Chronique Kipik : vice et vertu
Hier, accident : au moment d'écrire ma rubrique hebdomadaire, le grand blanc. Aucune idée de sujet intéressant. Il fallait bien que ça arrive. Du coup, j'ai un peu posé la question autour de moi histoire de voir ce que les gens pensaient. Voulaient me voir écrire. Et le sujet qui est le plus revenu est la patience. Qui semble mise en avant par tous comme le critère n°1 pour différencier le bon joueur de tournoi des autres.
Et que tous semblent m'accorder pour qualité…
Méfiez-vous de l'eau qui dort
Hélas, je ne sais même pas si la patience est réellement une qualité. Kevin « BeLOWaBOVe » Saul est-il un joueur patient ? J'en doute. Est-il même quelqu'un de patient ? Je suis presque sûr que non. Sa personnalité serait plutôt à l'opposé. Et ses tilts légendaires chez les joueurs de tournoi sur Internet ne permettent pas une seconde d'en douter.
Pourtant, voilà, Below est mon idole. Totale. Absolue. Un des joueurs qui a certainement le plus travaillé le jeu de tournoi au point de développer une approche vraiment personnelle. Mais il ne viendrait à l'idée de personne de le penser « patient » (maniaque serait tellement plus probable !). Pourtant, si vous suivez Below dans ses tournois, vous allez le trouver en mode « turbo muck » aussi souvent que n'importe qui…
Et, moi-même, je ne me considère pas réellement comme quelqu'un de patient. Qu'un téléchargement dure trois secondes de plus que prévu et j'ai déjà allumé une cigarette tellement ce retard commence déjà à m'énerver. Je pense d'ailleurs que pas mal de mes soucis en cash game viennent d'un manque évident de patience.
Après, cela pourra certainement sembler paradoxal à toute personne qui ne me connaît que par mes tournois. Où, oui, je semble être d'une patience à toute épreuve, capable de coucher ses mains pendant des heures et des heures comme si c'était naturel. Comme si je ne savais pas vraiment faire autre chose.
La fonction crée l'organe
Sincèrement, vous pensez vraiment que j'aime folder ? Personne n'aime vraiment ça. Moi pas plus que vous. J'adore relancer. Je trouve jouissif de surelancer. Et j'ai presque envie de me faire dessus chaque fois que je 4bet un adversaire. Seulement, voila, si je peux jouer les trois-quarts de mes mains en mode dégénéré quand je joue un petit cash entre amis, je sais juste que ça ne fonctionne pas quand je me retrouve à jouer « réellement ». Sur Internet. Et, plus encore, en tournoi.
Si je semble patient, c'est uniquement par contrainte. Et certainement pas par plaisir. Ni, même, parce que c'est dans ma nature. Mais parce que je joue pour gagner. Et cela implique de coucher l'essentiel de ses mains. D'attendre, sagement. Parce que son tapis ne peut pas se permettre autre chose. Parce que le fold est généralement l'action la plus rentable. Si je préfère jouer en tournois plutôt qu'en cash game, c'est justement car le cadre, la structure d'un MTT, me force à la modération. M'oblige à analyser et contrôler avec soin chacune de mes décisions (ça, c'est la théorie ; dans la pratique, on est loin de cette « perfection » analytique).
Derrière votre ordinateur, personne ne vous voit trépigner
Mais faut-il être patient pour autant ? Franchement, je pense que c'est une vue bien trop réductrice. Dans ce domaine aussi, chacun réagit à la contrainte selon sa nature.
Si vous avez, par exemple, un tapis de 24bb, vous ne pouvez quasiment plus voler les blindes. Vous vous retrouvez par contre en situation parfaite pour contre-voler et relancer à tapis un joueur que vous soupçonnez d'ouvrir un peu trop largement (ou d'être assez peureux/faible pour coucher une bonne part de ses bonnes mains). Vous allez donc attendre de trouver une situation adaptée, entre maintenant et le moment où vous n'aurez plus que 13-14bb.
Que vous attendiez en sirotant nonchalamment votre thé glacé ou que vous trépigniez d'impatience faute de trouver le bon spot et hurliez à chaque poubelle reçue, quelle importance ?
L'important n'est pas la patience. Ce qui compte vraiment, c'est de bien analyser la situation. De comprendre ce qu'elle implique. D'adopter une stratégie ad hoc. De s'y tenir. De chercher, et de trouver, l'occasion, le spot, qui convient. Puis d'avoir le courage de faire ce qu'on a prévu de faire, peu importe le risque ou le résultat.
Plus de mal que de bien
En fait, je pense que les joueurs qui mettent en avant la patience, comme une qualité indispensable, se trompent même de combat. Et ont souvent le même profil : trop tight, trop timides. Ils attendent La Main qui va venir les sauver. Comme le pèlerin le miracle. Et ils attendent tellement, et tellement souvent, qu'ils finissent par considérer leur patience comme une vertu.
Ceci dit, oui, en tournoi, on n'a souvent d'autre choix que d'attendre. Mais, tout aussi souvent, cette attente, cette patience à toute épreuve, dissimule en réalité un manque d'audace. Des occasions loupées. Des situations mal comprises. Et un refus viscéral de prendre un risque pourtant légitime. Et rentable !
En réalité, cette qualité serait plutôt un vice qui les condamne à jouer sur la défensive. A subir le tournoi.
A ce petit jeu-là, ce n'est pas forcément le « patient » qui l'emporte. Mais ce sera toujours « l'opportuniste ». Celui qui va saisir chaque occasion qui se présente. Si je devais ne citer qu'une qualité pour un joueur, ce serait celle-là. Sans aucune hésitation. Tant mieux pour lui s'il est, en plus, patient. Mais qu'il sache se montrer patient, même si cela implique de se forcer et lutter contre sa nature, en attendant une opportunité de repartir à l'assaut me semble plus que suffisant…
NDLR : Kipik est un joueur de poker français, spécialiste des tournois en ligne. Retrouvez chaque mardi sa chronique sur Pokernews et rejoignez-le sur notre forum.
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