Adapter sa stratégie selon le rake (Kipik Poker)
Le rake au poker, ou prélèvement en français, représente ce que la salle où vous jouez prélève sur chaque main jouée. C’est ce prélèvement qui fait «vivre» la salle, va générer son chiffre d’affaire (et lui servir aussi à payer les taxes que l’Etat prélève).
Il n’y a donc aucun problème à payer du rake (raker) puisque cela permet de bénéficier du service offert par la salle, que ce soit sur Internet ou en casinos et cercles. Encore faut-il que le prélèvement soit raisonnable. Battable.
Cette semaine, je vais essayer d’expliquer un peu comment ça marche. Et, surtout, comment s’adapter pour battre un rake aussi élevé.
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L’ennemi, c’est le rake
Sans rake, le poker est un jeu à somme nulle. Traduit en français: ce qu’un joueur gagne, un autre joueur le perd. Quand vous jouez entre amis, donc sans prélèvement, la somme des jetons en fin de partie sera exactement égale aux caves «achetées». Les masses sont passées d’un joueur à l’autre au fil des mains. Mais la masse globale n’a pas bougé.
Arrive alors Mr Rake qui décide de jouer avec vous (pour rester dans la légalité, disons que vous poursuivez cette partie amicale dans un cercle). Mr Rake n’est pas le genre maniaque qui cherche à jouer de gros coups, plutôt le genre grignoteur. Sa stratégie est simple : il prend 5% de chaque pot, pour un maximum de 3€. Jamais plus de 3€. Mais jamais moins de 5%...
Tout le monde se pousse pour lui laisser de la place à ce nouvel adversaire qui ne fait pas de bruit ni de vagues… et tout le monde se fait défoncer. Peu importe le niveau de la table, Mr Rake sortira gagnant de chaque session. Et de loin. Mais c’est en plus un gagnant qui ne connaît aucune variance dans ses résultats ; il ressort de chaque session les poches bien pleines. Et chaque pot lui rapporte.
L’arrivée du rake change la donne : le poker n’est plus un jeu à somme nulle. Si personne n’apporte d’argent frais régulièrement à la table, tout le monde finira sans aucun jeton devant lui, tandis que le rake sera «plein».
Quand vous jouez au poker, vous ne cherchez pas, en fait, à battre les joueurs assis avec vous à la table. Mais bel et bien ce joueur en plus qu’est le rake. Lors d’une partie avec prélèvement, être meilleur que ses adversaires n’est pas suffisant pour être gagnant. Pour être un joueur gagnant, vous devez être capable de battre aussi, et surtout, le rake.
Malheur aux petits joueurs (rake microlimites)
Et, malheureusement pour beaucoup de ceux qui liront cette chronique, plus vous jouez à des petites limites, plus ce joueur en plus sera dur à battre.
Quelques « scénarios » pour bien comprendre la chose.
Cas 1 : vous jouez en NL 10/20 sur une table de 9 joueurs sans rake. L’adversité est rude mais vous êtes un bon joueur et gagnez 4bb/100 (4 blindes toutes les 100 mains jouées).
Cas 2 : vous jouez en NL 0.10/0.25, là aussi en table de 9 et sans rake, et vous écrasez vos faibles adversaires comme en témoigne votre Winrate (taux horaire) de 15bb/100.
Changement de régime, la partie se joue tout à coup avec prélèvement. Prenons un rake simple pour illustrer (les chiffres seront de toute façon purement illustratifs) : on prélève 5% de chaque pot joué, avec un maximum de 3€ pour la table haute limite, et 2€ pour la petite. Je vous passe les calculs savants mais, en résumé, voila ce qui va se passer après 100 mains jouées :
Sur la grosse limite, le rake va se monter à environ 540€. Soit un coût final, pour chaque joueur de 60€. Sur la petite limite, le rake «empochera» 45€. Et chaque joueur aura participé, en moyenne, pour 5€.
La différence peut sembler raisonnable. Jusqu’à ce qu’on commence à raisonner en big blinds. 60€ de rake sur la 10/20 vaut en fait 3bb. 5€ sur la 0.10/0.25 coûte… 20bb ! Toutes les 100 mains jouées, le joueur de grosse limite aura donc payé 3bb de rake. Celui de micro limit aura gentiment fait «don» de 20bb.
Du coup, avec l’introduction du rake, notre joueur de hautes limites, qui gagnait 4bb/100 mains reverse 3bb de rake mais reste bénéficiaire, même si seulement de 1bb toutes les 100 mains jouées.
A l’inverse, notre joueur de petites limites qui se sentait beau avec son winrate de 15bb/100 doit maintenant contribuer pour 20bb au rake… et se retrouve perdant de 5bb toutes les 100 mains jouées.
Un petit exemple simple (et, je rappelle, totalement fictif !) pour illustrer que l’ennemi est bien le rake et non les autres joueurs à la table. C’est lui qu’il faut battre pour mériter le statut de joueur gagnant. Et c’est un adversaire d’autant plus coriace que vous jouez de petites limites.
Avant de crier au scandale, dites-vous bien que battre 3bb de prélèvement sur une 10/20 sera nettement plus délicat que de battre 15bb sur une 0.10/0.25 où les autres joueurs à la table sont là pour vous aider, ce qui sera «rarement» le cas sur les plus hautes limites.
Comment se calcule le rake ?
En gros, le rake est prélevé dans le pot avant que celui-ci soit remis au vainqueur de la main. C’est donc, en apparence, le vainqueur de la main qui paie le rake. En réalité, le rake est prélevé sur l’ensemble des participations au pot. Même si vous ne gagnez pas une main dans l’heure, vous avez payé du rake à chaque main jouée. Même si vous avez seulement payé la big blind et jamais vu de flop pendant une heure, vous avez payé du rake (ok, très peu).
Tout le monde paie le rake, gagnant ou perdant. Si le prélèvement réduit le gain des joueurs gagnant, il va réduire aussi l’espérance de vie des joueurs perdants dont le capital va fondre d’autant plus vite que le rake est élevé.
On comprend donc que l’intérêt des salles de poker n’est pas nécessairement d’avoir un rake trop élevé. Il leur faut des joueurs gagnants, et donc un taux de prélèvement qui soit «battable». Il est important aussi que ce prélèvement soit raisonnable pour que les joueurs perdants restent assez longtemps «en vie» pour en retirer une expérience positive (et, donc, aient envie de sortir de nouveau la Carte Bleue).
Le rake et les salles .fr
La loi relative à «l’ouverture» (sic) des jeux sur Internet adoptée par la France est venue perturber depuis mai 2010 le système de prélèvement en vigueur sur quasiment toutes les salles disponibles sur Internet. Celle-ci prévoit en effet une taxation de 2% sur chaque mise. Autrement dit, 2% de rake en plus pour les joueurs de poker.
Le standard du marché étant de 5% de prélèvement, on imagine bien que ces 2% supplémentaires, soit une hausse de 40% !, ne sont pas une mince affaire. Hélas, chaque salle ayant son propre système, il n’est pas évident de calculer réellement l’impact de ces 2% supplémentaires. On commence à trouver sur Internet des comparatifs plus ou moins précis. En gros, si ces 2% de plus correspondent en théorie à une hausse du prélèvement de 40%, l’impact est très différent selon le niveau d’enchères.
La grosse différence se fait sur le «cap», autrement dit le prélèvement maximum sur chaque pot. Plus les enchères sont élevées, plus le cap est atteint rapidement. Et, donc, l’impact de ces 2% supplémentaire sera plus faible.
Expliquons: si le cap est fixé à 3€, il est atteint dès que le pot atteint 60€ si le prélèvement est de 5% (40€ si rake de 7%). Autrement dit, dans cette situation (illustrative, elle aussi), tous les pots de plus de 60€ sont taxés de la même façon que le rake soit de 5% ou de 5+2% : 3€. Si vous jouez sur une limite élevée, où 60€ représente un petit pot, vous allez donc ne pas payer de rake sur tous ce qui dépasse 60€.
Sur les petites limites, le cap est souvent fixé à 2€, et sera atteint avec un prélèvement de 5% quand le pot atteint 40€ (30€ si 7% de rake). Or, sur les petites et moyennes limites, les pots de 30 ou 40€ seront rares. Et le cap n’étant presque jamais atteint, vous allez payer en permanence les 5 à 7% de rake. Pas de tarif préférentiel pour les petits joueurs.
Cerise sur le gâteau, cette hausse du rake s’est aussi souvent accompagnée d’une hausse du «cap». Celui-ci sera donc moins souvent atteint, créant plus de pots sur lesquels le rake s’appliquera en totalité. Le joueur de moyennes limites sera donc nettement plus atteint par cette hausse du prélèvement qu’il va payer plein pot… plus de pots. Au final, cette hausse du prélèvement théorique de +40% peut en fait vous coûter encore plus cher…
Et ça va me coûter combien, tout ça ?
Je vous passe les calculs, de nombreuses discussions sur les forums s’y intéressent (et je vous invite à les lire attentivement !). Mais on peut estimer que le coût supplémentaire varie entre 3bb et 7bb toutes les 100 mains selon que vous jouez entre la NL100 (blindes 0.5/1) et la NL25 (blindes 0.10/0.25). Ce qui correspond, peu ou prou, à une augmentation du rake de 40%. Le coût en bb/100 sera plus élevé si vous jouez en-deça de la NL25, où il peut dépasser les 50% d’augmentation. Et légèrement plus faible au-dessus de la NL100.
Sans surprise, il devient donc nettement plus difficile de battre une limite donnée avec un prélèvement aussi élevé. Pour beaucoup de joueurs qui étaient gagnants entre 4 et 6bb/100 mains jouées, soit un taux très acceptable, ces 2% de prélèvement supplémentaires impliquent que, en l’état, ils deviennent des joueurs perdants, ou tout juste à l’équilibre.
Evidemment, le niveau moyen sur les salles .fr est nettement plus faible que ce que l’on peut trouver sur les plus grosses salles mondiales. Et, au moins lors des premières semaines/mois, cette baisse de niveau va compenser la hausse du prélèvement.
Hélas, on peut s’attendre à ce que le niveau s’élève peu à peu…
Quelle stratégie pour battre ce nouveau rake ?
Stratégiquement, il est assez facile de comprendre que, plus le rake est élevé, plus votre jeu a intérêt à être serré. Ca n’implique pas de jouer extrêmement serré pour autant mais, en tout cas, de chercher à éviter les situations marginales. Si jouer une situation où on est favori à 52% est une évidence en l’absence de prélèvement (comme, par exemple, ce sera le cas en tournoi), jouer ce même 52% avec un prélèvement élevé peut devenir une décision perdante.
Plus le rake est élevé, plus vous avez intérêt à recentrer votre jeu sur des mains à forte espérance de gain. Cela ne signifie pas qu’il faut ne jouer que ces mains. Ni qu’il soit intéressant de modifier en profondeur votre jeu s’il est gagnant. On ne change pas une équipe qui gagne (ou qui perd, quand il s’agit de l’EdF)! Mais rappelez-vous que, si vous gagniez entre 4 et 8bb/100 mains, une hausse du rake entre 3 et 7bb/100 implique que vous n’êtes plus forcément un joueur gagnant.
Il est donc important de prévoir quelques ajustements. Le plus facile étant de resserrer un peu votre jeu : un petit élagage, en quelque sorte, où vous devriez éliminer la portion la plus marginalement gagnante.
Inversement, vous devrez être prêt à profiter autant que possible des joueurs faibles. Un prélèvement élevé implique une durée de vie plus faible pour ces «bons clients» et, donc, une volatilité plus grande de leur argent. Tout ce que vous ne prendrez pas tout de suite finira vite dans les poches d’un joueur bien meilleur et sera nettement plus difficile à aller chercher ensuite.
Si vous devez resserrer un peu votre jeu en général, ouvrez-le donc un peu plus contre ces nouveaux poissons. Certaines mains, qui seraient en général marginales (au mieux), peuvent devenir de grosses sources de profits quand on a la chance de tomber sur un bon client.
Comparez avant de jouer
Privilégiez également les sites offrant le meilleur rake. Chaque salle pratique sa propre politique de prélèvement. A ce petit jeu, toutes ne se valent pas. Les meilleures font quasiment jeu égal avec les salles internationales, les pires… Je ne vais pas les passer en revue ici, vous trouverez sur le forum toutes les informations nécessaires. Mais informez-vous !
L’ouverture du marché pousse aussi toutes les salles à multiplier les bonus, essayez d’en profiter autant que possible. Rien ne vous empêche de passer d’une salle à une autre. En jouant en permanence avec un bonus à la clé, vous allez en fait absorber une bonne partie du prélèvement.
Là aussi, hélas, tous les bonus ne se valent pas. Mais ce n’est pas une particularité française : certains bonus ont toujours été plus faciles à obtenir que d’autres; certains sont même à la limite de l’impossible (en tout cas pour des joueurs de petites et moyennes limites). N’oubliez jamais que, plus un bonus est difficile, plus le risque que vous modifiez votre jeu pour réussir à l’obtenir est grand. Vous ne seriez pas le premier (loin de là !) à finalement perdre de l’argent en cherchant à remporter un gros bonus. C’est une forme particulière du tilt, mais c’est aussi une de celle qui peut faire les pires ravages…
Tous les bonus sont basés sur la quantité de rake que vous payez dans un temps donné. Pour certains, il faudra «raker» trois, cinq ou dix fois le montant du bonus «promis». Orientez-vous vers les bonus les plus faciles, les plus «rapides». Plus le coefficient multiplicateur (rake/bonus) est élevé, moins le bonus est intéressant.
Evitez enfin comme la peste les bonus disproportionnés par rapport avec votre limite de jeu. Si vous jouez en NL25, un bonus de 1000€ est certainement attractif. Mais la réalité est que vous ne réussirez pas à l’atteindre. Alors que celui à 300€ « offert » par une autre room se gagnera plus certainement et vous donnera le petit coup de pouce qui vous permettra de passer plus vite à la limite supérieure. Un bonus qui se « libère » par tranches est aussi généralement meilleur que celui qui sera versé en une seule fois, pour sa totalité. Vous n’avez pas idée de ce que peut coûter un bonus quand on réalise qu’on n’a plus que 2 jours pour jouer les 8000 mains qui manquent alors qu’on en joue 500 par jour…
Tout n’est pas pourri au royaume du .fr
Un rake élevé est un énorme handicap. Ca peut même devenir un handicap insurmontable. Et l’avenir nous dira si un prélèvement aussi élevé est « acceptable ». Pour l’instant, on peut certes faire pression sur les salles de poker en ligne pour en prendre une partie à leur charge. Ou émigrer dans un pays moins taxé. Mais, pour 90% des joueurs, il faudra faire avec cette nouvelle taxation.
Cette hausse du prélèvement s’accompagne aussi de la création de nouveaux bassins, remplis de petits poissons bien frais. Cela nous offre un défi intéressant à relever, qui va nous forcer à adapter notre jeu à ces nouvelles conditions (prélèvement, niveau de jeu). Personne ne peut dire ce qu’il en sera dans six mois ou un an. Si le niveau montera ou pas. Mais, pour l’instant, dans ces conditions, le poker est encore certainement profitable.
Tous les joueurs n’arriveront pas à s’adapter. Et certains joueurs, qui étaient jusque là gagnants, auront du mal à jouer cette nouvelle donne. D’autres émergeront pour les remplacer. C’est tout le mal que je vous souhaite...