toujours 3-bet avec KJs, une main comme QJo est plus problématique. Si vous floppez un Valet ou une Dame et que vous investissez tout votre stack dans le pot, il est très probable que vous soyez déjà battu. 3-bet avec QJo ne valorise pas cette main. Elle est cependant trop forte comparée à la range adverse pour la jeter à chaque fois que votre adversaire ouvre. Il est mieux de simplement suivre.
Vous voyez où cela nous mène : une range de 3-bet d'un bon joueur va compter des mains qu'il valorise et d'autre avec lesquelles il bluff. Les mains intermédiaires seront privilégiées pour flat-call. De cette façon, vous resterez imprévisible. Des petites paires comme 22-66 sont bonnes pour 3-bet car il vous sera très difficile de jouer ces mains hors de position de façon profitable contre un bon joueur.
Un exemple de range de 3-bet bien équilibrée :
TT+,66-22,ATs+,KJs+,T8s,97s-96 s,86s,75s,64s+,54s,AJo+,KQo,T9o
Ce sont 13,3% des mains parmi lesquelles 7,7% sont relancées pour valoriser et 5,6% sont des bluffs. Parce que le joueur débutant va souvent 3-bet trop souvent, c'est un bon point de départ. En outre, comme toujours au no limit Hold'em, il est essentiel de s'ajuster à l'adversaire.
L'idée importante n'est pas de seulement modifier le pourcentage de mains avec lesquelles vous allez 3-bet, mais de modifier aussi les mains elle-mêmes. Si votre adversaire suit beaucoup de 3-bets, alors contentez vous de suivre avec vos connecteurs assortis et ne sur-relancez qu'avec KJo, KTs, AT et A9s. Réduisez votre fréquence de 3-bets et arrêtez de 3-bet avec vos connecteurs assortis est une bonne option contre un joueur médiocre qui ne réalise pas ce vous êtes en train de faire.
Si votre adversaire fold souvent face à un 3-bet, alors enlever des mains comme AA, KK et les autres mains que vous sur-relancez pour valoriser et remplacez les par des connecteurs assortis. La raison est que maintenant vous êtes face à des mains très fortes quand vos 3-bets sont suivis, et vous n'avez pas envie de vous retrouver avec KJ sur le flop dans cette situation. Si un joueur fold tout le temps, vous ne voudrez pas non plus gâcher vos AA ou KK en ramassant des pots de 4bb. Commencez à 3-bet avec des mains comme T7s, 74s, 43s ou des mains similaires. Une autre possibilité est d'augmenter la fréquence de vos 3-bets. Si votre opposant continue simplement de fold, alors vous pouvez 3-bet avec 25% de vos mains, voire plus jusqu'à ce que votre adversaire s'ajuste.
La taille du 3-bet est également très importante. Si le montant n'est pas assez élevé, votre adversaire va suivre et va vous rendre la vie difficile post-flop. Et si vos 3-bets sont trop gros, vous risquez trop relativement au gain potentiel. Une taille standard de 3-bet avec un stack de 100 big blinds est de 10-11 big blinds. En relançant à 10 big blinds, vous risquez 9 big blinds pour en gagner 4. Cela doit donc réussir 70% du temps pour être rentable. Ce ne sera pas toujours le cas alors observez votre adversaire et ajustez votre fréquence de 3-bet en conséquence.
Si les tapis deviennent plus gros que 100 big blinds, augmentez légèrement la taille de 3-bets. Par exemple, sur-relancez à 10bb pour un stack de 100bb, 11bb pour un stack de 125bb et 12bb pour un stack de 150bb. Autrement, il devient facile pour votre opposant de se défendre face à vos 3-bets alors qu'il est en position. Ne pas ajuster votre range de 3-bet en fonction de la taille des stacks vous complique la vie inutilement.
NB: Cette théorie sur le 3-bet est plus flexible que celle sur la range d'open-raise au bouton. Si vous voulez 3-bet pour des raisons de dynamique du jeu ou si vous avez repéré un "timing tell", vous pouvez dévier de votre stratégie standard et jouer en fonction de votre read. Malgré tout, vous devriez essayer de vous en tenir à cette stratégie standard en faisant les ajustement nécessaires quand cela est utile.
La suite de cet article traitera de la stratégie du 4-bet et du 5-bet en réponse à cette stratégie du 3-bet préflop.
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