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Showdown Value : concept et dynamique au poker (Kipik)

12 min à lire
Kipik

La Showdown Value (littéralement «Valeur à l’Abattage») est un concept relativement récent pour expliquer une notion vieille comme le poker. En simplifié, la Showdown Value (SV) est la valeur de notre main à l’abattage (quand il faudra montrer sa main pour gagner, ou perdre, le pot).

Si vous avez le jeu max, par exemple Couleur Max, votre SV est énorme. Si, par contre, vous avez raté votre tirage Quinte avec 56, et avez donc une magnifique Hauteur 6 pour toute main : votre SV est nulle. Dans le premier cas (Couleur), votre seul problème va être de trouver comment prendre le maximum à votre/vos adversaire(s). Dans le second, la seule question sera de savoir si on abandonne notre poubelle ou si on tente un dernier quelque chose pour avoir une chance de gagner le pot (autrement dit, un bluff puisque c’est la seule chance de gagner avec notre Hauteur 6).

Ces deux cas représentent les deux extrêmes de la SV et sont extrêmement simples à jouer.

Au poker, le marginal est la norme

La majorité des mains va se trouver quelque part entre ces deux extrêmes. Que vous ayez JJ ou A8 ou K10 sur A53K7, vous vous retrouvez au final avec une main décente, qui a des chances de gagner le pot… mais qui a aussi de fortes chances de ne pas être la meilleure main. Que valent AJ, QQ ou A6 sur le tableau AK986 ?

Il ne s’agit plus de savoir combien miser pour prendre le plus avec un jeu à énorme SV (couleur max par exemple) ou pour bluffer avec une main sans SV (hauteur 6). Il nous faut maintenant déterminer si la valeur de notre main mérite de miser, de payer, de relancer ou d’être couchée. Et plus le jeu devient ouvert et agressif, plus on rencontre de ces situations complexes où notre main moyenne est face à un adversaire qui, le plus souvent, aura également une main moyenne.

Il ne s’agit pas toujours d’un exercice facile. Et c’est un exercice qui exige une réflexion sur la range de notre adversaire (les mains qu’il peut avoir) et une bonne analyse du tableau (les cartes communes).

Un exemple à la river

AJ sur tableau AK986 est théoriquement une main forte (top pair bon kicker). Mais, en même temps, elle ne bat pas grand-chose à part AT, A2-A5 et A7, KT-KQ et des tirages ratés.

Avec A6, la situation est théoriquement meilleure puisqu’on a maintenant deux paires (top and bottom). Mais, dans les faits, on ne bat toujours pas grand-chose. Certes, on est un peu mieux loti qu’un AJ : notre main bat en plus AQ et AJ ainsi que K6-K9 et 98.

1010 ne bat évidemment pas grand-chose. N’importe quel As ou Roi dans la main adverse suffit à nous battre. Pour autant, notre main n’est pas totalement dépourvue de valeur : après tout, on bat encore toutes les mains qui étaient sur un tirage au flop et n’ont rien touché : QdJh, JdTd, 5h6h…

Selon la façon dont s’est jouée la main, AJ, A6 ou TT ne seront souvent pas assez fortes sur ce tableau pour miser en espérant les valoriser (même si ça peut arriver contre certains adversaires). Mais elles seront généralement tout de même assez fortes pour espérer gagner assez régulièrement à l’abattage (là encore, pas contre tous les joueurs).

Le principe général de ces mains qui disposent d’une Showdown Value (Valeur à l’Abattage) non négligeable sera de chercher à aller à l’abattage en investissant le moins possible. Ce ne sont pas des mains qui méritent le plus souvent de miser. Mais ce sont des mains souvent assez fortes pour payer une mise.

Il peut sembler évident de vouloir mettre le moins d’argent possible dans le pot quand on a TT sur ce tableau. Mais, dans les faits, on va souvent voir des joueurs passer à côté de cette évidence et continuer à miser, soit pour « protéger » leur main contre un tirage, soit en bluff pour tenter de faire se coucher un As ou un Roi.

La situation n’est quasiment pas différente si vous avez AJ. Certes, on a un As cette fois. Et même un gros As. Mais que gagne-t-on en misant (ou relançant) ? Faire se coucher KJ ? Un plus mauvais As ? Se faire payer, relancer ou surelancer par AK, A8/A9, un brelan de Neuf ou un chanceux 89 ? Même logique, mais exacerbée, si vous détenez A6…

La Showdown Value : une notion très variable

Si le principe de SV est simple, sa mise en pratique est plus complexe. Il est très difficile de dire, dans l’absolu, quelle main dispose de SV… et de combien ! De nombreux facteurs entrent en ligne de compte comme le tableau, sa texture, sa dangerosité; votre adversaire, son style de jeu, ses tendances naturelles; et, évidemment, l’action tout au long de la main.

La seule constante sera que notre main est assez forte pour gagner assez souvent à l’abattage mais pas assez forte pour mériter, généralement, qu’on la valorise. Dit autrement : vous serez rarement payé par une moins bonne main (vous ne pouvez donc pas miser pour valorisation). Et n’avez que peu de chances de faire se coucher une meilleure main (bluffer ne sera pas rentable).

Dans l’exemple de départ, AJ pourra être jouée pour sa Showdown Value contre certains adversaires (cas assez fréquent). Elle peut aussi être jouée en valorisation dans certains cas particuliers (si votre adversaire est du genre à payer avec n’importe quelle paire).

A6 vaudra assez souvent d’être jouée comme un monstre (même s’il faudra presque tout le temps coucher notre main si notre adversaire décide de nous relancer ou surelancer).Mais, contre certains adversaires très serrés, pourra parfois avoir à peine assez de SV pour mériter un Call.

Si TT a plus des allures de main qu’on souhaite abandonner, c’est une main avec laquelle il faudra envisager de payer contre certains joueurs capables de jouer agressivement, en particulier des tirages ratés.

En revanche, si vous avez une main comme QJ sur ce tableau AK986, il sera rarissime que votre main dispose d’une quelconque SV. Vous battez certes J10 et 45. Mais aller à l’abattage revient à abandonner le pot. Et miser (en bluff, donc), sera souvent la seule option.

Les deux plus grosses erreurs en matière de Showdown Value seront en général de miser avec une main qui ne le mérite pas mais pourrait payer une mise et de ne pas miser avec une main qui ne dispose pas d’assez de SV pour gagner le pot.

La Showdown Value est dynamique

Vous relancez Q9 au bouton et êtes payé par le joueur de Grosse Blinde. Le flop vient K53 et vous faites une mise de continuation classique. Votre main ne dispose à ce moment d’aucune Showdown Value… (ou presque : on bat quelques mains susceptibles de payer, comme 67; dispose d’une ou deux cartes supérieures contre une paire moyenne comme 77 ou 99; et un tirage miraculeux sur deux cartes est encore possible). Quasiment toute votre équité vient des fois où notre adversaire va se coucher : notre Fold Equity. Faire se coucher AT, QJ, 75 ou 44 représente un gain important (et c’est bien tout l’intérêt de jouer de façon agressive).

Si le turn vient un A ou J, votre main n’a pas amélioré et seul un second bluff sera susceptible de vous faire gagner. Je ne dis pas qu’il faudra le faire mais ne pas le faire revient à abandonner le pot : votre seule équité réside dans la fold equity, la SV étant (quasiment) nulle.

Si, en revanche, le turn est le 9, votre situation vient de changer brutalement. Vous disposez maintenant d’une paire de Neuf et, donc, de Showdown Value : certes, on ne bat toujours pas un Roi (ni des TT-QQ qui aurait décidé de juste payer préflop et flop ou un brelan qui aurait cherché à nous piéger) mais on bat désormais des mains comme 56, 77 ou A8 qui ont pu nous payer au flop.

Contrairement à ce qu’on voit souvent, miser le turn n’a plus vraiment d’intérêt. Si on mise une seconde fois, tout ce qu’on obtiendra sera d’être payé par des mains meilleures (vous pensez sérieusement que votre adversaire couche un Roi ici ?) et des tirages disposant d’une bonne équité. Alors que, en revanche, on va faire se coucher quasiment toutes les mains inférieures (A5/A3, 56/67, 44, 77…).

Comme toujours dans ce genre de situation où vous ne ferez pas coucher une meilleure main et serez rarement payé par une plus mauvaise, il est nettement préférable de ne pas miser dans l’intention d’aller à l’abattage. Il sera difficile (sinon impossible) de bluffer une meilleure main. Il n’est plus nécessaire de bluffer (on a de la SV avec notre paire de 9). Mais notre SV est un peu faible pour miser en valorisation puisque quasiment tout ce qui est moins bon va se coucher.

Les seules fois où on gagnera de l’argent en misant ce 9 au turn est quand notre adversaire va se coucher. Or, s’il se couche, c’est que notre paire de 9 est la meilleure main.

Note : un cas plus complexe est celui où un 8 ou 10 tombe au tournant. Notre main ne gagne pas en SV (toujours nulle) mais gagne énormément valeur avec la possibilité de couleur et/ou quinte. On se retrouve cette fois devant une décision toujours difficile entre miser en semi-bluff/bluff et profiter de notre position pour prendre une carte gratuite en checkant. Mais ce sera l’occasion d’une autre chronique ;)

On check le turn avec de la SV et après ?

Si notre adversaire décide de miser une rivière anecdotique, alors il est envisageable de payer puisqu’on dispose d’une SV suffisante pour battre de nombreuses mains.

On a montré de la faiblesse en checkant le turn, notre adversaire peut miser pour valoriser une main comme 77 qu’il aurait souvent abandonné au turn. Ou peut-être mise-t-il en bluff ses mains sans Showdown Value (tirages ratés). Ou se méprendre sur la SV de sa main et faire une mauvaise mise avec 56 (erreur citée plus haut : pour notre adversaire qui a 56 sur le tableau K359X, 56 est une main à SD moyenne qui ne peut pas être payé par moins bien ni faire se coucher une meilleure main).

Si notre adversaire préfère checker de nouveau la river, il sera souvent envisageable de miser en sachant que notre check au turn peut induire un call par une range plus large qu’au turn. On inverse du coup la logique qui nous a fait checker le turn en nous appuyant sur notre SV et on l’oblige maintenant à prendre une décision pour toutes ses mains qui disposent de SV et ne valaient probablement pas une mise : 77, 56 peut-être même une main comme AJ ou AQ qui peuvent très bien être la meilleure main.

Evidemment, parfois il misera, ou paiera, avec KT et nous prendra un peu d’argent. Mais il ne nous prendra pas plus que si on avait misé nous-même le turn. En revanche, on a de meilleures chances de prendre un peu d’argent à la river sur des mains qui auraient couché au turn. Et on peut induire un bluff de mains à tirage, sans SV donc, qui sont maintenant condamnées à bluffer ou perdre le pot.

Si, en revanche, la river est tout sauf anecdotique mais rentre des tirages et que notre adversaire décide de miser, il va peut-être parfois nous bluffer. Et il va aussi souvent nous bluffer avec une meilleure main que a notre. Il sera évidemment parfois sur un tirage qu’on lui aura permis de rentrer. Ou sur un tirage raté mais qui profite de l’opportunité (comme 67 qui cherchait la quinte et mise quand la couleur rentre).

Dans tous les cas, il ne prendra rien de plus que ce qu’on a mis en jeu avec un total bluff au flop : si les tirages rentrent, la SV de notre paire de 9 s’effondre et ne justifie plus de payer. Mais on aura gardé le pot aussi petit que possible avec une main marginale (mais susceptible de gagner à l’abattage). Et ce sera toujours mieux que d’engraisser le pot au turn pour faire face à une grosse mise river qu’on ne pourra pas payer en s’appuyant sur notre SV. Notre main est marginale (mais loin d’être désespérée), il est de notre intérêt de garder le petit petit.

La peur des tirages

C’est de loin l’excuse la plus courante pour justifier une mauvaise mise (puisque probablement pas rentable) avec une main dont la SV est suffisante pour souvent gagner le pot : il faut faire payer les tirages, il faut se protéger des tirages.

C’est rarement plus qu’une excuse. C’est plus souvent une crainte irrationnelle.

N’ayez pas peur que le tirage adverse rentre. Ca arrivera. Mais ça n’est pas grave quand il s’agit d’un petit pot sans aucune incidence. Et ce sera toujours moins grave que de faire grossir le pot contre une meilleure main ou de perdre toute chance de se faire payer par une main inférieure.

Faire payer les tirages revient de fait à grossir un pot qu’on peut difficilement défendre. Si vous misez le turn et faites face à une mise rivière, il va être nettement plus coûteux de vérifier si votre paire de 9 est bonne ou pas. Et ce sera un call d’autant plus difficile que votre mise au turn est censée avoir fait se coucher la plupart des mains que vous battez.

Vous avez peut-être trouvé de la SV au turn, mais elle reste marginale. Votre intérêt avec une main marginale est de garder le pot petit, maîtrisé, pour vous retrouver devant les situations les moins délicates possibles à la rivière et face à la range la plus large possible. Or, plus le pot sera gros, plus la range adverse sera généralement resserrée. Et plus vous aurez besoin d’une SV forte pour justifier d’aller à l’abattage.

Une frontière très floue

Il n’est pas toujours facile de déterminer si la meilleure ligne à suivre avec notre main est de miser pour sa valeur, de miser pour bluff ou de la jouer plus passivement en s’appuyant sur sa Showdown Value. Je pourrais multiplier les exemples à l’exemple et aucun n’irait probablement jamais totalement dans un sens ou dans l’autre. Connaître son adversaire est essentiel. Et comprendre sa façon de penser, de jouer, sera décisif.

Dans l’exemple de notre Q9, si notre adversaire est du genre à check-raise le flop quand il touche mais à payer plusieurs tours d’enchères avec un tirage, on peut allègrement miser le turn vu que sa main est transparente. Mais cela signifie aussi que toucher un 9 au turn est anecdotique : on pourrait/devrait miser le turn dans tous les cas avec l’intention de miser de nouveau toutes les rivières qui ne rentrent pas de tirage. Notre main importe peu dans cette situation tellement celle de notre adversaire est visible.

De la même façon, miser le turn peut être profitable chaque fois que notre adversaire sera assez faible pour payer systématiquement flop et turn avec juste un tirage ou une paire de 5. Ce qui, je l’accorde, arrivera assez souvent si vous jouez des tables à faible enchère…

Mais si notre adversaire est du genre à abandonner ses tirages au turn, sa range pour payer notre mise est beaucoup trop forte pour que miser notre paire de 9 serve à autre chose qu’à faire grossir un pot qu’on ne gagnera pas le plus souvent. Miser n’a d’intérêt que si notre adversaire nous paie assez souvent avec une main inférieure comme 45 ou 77. Personnellement, quand j’ai une paire de 9, je souhaite être payé par une paire de 7. Et je suis malheureux quand mon adversaire couche.

En conclusion

Dans tous les cas, essayez de vous demander où et comment votre main va gagner le plus d’argent (et/ou en perdre le moins possible). Autrement dit, tentez de déterminer d’où vient votre équité.

Est-ce en faisant se coucher votre adversaire? Avez-vous besoin qu’il se couche pour gagner? Et peut-il coucher suffisamment de meilleures mains pour rentabiliser un bluff (ou semi-bluff)?

Ou, au contraire, notre équité vient-elle de la valeur de notre main? Gagne-t-on assez souvent à l’abattage pour ne pas miser? Paie-t-il assez souvent avec moins bien pour justifier qu’on mise pour valoriser?

Une des erreurs les plus fréquentes quand on essaie de jouer agressivement est de jouer trop agressivement. En particulier en cherchant à bluffer avec des mains dont la Showdown Value peut suffire à gagner le pot. Ou à valoriser avec des mains dont la SV est marginale.

Rendez-vous la semaine prochaine où je vous dirai exactement le contraire ;)

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