Pourquoi misons-nous : quelques règles simples (Kipik Poker)
Je mise, tu mises, il mise.... Pourquoi misons-nous ? Dans ma chronique précédente, j’ai présenté plusieurs exemples où notre main était suffisamment forte pour payer une mise mais pas assez forte pour miser. La décision de miser, ou ne pas miser (ou payer/coucher), dépend de la valeur de notre main, sa Showdown Value (valeur à l’abattage), comparativement à la valeur des mains que peut avoir notre adversaire (son hand range).
On ne mise pas sans raison
L’idée est qu’on ne mise pas sans raison : nos mises doivent être planifiées et répondre à un besoin ou une nécessité. Je suis toujours stupéfait de voir combien de mises sont faites sans réelle réflexion... et toujours amusé des désastres que cela entraîne. L’absence de réflexion avant la mise entraîne les joueurs dans des situations délicates, voire absurdes, qui auraient pour la plupart été évitables, ou relativement simples à gérer, si la réflexion avait eu lieu avant l’action.
Pour simplifier au maximum les choses, on peut considérer qu’il existe deux raisons qui justifient une mise :
- parce qu’on pense avoir la meilleure main
- parce qu’on pense avoir la plus mauvaise main.
Cela ne signifie évidemment pas qu’il faille toujours miser. Ce serait oublier que, souvent, il sera très difficile de définir si on dispose de la meilleure main. Reprenez la plupart des exemples de ma chronique précédente : quasiment toutes les mains citées avaient des chances d’être la meilleure main. Ou de ne pas l’être, selon le range de l’adversaire. La plupart ne méritaient donc pas une mise (mais pouvaient valoir un call).
Et, de fait, si j’ai abordé cette «série» par les mains qui pouvaient être gagnantes presque aussi souvent qu’elles ne l’étaient pas, c’est que beaucoup de mains vont rentrer dans cette catégorie. Toutes ces fois où vous vous dites «OK, s’il check, je gagne» ou «yep ! il relance pas, tout pour papa !», votre main n’est ni gagnante ni perdante. Mais quelque part au milieu, dans la zone grise où règne l’incertitude : elle bat la majeure partie de la range adverse quand celle-ci est large alors qu’elle perdra en général si sa range se resserre. Notre objectif, dans ce genre de situation, sera de ne rien faire pour resserrer la range qui nous fait face.
Quittons cette semaine la zone grise et partons cette fois du principe que nous pensons avoir le meilleur jeu. Ou le jeu le plus faible.
Pourquoi misez-vous ?
Si vous misez avec le jeu max, c’est dans l’espoir d’être payé. Si vous misez avec Hauteur 5, c’est dans l’espoir que votre adversaire se couche. Nous avons ici les deux extrêmes qui définissent la mise pour valorisation et la mise en bluff.
La première mise (pour valorisation, for value en anglais) gagne de l’argent quand notre adversaire nous paie avec une main inférieure. La seconde (en bluff), gagne de l’argent quand notre adversaire couche une meilleure main. Dans les deux cas, on gagne quand notre mise obtient le résultat escompté. Et on en perd quand on obtient le résultat inverse.
Dans les deux cas, notre mise répond à un objectif. Elle est raisonnée. Elle suit un plan. Et on peut mesurer la qualité de notre choix par son résultat.
Miser pour Valeur (bet for Value)
Vous pensez avoir la meilleure main et vous misez pour que votre adversaire vous paie avec une main inférieure. C’est la raison n°1 qui justifie une mise. En fait, si vous jouez sur des tables à faibles enchères, où les joueurs ont du mal à abandonner et/ou à relancer en bluff, valoriser votre main pourrait très bien être votre seule et unique raison de miser.
Cette stratégie comporte deux facettes :
- on a une bonne main, qu’on pense être la meilleure;
- notre adversaire a une main suffisante pour nous payer.
Valoriser implique en effet que notre adversaire puisse nous payer. Si vous avez trouvé un full max à la rivière mais que vous pensez votre adversaire sur un tirage qui n’est pas rentré, miser votre monstre aura pour seul effet de le faire se coucher. Avoir une main forte est dans ce cas totalement secondaire; si vous aviez misé avec Hauteur 5, le résultat aurait été identique (mais pas la raison pour laquelle vous avez misé) : votre adversaire se serait tout autant couché. De fait, si votre adversaire se couche 100% du temps quand vous misez, alors vous ne devriez jamais miser pour valeur mais tout le temps en bluff.
Dans ce genre de situation où vous pensez votre adversaire extrêmement faible, miser pour valoriser n’a pas grand intérêt et il sera peut-être plus judicieux de l’inciter à bluffer. Le profil de votre adversaire sera bien sûr décisif dans ce genre de situation : s’il ne bluff jamais, autant miser… même s’il paiera rarement; et si, à l’inverse, il est capable de bluffs très osés et coûteux, vous pourriez tout aussi bien décider de miser quand même pour l’inciter à relancer en bluff.
Dans la réalité, votre adversaire aura rarement une hand range (son éventail de mains possibles) aussi étroit que « tirage raté ». Et il vous faudra alors réfléchir à la meilleure ligne à prendre en fonction des différentes possibilités. Ainsi qu’à la meilleure valeur possible à miser. Qui dit mise pour valeur suppose que notre mise soit payée/payable.
Néanmoins, n’oubliez jamais que miser pour valorisation n’a de sens que si votre adversaire dispose d’une main assez forte pour payer le montant demandé.
Miser parce qu’on a une meilleure main que celle de notre adversaire
Avoir le jeu max est toutefois une rareté. Pour autant, si vous avez A♥Q♥ sur le tableau 7♦Q♠2♦3♥10♦ et n’avez pas été relancé auparavant, ou si vous détenez 2♠3♠ sur K♠7♠5♦8♣J♠, vous avez très probablement la meilleure main. Si vous avez KJ ou 87 ou T9 et que votre adversaire check la rivière après avoir misé flop et turn, vous avez aussi très probablement la meilleure main.
Si ce genre de situations est très courant, c’est aussi une des sources d’erreurs les plus fréquentes et les plus coûteuses.
Beaucoup de joueurs avec A♥Q♥ vont en effet fréquemment checker la rivière. Ils ont été payé deux fois et commencent à imaginer le pire. Qui sait, leur adversaire a peut-être sous-joué une main meilleure (autrement dit un brelan sur ce tableau)? Ou peut-être a-t-il trouvé sa deuxième paire à la rivière (avec, donc, QT)? Quoi qu’il en soit, le doute s’insinue dans leur raisonnement et la peur de devoir faire une grosse mise pour se retrouver battus fait le reste : ils renoncent à valoriser leur main une troisième fois alors que cette mise est susceptible de rapporter plus que les précédentes.
Encore une fois, le profil de votre adversaire (et votre propre image) doit guider votre décision. S’il est du genre à miser en bluff un tirage (couleur, donc) raté mais sera capable de coucher une Dame plus faible, miser (pour Valeur) ne sera probablement pas la décision correcte. La décision ne repose toutefois pas sur la crainte ou le doute, mais sur une connaissance approfondie de l’adversaire.
Il est également important d’être honnête avec vous-même. Vous pouvez souvent vous appuyer sur le concept de Showdown Value pour ne pas miser une main douteuse ou délicate. Mais cela ne doit pas vous servir de prétexte à ne pas miser en valorisation quand la situation s’y prête : chaque fois que votre adversaire va checker en réponse avec KQ ou QJ, vous perdez une «fortune». Or, après vous avoir payé deux fois, c’est très (trop) souvent ce qui se passera, leur main (KQ/QJ) ayant, elle, tout à gagner à s’appuyer sur la Showdown Value.
La situation est encore plus évidente avec la petite couleur rentrée à la rivière. Si vous avez misé auparavant, continuez ! Vos précédentes mises étaient pour l’essentiel des mises en bluff (puisque vous n’aviez rien), celle à la rivière sera totalement pour la valeur. Checker pour induire un bluff ou parce qu’on imagine que jamais on ne sera payé par moins bien sont des raisonnements au mieux absurdes. Et si vous êtes en position avec KJ ou T9 ou 78, ne craignez pas la couleur quand votre adversaire check : il est plus que probable qu’il a une main inférieure à la votre mais cela n’implique en rien qu’il envisage pour autant de coucher sa main. Valorisez. Valorisez ! Et valorisez encore !!!
Ne pas miser avec une main forte, qui sera souvent payée par des mains inférieures, est probablement l’erreur la plus fréquente aux petites limites. Il ne s’agit pas d’avoir systématiquement la meilleure main. Ni d’en être sûr. Tout ce dont vous avez besoin pour miser en valorisation, c’est de penser que votre mise sera payée par plus de mains que vous battez que de mains qui vous battent.
Il n’existe pas réellement de guide pour décider de miser ou non selon chaque situation, le nombre de facteurs à prendre en compte est bien trop important. C’est l’expérience qui vous aidera, peu à peu, à y voir plus clair. Mais, dans un premier temps, commencez par ne pas craindre de miser pour valoriser vos mains, vous gagnerez déjà un énorme avantage par rapport à vos adversaires qui n’en seront pas capables. Certes, vous serez parfois payé par de meilleures mains, vous serez aussi de temps en temps relancé (et vous vous coucherez alors la plupart du temps). Mais votre analyse s’améliorera avec le temps et vous deviendrez capables de miser en valorisation dans des situations de plus en plus tendues.
Miser parce qu’on a la plus mauvaise main
Si beaucoup de joueurs peu expérimentés ont du mal à valoriser correctement, et assez souvent, leurs mains quand les montants deviennent élevés, la tendance inverse se retrouve aux plus petites limites : les joueurs ont tendance à trop miser trop souvent en bluff.
Dans les deux cas, la faute en incombe à une incapacité à estimer correctement les hand ranges de leurs adversaires. Miser en bluff suppose en effet que vous puissiez faire se coucher votre adversaire assez souvent pour que la mise soit rentable. Hélas pour la plupart des joueurs débutants, ceux-ci surestiment énormément la capacité de leurs adversaires à coucher une main.
J’ai écrit de nombreuses chroniques basées sur la fold equity et vous y trouverez tous les calculs nécessaires pour comprendre la rentabilité d’un bluff. Mais acceptez simplement ce principe : nos adversaires se couchent toujours moins qu’on le voudrait. Et ils ne coucheront jamais un gros jeu; leur faire coucher «top paire top kicker» sera généralement très difficile, leur faire coucher mieux tient du fantasme. Vos désirs. Leur réalité. Et des dizaines de caves perdues pour ne pas faire la différence.
Cela ne signifie pas qu’il ne faille jamais bluffer. Même si on estime qu’il est possible d’être gagnant aux petites limites sans jamais miser en bluff. Essayez toutefois de vous en tenir à des bluffs simples : mise de continuation au flop (après avoir relancé préflop) et semi-bluffs (avec un bon tirage) pour l’essentiel. Seulement quand vous pensez que votre adversaire aura de nombreuses mains faibles dans son range (donc pas quand il a A♦7♣ sur un flop A♠9♣10♥) . Et seulement si votre adversaire a montré par le passé qu’il était capable de se coucher (ce qui n’a rien d’une évidence en micro limites).
Evitez de bluffer la rivière avec vos tirages couleur ratés quand un adversaire qui a misé flop et turn décide finalement de checker : il aura rarement prévu de coucher sa main, il est bien plus probable qu’il ne soit tout simplement pas capable de faire la troisième mise de valorisation qui s’impose et pense plus «malin» de vous inciter à bluffer.
Quand miser ?
Misez en valorisation quand vous pensez que votre adversaire est susceptible de vous payer plus souvent avec une main inférieure qu’avec une main supérieure. Misez en bluff quand vous pensez que votre adversaire a dans son range de nombreuses mains faibles qu’il peut abandonner. Et checkez vos mains à Showdown Value qui perdraient plus que ce qu’elles gagneraient en misant.
Ce n’est pas plus compliqué que cela. Ce qui est compliqué, comme toujours, c’est de se faire une idée assez précise du hand range adverse. Et de prendre la bonne décision en conséquence. De nombreuses situations complexes vous mettront au défi de savoir si vous devez vous reposer sur la showdown value ou miser pour valeur ou pour bluff. Souvent, le choix de l’une ou l’autre option sera délicat. Et vous ferez des erreurs. On en fait tous. Mais vous en ferez toujours moins, et de moins en moins, si vous savez avant de miser pour quelle raison vous le faites.