Jouer les grosses paires contre les brelans
« Et voilà, il a encore trouvé son brelan quand j'ai les As !» Inaugurons cet article de stratégie avec une citation que tout joueur de poker aura prononcée et entendue plus d'une fois dans sa vie. Peut-être même aussi souvent que « oh non, encore K-K contre A-A ! »
Ces petites phrases résument l'impuissance et le désespoir des joueurs qui se retrouvent dans ces situations. Or, c'est justement dans ces situations que vous pouvez faire la différence et devenir un joueur gagnant. Si vous êtes capable de coucher vos As quand votre adversaire a touché un brelan, mais que votre adversaire n'y arrive pas quand les rôles sont inversé, vos profits vont crever le plafond. Ce sont les moments clés de vos parties de poker.
Tout le monde connaît ces moments terribles : vous fixez votre écran et pressez le bouton CALL. « Et m*****, ce donkey avait vraiment un brelan, quel fish chattard ! ». Ca vous rappelle quelqu'un ? Oui, moi aussi je me retrouve dans cette situation quotidiennement. Le plus drôle c'est que souvent vous avez en fait parfaitement compris ce qu'il se passe.
Mais alors, pourquoi payer ? Il y a ceux qui ont adopté une ligne dure : « jamais je ne couche les As ». D'autres sont plutôt du genre masochiste, voulant se prouver à tour prix qu'ils sont en perpétuel bad run. Combien de fois avez-vous vu un ami en plein tilt vous demander « tu veux parier qu'il a encore trouvé son brelan, ce ****** », et payer perdant dans la foulée. Aussitôt les cartes fatales révélées, vous allez avoir droit au « tu vois, je te l'avais dit, c'est un bad run de ouf ! ». Je me suis surpris à prononcer ces phrases assez souvent moi-même. On ne regarde même plus le pot, on ne réfléchit plus, on ne voit qu'une chose, c'est qu'on a (encore) perdu avec les flèches maudites. Peu importe à ce stade, de se demander pourquoi on a perdu.
Débarrassez-vous de ce tilt récurrent, et pensez à tous ces pots et toutes ces caves jetées par la fenêtre. Ecoutez votre voix intérieure, parce que souvent, vous serez d'accord avec moi, que même si on ne veut pas l'accepter, au fond de nous on sait qu'on est battu. Si vous avez un mauvais pressentiment ? Sentez-vous monter en vous les pensées décrite ci-dessus ? Apprenez à vous écouter, vous en tirerez profit plus souvent que vous ne le croyez peut-être.
Le problème pour jouer les overpairs (les paires faites des cartes plus hautes que la plus haute carte du tableau, au-dessus de la top pair), c'est que vous ramassez souvent les petits pots mais perdez les gros. Ce n'est pas non plus facile de jouer son tapis sur un tableau menaçant comme J♣-10♣-4♥-10♦-Q♣ avec A-A en main.
Un bon conseil : quand vous jouez les As, la première chose à faire, c'est de rester calme. Le pot n'a pas besoin de grossir démesurément. Le fait que vous jouiez en no-limit ne veut pas dire que le pot doit être illimité. A nous de décider de la taille du pot. Par exemple, disons que vous relanciez pré-flop avec A-A et le flop vient J-6-2. Votre seul adversaire suit votre mise de continuation. Le tournant amène un Roi, et vous commencez à sentir cette affaire mal engagée. Il n'y aucune honte à faire parole en position pour aller voir ce qui se passe à la rivière. Si votre adversaire check à nouveau, vous pouvez alors faire une mise de valorisation (value bet). S'il relance, vous allez devoir faire appel à votre lecture. Le problème en faisant parole au turn c'est que vous serez souvent confronté à une mise sur la rivière.
Mais est-ce vraiment un problème ? Si vous ne relancez pas au turn, de nombreux joueurs vont penser que leur J-x est bon et feront donc un value bet à la river, et sinon ils suivront le votre, alors qu'ils jetteront souvent leur main si vous misez au tournant. Par conséquent, en contrôlant la taille du pot, vous finirez souvent par gagner plus d'argent contre des mains plus faibles.
S'ils ont un brelan et misent à la rivière vous pouvez choisir de juste payer Dans ce cas de figure vous perdrez moins contre les mains qui vous battent. En jouant votre main ainsi vous avez le beurre et l'argent du beurre : perdre moins quand vous êtes battu, et plus quand vous êtes devant ! Pas mal comme concept non ? En jouant comme cela vous ne serez pas forcés de risquer votre tapis à chaque fois que vous toucherez une overpair. Choisissez vos spots pour appuyer sur l'accélérateur avec votre overpair en main, et sachez aussi ralentir quand il le faut.
Étudiez toujours minutieusement la texture du tableau. Un flop comme 2-6-K rainbow est un rêve éveillé quand on a les As, alors que 5-6-7 avec deux carreaux ressemble plutôt à un cauchemar en train de se matérialiser sous nos yeux. J'ai assez souvent fait parole avec mes As sur un tel flop, pour les coucher sur la moindre mise. Imaginez par exemple que quatre joueurs paient votre relance UTG préflop, et qu'un tel flop apparaît. La grosse blind mise l'équivalent du pot et vous avez trois requins derrière vous. Dans cette situation, je prends mes clics et mes clacs et je ne demande pas mon reste ! Ce n'est vraiment pas un tableau propice pour une simple paire, fut-elle d'As.
Étudiez attentivement le flop, comptez le nombre de joueurs encore impliqués, et analysez leurs actions. Imaginez maintenant que vous voyiez tomber le flop « de rêve » 2-6-K rainbow avec les As en main. Cette fois vous êtes à une table de No Limit 2$/4$ avec neuf joueurs dont quatre ont suivi votre relance préflop. Vous misez 80$ dans un pot de 106$. Tout le monde a un tapis d'environ 400$, et voilà que le joueur à votre gauche sur-relance à 200$. J'ai une mauvaise nouvelle : vous êtes foutu. Ce que vous devez comprendre ici c'est que ce joueur non relance non seulement le relanceur préflop initial, mais il se permet aussi de relancer les trois autres suiveurs. Ce genre de situations fait clignoter BRELAN en néons clignotants au-dessus de sa tête. Apprenez à reconnaître ce genre de choses.
Il n'y a pas que votre main et le tableau. Même les joueurs qui se couchent vous donnent des informations. Regardez leurs positions, quels sont les joueurs qui suivent, à quoi ressemble le tableau et les actions derrière. Assurez-vous de toujours relancer fort préflop avec les grosses paires. N'essayez pas de les attirer dans le pot parce que vous voulez vous faire payer le plus cher possible votre monstre. Si vous relancez préflop il vous sera aussi d'autant plus facile de déterminer les mains de vos adversaires, avec davantage de précision.
Dans tous ces exemples nous nous sommes basés sur une mise de deux grosses blinds (2xBB) avec plusieurs suiveurs. Vous relancez et déterminez la suite à donner selon le flop. Mais si quelqu'un sur-relance ? Quand cela arrive, je ne jette jamais une main premium préflop. Ce qui est important ici c'est de sur-relancer soi-même, et fort, soit aux environs de 3,5 fois sa relance. Si je suis à une table No Limit 2$/4$ et que je sur-relance de 16$ à 566$ préflop, je ne vais jamais lâcher mes Rois sur un flop 10-5-6. De par ma sur-relance et le fait qu'il la paie, sa éventail de mains (hand range) est tellement réduite qu'il serait EV- (espérance de gains négative à long terme) de coucher son overpair dans ce cas précis.
Les pots sur-relancés sont souvent ainsi décidés préflop. J'annonce clairement que je ne suis pas prêt à coucher ma main. Lorsqu'on tient K-K/Q-Q et qu'un As tombe au flop, c'est bien sûr uns situation toute différente. Dans ce cas-là, il faut ralentir, et si les adversaires deviennent trop agressifs, il faudra savoir coucher votre main, aussi belle soit-elle au départ du coup. Ce n'était pas votre main, pas votre tableau, ni votre moment, et vous allez devoir vous remettre en quête d'un meilleur spot.
Dans ce dernier paragraphe vous avez peut-être eu l'impression que je racontais tout le contraire de ce que je vous avais dit sur le fait de savoir coucher vos grosses paires au début de cet article. Dans ce dernier exemple, vous irez voir le flop avec peu d'adversaires et leur éventail de mains et nettement plus réduit. Il est donc beaucoup plus sûr d'aller jusqu'au bout avec votre grosse paire, étant donné que vous rencontrerez, c'est mathématique, beaucoup moins souvent ces fameux brelans maudits.
Ce dont vous devez apprendre à vous méfier dans ces situations, c'est que vous ne rencontrerez pas que des overpairs, comme par exemple quand vous misez toutes les streets avec Q-Q et votre adversaire se contente de payer jusqu'au bout avec son A-A. Quand vous avez le sentiment que vous pouvez juste faire un smooth call avec votre paire d'As au lieu de partir à tapis, c'est peut-être votre adversaire qui misera tout le tableau avec une paire de Dames. Certains joueurs tremblent même dès que leur paire de Rois est sur-relancée. Il faut que vous ayez tous ces paramètres en tête au moment d'en arriver à votre décision finale. Ensuite vous pourrez effectuer vos value bets, ce qui sera beaucoup plus facile étant donné l'éventail restreint de mains adverses. Il vous appartient de garder le pot sous contrôle, et de ne pas devenir un martyre de la paire d'As. Nul besoin de risquer tout votre tapis à chaque fois, et vous verrez que votre jeu deviendra beaucoup plus profitable.
Suivez votre instinct et ayez le courage de coucher instantanément vos As quand tous les voyants sont au rouge, par exemple un flop monocolore dans une couleur que vous n'avez pas n'est pas une bonne fenêtre de tir pour sur-relancer un adversaire agressif. Cela paraît évident dit comme ça, mais combien de fois l'avons-nous fait quand même, notamment à chaque fois que notre ego prend le pas sur notre réflexion objective. Repensez aux fois où votre adversaire avait effectivement un set, et ne vous contentez-pas de jouer les caliméros en pleurant sur cette satanée malchance.
Apprenez à décoder les schémas de mises. La plupart des gens jouent de manière plus répétitive et stéréotypée qu'ils ne le pensent. Quand j'étais encore en 0.50$/1$, je me prenais souvent à faire des mini sur-relances au turn avec un brelan en main. Vous reconnaîtrez ce genre de signes et vous saurez souvent quand vos adversaires ont touché leur set, alors soyez attentif et suivez votre instinct. Je ne peux pas vous le répéter assez.
Coucher les grosses paires préflop n'est pas une chose facile. Pas tellement pour Q-Q et J-J, car avec ces mains vous aurez assez rapidement une bonne idée de leur force réelle. Mais avec A-A et K-K je n'hésite pas à jouer mon stack préflop si nécessaire. Je coucherai K-K uniquement contre un adversaire ultra-serré ou si mon sixième sens se met à hurler qu'il voit les As en face. Ce n'est pas facile du tout. En fait en y réfléchissant bien, coucher les Rois a plus à faire avec le talent naturel et le bon état d'esprit qu'avec la théorie du poker. Et ça, ça ne s'apprend pas.
J'espère que vous comprenez pourquoi ce genre d'articles peuvent paraître à la fois plus complexes et plus vagues que d'autres. Nous entrons dans les détails d'une stratégie plus avancée et plus aboutie. Ce qui paradoxalement rend plus difficile la tâche d'énoncer des formules gagnantes toutes faites, ce dont je me passerai de toute façon volontiers, car même une formule gagnante ne le serait qu'à court terme. Le gros souci avec les martingales, c'est que si tout le monde les applique, plus personne ne perd, et donc plus personne ne gagne.
Parfois nous rêverions de devenir « super-user » sur une seule main online pour afficher les jeux adverses, où peut-être avoir ces lunettes magiques pour voir à travers les cartes sur un gros coup de cash game en live qui peut faire la différence entre une excellente expérience ou un abominable traumatisme. En même temps, quel intérêt aurait le poker si on voyait toutes les cartes ? Pour bien jouer, il faut aussi savoir bien apprendre, et il vous appartiendra d'ajuster ces quelques conseils généraux pour récolter les fruits de votre travail. A mon humble avis cela est beaucoup plus profitable à long terme que des formules toutes faites.
N'hésitez à prendre sur votre temps de jeu, ou pourquoi pas tout en jouant, pour lire et relire les conseils proposés dans notre rubrique Stratégie du Poker. J'espère que vous prendrez autant de plaisir à les lire que nous en avons à les partager avec vous. J'espère aussi que vous y apprendrez toujours quelque chose, tout en sachant qu'il n'est pas toujours facile d'exprimer toutes ces idées de la manière la plus structurée possible.
Le fait que je travaille plus sur les schémas de pensée plutôt qu'une compilation d'exemples-types ne rend pas exactement les choses plus claires je le concède. Mais en cela il rejoint le caractère fondamental du poker, dans lequel tout n'est pas toujours non plus aussi évident qu'on le souhaiterait. C'est la glorieuse incertitude de ce jeu, et c'est aussi et surtout pour cela qu'on l'aime tant.
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