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Addiction jeux argent : le Rapido, une poutre dans l’œil de l’Etat

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Dominique Cordier
8 min à lire
Addiction jeux argent : le Rapido, une poutre dans l’œil de l’Etat 0001

Dominique Cordier est chroniqueur régulier au sein des rédactions d’Equidia et de RTL.

Stupéfiant ! Alors que l’Etat français fait la leçon aux nouveaux opérateurs de paris en ligne en matière d’addiction, il développe, commercialise et promeut sans complexe son Rapido, le plus addictif des jeux d’argent, un véritable fléau qui attire bon an mal an plus de trois millions de joueurs en France, dont 50.000 dépendants.

La loi, le pathologique

Les opérateurs de paris en ligne qui feront officiellement la demande d’une licence auprès de l’Autorité de Régulation des Jeux En Ligne (ARJEL) ne seront pas seulement tenus de se conformer à des règles fiscales strictes. Il leur appartiendra également de donner de sérieuses garanties sur la lutte contre le blanchiment d’argent et le développement de programmes destinés à mettre en garde les joueurs contre eux-mêmes, ce que la loi du 6 avril 2010, dans son chapitre VII, appelle « la lutte contre le jeu excessif ou pathologique ».

CHU de Nantes : étude sur l'addictologie

Il en va tant de la moralité que de la santé publique, les addictions au jeu d’argent étant désormais reconnues et soignées de la même manière que les accoutumances aux stupéfiants.

Certains établissements de santé en ont même fait leur fond de commerce, le plus fameux d’entre eux étant le CHU de Nantes, dont le service d’addictologie est à l’heure actuelle financé par le PMU et la Française des Jeux, via le centre de référence sur le jeu excessif, structure créée en 2008 et dont on attend toujours qu’elle propose et rende publique un classement des jeux d’argent en fonction de leur dangerosité, comme il existe pour les stupéfiants.

Tous les jeux, quels qu’ils soient, peuvent être générateur d’une addiction. Ce peut être le cas des jeux vidéo, qui charrieront alors une génération d’adolescents coupés du monde, ceux que l’on appelle les nolife. C’est bien sûr le cas des jeux d’argent, où le perdant joue plus et plus longtemps dans l’espoir de se refaire, tandis que le gagnant veut gagner plus encore au risque de tout perdre.

Classement des jeux addictifs

Les jeux d’argent, cependant, ne sont pas addictifs de la même manière. Faute de classement objectif et fédérateur, on peut juste se risquer à dire qu’un match de football rend moins « accro » qu’une partie de roulette française ou qu’en la matière les chevaux de courses ont un peu de mal à rivaliser avec les machines à sous. Et encore ! Les passionnés de foot, les turfistes, les joueurs de poker ou les piliers de salles de bandits manchots trouveront sans doute à redire d’un pareil classement, dès qu’on leur en aura livrer un.

Et puis il y a le Rapido, de l’héroïne pure quand un match de foot ou un handicap pour chevaux d’âge ne peut être apparenté qu’à du vulgaire cannabis.

La maladie du Rapido

Depuis sa création en 1998, le Rapido n’a cessé de défrayer la chronique. Tous les médias sans exception se sont intéressés, chacun à leur tour, sous l’angle sociétal essentiellement, à ces joueurs de bistrot, de petites gens dans leur immense majorité, qui jouent, et qui jouent, et qui rejouent, pour des espoirs de gains infimes et souvent inatteignables. Tous se sont intéressés aux malades, ces joueurs compulsifs, quelques-uns à la maladie, l’addiction au jeu d’argent, aucun à celui qui a inoculé la maladie du Rapido, la Française des Jeux en l’occurrence, qui est étrangement l’un des premiers annonceurs de la presse française.

Car le vrai débat n’est pas de savoir ce qui attire une certaine catégorie de joueurs vers le Rapido, mais bien pourquoi une entreprise dont 72% du capital est détenu par l’Etat français a pu mettre sur le marché, à destination d’une clientèle chiche et populaire, un jeu si addictif du fait :

- de sa facilité (huit numéros tirés au sort sur les vingt de la première grille, puis un complémentaire sur les quatre de la grille additionnelle, d’où huit niveaux de gains),
- de sa récurrence (deux tirages toutes les cinq minutes, de 6 à 23 heures),
- de son ergonomie (les tirages sont diffusés « en direct » sur des écrans de télévision spécifiques)
- et de sa proximité (un point de vente pour 14.500 habitants).

Pour illustrer notre propos, nous citerons un lieu assez singulier : Brienne-le-Château. Cette petite ville de l’Aube comptant 3.300 habitants doit sa renommée à une école militaire où Napoléon Bonaparte, alors adolescent, étudia de 1779 à 1784. Mais aussi à ceci : le taux de chômage y dépasse de 20% la moyenne nationale et deux points de vente Rapido y sont installés, à trente mètres d’intervalle, autour de la Place de la République, en plein centre du bourg…

Rapido, première loterie de France, 20% du CA de la FDJ

Apparu en 1998, le Rapido n’atteint les niveaux d’enjeux qui sont les siens aujourd’hui (plus de deux milliards d’euros joués annuellement) que six ans plus tard. A cette époque, la Française des Jeux recherche un produit susceptible de contrer de nouvelles offres concurrentielles, répondant à une demande de jeux instantanés.

Avec l’avènement de la chaîne France Courses, devenue Equidia, les points de vente proposant des paris hippiques et la retransmission des courses de chevaux en direct sont de plus en plus nombreux. Par ailleurs, les machines à sous clandestines ont fait leur apparition dans de nombreux bars. Problème : le produit de la vente des jeux de grattage de la Française des Jeux, seuls aptes à contrer les courses et les bandits manchots et autres « billards », stagne dangereusement.

Ce jeu novateur, dont la création est commandée uniquement par la recherche du profit, ce sera le Rapido, une loterie dite de contrepartie, où les gains sont connus à l’avance.

Devant le Loto et l’EuroMillions

Onze ans plus tard, le Rapido est devenu le premier jeu de la Française des Jeux en terme de chiffres d’affaires (19,5 % du CA 2008, mais plus de 23% en 2007, baisse due à l’interdiction de fumer dans les lieux publics), devant le Loto et l’EuroMillions, qui bénéficie pourtant de campagnes publicitaires massives.

Le Rapido, lui, reste cantonné dans les bars. Son meilleur vecteur de publicité, c’est lui. Les points de vente qui le proposent le signalent, assez discrètement, en vitrine, tandis qu’à l’intérieur, l’écran de télévision (17 heures de programme non stop !) constamment allumé se charge d’attirer le chaland en quête de frissons rapides et ininterrompus.

Rapido : statistiques et gains

Faisant son lit sur le désœuvrement et la misère, le Rapido doit également sa dangerosité à l’absence absolue de perspectives de gains conséquentes. Le joueur a une chance sur 500.000 de décrocher le gros lot, qui lui sera payé 10.000 pour un euro joué. Autrement dit, pour espérer gagner 10.000 euros, il faudrait en jouer 50 fois plus… Dans le même ordre d’idée, un joueur n’a qu’une chance sur quinze d’être remboursé de sa mise de départ. Dans l’absolu, il lui faut donc débourser quinze euros pour être certain d’en gagner… un.

Les statisticiens qui se sont penchés sur cette « faucheuse » d’un genre nouveau sont arrivés à la conclusion qu’avec une mise de départ de 100 euros, un joueur qui jouerait un euro par tirage pourrait participer à 141 séquences, à la condition de réinvestir ses gains. Il s’agit évidemment d’une moyenne, mais elle n’est guère flatteuse par rapport aux autres jeux de hasard. Dans le même ordre d’idée, un joueur de casino disposerait encore, en jouant le noir à chaque lancer de bille, de 42 euros au bout de 980 séquences. Si après cette démonstration, le Rapido n’est pas un miroir aux alouettes…

Parce que les gains y sont infimes au regard des sommes dépensées, le joueur investit donc sa petite manne dans le Rapido… jusqu’à plus soif. C’est justement parce qu’il ne permet jamais de gagner de grosses sommes, mais surtout d’en perdre, que le Rapido ne peut s’adresser qu’à des joueurs compulsifs, à la recherche de frissons immédiats, d’adrénaline ou de trompe-ennui. A cela, la Française des jeux argue que le retour en direction des joueurs frise les 65%, il n’empêche que ceux-ci sont sitôt réinvestis par les dits joueurs, tant le Rapido met leur porte-monnaie à mal.

L’Etat, un opérateur de jeu vertueux ?

Ce constat dressé, on peut comprendre qu’il est difficile pour les nouveaux opérateurs en ligne de voir en l’Etat un opérateur de jeu vertueux, respectueux de sa clientèle, attentif à la morale des jeux qu’il lui propose.

Certes, pour lutter contre la dépendance de certains de ses joueurs au Rapido, la Française des Jeux a mis en place de manière régulière quelques mesures destinées à limiter notamment la mise maximale pouvant être jouée sur un seul bulletin, avec un plafonnement à cent euros, et le nombre maximum de tirages durant lesquels la même combinaison peut-être jouée. Il n’empêche qu’à aucun moment les moniteurs installés dans les points de vente, ce fil rouge qu’aucun joueur compulsif ne quitte des yeux, n’émet de messages destinés à le protéger contre lui-même, à le prévenir du coût et des conséquences de son addiction. Non, rien, calme plat, juste les tirages au rythme d’un toutes les 150 secondes, le rappel des numéros sortis lors des précédents tirages (car les joueurs cherchent toujours à donner une logique au hasard pour mieux conjurer le sort) et parfois, une promotion ou une offre commerciale destinée à booster la demande et à sortir le joueur de sa torpeur routinière.

Le rapido et l’ordre publique

La démonstration est ainsi faite que l’Etat français, qui voit la paille dans l’œil des nouveaux opérateurs auxquels il délivrera demain un agrément, évite soigneusement de voir la poutre qui saigne le sien. Supprimera-t-il un jour le Rapido pour des questions d’ordre publique ? Jamais. Pas question en effet pour ce bon gestionnaire d’amputer « sa » Française des Jeux d’un cinquième de son chiffre d’affaires.

On comprend aisément que la fin du Rapido ne saurait coïncider qu’avec l’apparition d’un jeu à la nocivité équivalente, susceptible de générer autant de profits, quitte à fabriquer un peu plus de pauvreté. Car comme n’aurait pas manqué de le dire un grand humoriste disparu avant d’avoir eu le temps de tester cette invention géniale, « les pauvres sont indispensables au Rapido, à condition qu’ils le restent ! »

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    Dominique Cordier

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