Hold'em : valoriser son jeu max à la rivière (kipik poker)
J’espère que vous avez bien récupéré des fêtes de fin d’année car, pour la reprise des Chroniques, je vous ai concocté quelques équations ;)
Je voudrais présenter cette semaine une situation relativement courante : vous êtes à la rivière et vous avez le jeu max (ou qui, en tout cas, est certainement meilleur que celui de votre adversaire). Le pot est de 80€ et vous avez 250€ de tapis (votre adversaire vous couvre). Combien devez-vous miser ?
La réponse standard à ce genre de question sera généralement un nombre entre la moitié du pot et le pot. Disons, aux alentours de 60€. Et beaucoup de joueurs ne vont pas réfléchir beaucoup plus que cela : ils ont un gros jeu, ils vont donc faire ce qui leur semble être une grosse mise (environ les 3/4 du pot) mais pas trop grosse de peur que leur adversaire trouve le bouton fold.
Le problème est le même que dans tout ce qui devient automatique au poker : on oublie facilement que tout un tas de petits détails peuvent radicalement changer la donne.
Les facteurs situationnels
Par exemple : ok, vous avez un gros jeu. Certainement le meilleur jeu. Mais à quel point votre jeu est-il visible ? Si vous avez surelancé A♣K♦ préflop et misé flop et turn le tableau Q♦J♥10♠4♥5♣, votre main est nettement plus «visible» qui si vous avez 3♦5♦ sur le tableau A♦8♣9♦4♣2♠. Moins votre main est « visible », plus vous avez possibilité de miser gros et d’être payé.
De la même façon, votre image générale va aussi jouer un rôle majeur dans ce que votre adversaire sera prêt à payer. Si vous passez pour un joueur timide, ou qui montre toujours des jeux énormes à l’abattage, vous ne pouvez pas espérer être payé de la même façon qu’un joueur qui passe pour un maniaque et a montré deux ou trois bluffs dans le quart d’heure précédent. Plus mauvaise est votre « image », plus vous pouvez miser fortement.
Enfin (même si d’autres points seraient discutables), qui est votre adversaire ? Est-il du genre curieux ? Suspicieux ? Est-il allergique à l’idée de se faire bluffer ? A-t-il gagné récemment quelques gros pots en « attrapant » des joueurs en bluff ? Si c’est le cas, et plus ces traits de caractère seront forts, plus vous avez moyen d’augmenter la taille de la mise qu’il est susceptible de payer.
Si vous avez une image de serrure, que votre jeu est assez évident et votre adversaire un peu dans votre genre, vous devriez revoir votre mise à la baisse. Miser 60 dans un pot de 80 est probablement déjà un peu optimiste. Il est d’ailleurs probable que vous ne soyez que très rarement payé même si vous ne misez que la moitié du pot…
L’avantage d’une mauvaise image au poker
La situation inverse est nettement plus intéressante : votre main est assez invisible, votre image est effroyable et votre adversaire… disons que c’est une calling station standard. Le pot est toujours de 80€. Et le tapis effectif de 250.
Les conditions sont donc remplies pour miser un peu plus que la « norme » et vous décidez de miser fortement, quasiment le pot : 75€ ; en pensant que votre adversaire paiera 70% du temps.
Reprenons notre bonne vieille formule pour calculer votre équité (% du temps où vilain paie multiplié par l’argent misé, plus le % du temps où il se couche multiplié par ce qu’il y a déjà dans le pot) :
EV = 0.70*(80 + 75) + 0.30*80 = 108.50 + 24 = 132.50€
Traduit en français pour ceux que ça rebute : quand vous misez 75€ dans le pot de 80€, vous gagnez 132.50€ si votre adversaire paie 70% du temps. On peut appeler ça le «play» standard. Et 132.50€ le gain standard.
Soyez fou, mettez tout !
Que se passe-t-il maintenant si vous décidez à la place… de faire tapis ?
A priori, ça peut sembler absurde. Après tout, c’est bien connu, on n’a pas le jeu max si souvent que ça. Et, quand ça arrive, on veut surtout être payé. Miser 250€ dans un pot de 80€ ne semble pas vraiment répondre à cette définition. Tout ce qu’on va obtenir, c’est que notre adversaire jette une main avec laquelle il aurait presque toujours payé 75€ !
Certes. Mais jusqu’à quel point ? Autrement dit : avec quelle fréquence notre adversaire doit-il nous payer pour que miser 250€ dans un pot de 80€ soit plus rentable que miser 75€… qui rapportait 132.50€ ?
On reprend notre équation précédente, en l’adaptant :
EV = %C*(80 + 250) + (1-%C)*80 >132.50
(%C représente la fréquence de Call de notre adversaire).
Je vous passe les étapes, C>0.21 (21%)
Cela signifie que si votre adversaire paie 22% du temps votre tapis, vous gagnez plus d’argent que s’il paie 70% du temps votre mise de 75€. Si vous aviez un tapis de 300€, il suffirait qu’il paie une fois sur six pour être plus profitable.
Si vous pensez que votre adversaire calling station paie 70% votre mise à hauteur du pot alors il n’y a quasiment aucun doute qu’il paiera une fois sur quatre quand vous faites tapis pour un montant absurde. Un joueur qui n’aime pas coucher sa main cherche en permanence une raison de payer. Et faire tapis pour 200 ou 300€ dans un pot de 80€, alors qu’on a une mauvaise image est tellement suspicieux, tellement absurde, qu’il va lui être terriblement difficile de ne pas voir dans cet «overbet» une raison de payer.
Certes, faire tapis est absurde. Mais il est encore plus absurde de penser qu’un joueur qui va payer une mise de quasiment le pot 70% du temps ne paiera pas un tapis pour 2 ou 3 fois le pot au moins 21% du temps.
Théorie du jeu : ce qui est standard n’est pas toujours optimal
Ce qui nous empêche, généralement, de faire ce genre de mise est l’idée reçue selon laquelle, quand on a le jeu max, on souhaite plus que tout être payé. Ce n’est pas parce qu’on a le jeu max que les règles du poker, que la théorie du jeu, changent. Or, la théorie du jeu nous dit que, à chaque moment, la seule décision correcte est celle qui optimise notre équité.
Que vous ayez le jeu max ou une paire moyenne ou hauteur Valet ne change rien : vous ne voulez pas être payé, vous voulez prendre la décision qui va vous faire gagner le plus.
Dans mon exemple, si je pense que mon adversaire est capable de payer 70% du temps une mise à hauteur du pot, alors il est logique de penser qu’il paiera au moins 21% du temps la totalité de mon tapis. Dans cette situation où mon jeu est certainement le meilleur, où mon image n’est pas sans tâches et mon adversaire relativement borné, alors je n’aurai aucune hésitation avant de miser la totalité de mon tapis, même si cela représente 2.5 ou 3.5 fois la taille du pot.
Cela ne signifie pas que miser environ le pot ne soit pas la ligne optimale en général ! Juste que, dans cette situation, il y a probablement encore mieux à faire. Et que ne pas le faire nous coûte de l’argent.
Trop souvent, on reste dans l’image mental qu’on se forge de notre main et on va décider de notre mise en fonction, selon un barème relativement standard, alors que de nombreux autres facteurs (visibilité de notre main, image personnelle, profil de notre adversaire, historique…) peuvent tellement modifier la donne qu’on en arrive à perdre de l’argent avec le «play» standard.
Bonne année à tous et bonne chance aux tables ;)